Est-ce qu'elles le valent bien ?La première fois qu’il vit l’affiche, Éloi crut à une hallucination.
Sous la lumière crue d’un abribus parisien, un visage de femme s’imposait, souverain, comme si la ville entière se mettait soudain à genoux. Ses lèvres écarlates semblaient avoir volé leur éclat à la pourpre impériale, et ses yeux, insondables, promettaient un royaume secret au spectateur assez téméraire pour les contempler sans faillir.
En lettres capitales, l’oracle s’inscrivait : « Because you’re worth it. »
Éloi ne sut dire pourquoi ce slogan, mille fois répété, se planta cette nuit-là dans son esprit comme une flèche en plein cœur. Une phrase anodine, destinée à vendre un fard, devint pour lui révélation, prophétie, injonction. Et dès lors, il s’abandonna à l’obsession.
Chaque jour, il passait devant l’affiche, comme un pèlerin devant une idole. Il scrutait le moindre frisson de papier, la plus infime trace de pluie sur le visage sacré. À force, il en vint à croire que la femme du poster lui adressait un message personnel, intime, murmuré à travers le tumulte de la ville.
« Parce que tu le vaux. »
Ces mots résonnaient en lui comme une sentence aristocratique, l’appel d’un destin supérieur. Il se mit à redresser les épaules, à marcher comme un prince déchu retrouvant son trône. Il dépensa sans compter pour ses costumes, ses montres, ses parfums. Tout devait être rare, précieux, inestimable. Car lui aussi, désormais, se croyait digne.
Mais plus Éloi s’enveloppait de luxe, plus il découvrait le gouffre de sa solitude. Les autres ne voyaient en lui qu’un extravagant, un dandy ridicule, prisonnier de son miroir. Eux lisaient le slogan comme une flatterie commerciale. Lui l’avait transfiguré en sacrement.
Un soir d’hiver, l’affiche disparut, remplacée par une campagne quelconque vanteuse d’un forfait téléphonique. Éloi erra dans les rues, perdu, comme un chevalier privé de bannière. Ses pas le guidèrent vers une parfumerie illuminée. Et là, derrière le comptoir, une femme leva les yeux vers lui.
Elle portait le même rouge impérial.
Le monde entier sembla s’incliner. Dans un souffle, Éloi sut : elle n’était pas une image, mais l’incarnation. Son regard disait sans détour ce que l’affiche avait murmuré pendant des mois.
Alors, d’une voix vibrante, il répéta le serment qui avait changé sa vie : — Parce que je le vaux.
Et pour la première fois, ce ne fut plus une obsession. Ce fut une promesse.
Perceval

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IA mon amour...
C'est vrai ce slogan a hypnotisé toute une génération !