En effet, les ouvrages publiés sont distingués selon le genre, par des couleurs. La couleur dominante est le rouge, (couleur du pouvoir selon Pastoureau) retenue pour spécifier le « Roman », peu ou pas de jaune, couleur des « Essais», « il giallo » en italien, nom donné aux romans policiers en Italie.
Cette observation est riche d'enseignement sur l'état d'une société qui par goût ou par nécessité se révèle ainsi, selon ses écrits et de fait, ses lectures.
Il y a quelques jours le prix Nobel de littérature a été décerné au chanteur compositeur Bob Dylan. Cette distinction a été diversement accueillie dans le monde littéraire, peu enclin jusqu'alors à considérer la chansonnette et son auteur, digne d'un prix Nobel. Serge Gainsbourg aurait été le premier surpris, lui qui a regretté toute sa vie de n'avoir pas été peintre, la chanson n'étant selon lui, qu'un art mineur.
Fort de cette incidence d'actualité, une question se pose ! le roman est-il de même « essence » que l'essai ?
Voilà la question qu'il faut se poser pour éclairer ce constat de domination de l'un sur l'autre, sans jugement de valeur autre, que de souligner les différences qui les caractérisent.
Le roman est léger, dans le sens qu'il est une œuvre de pure imagination, dénuée de vraisemblance, comme le laisse entendre cette interjection « cela m'a tout l'air d'un roman », expression relative à une histoire rapportée, peu vraisemblable. L'extraordinaire du roman est d'inventer des situations, des caractères, des sentiments, qui passionnent le lecteur ou la lectrice, en le projetant dans un monde virtuel, dont le confort suprême est d'en ressentir les effets sans les miasmes du réel. C'est magique, on se plonge dans l'imaginaire d'un monde inventé où tous les caprices sont permis sans conséquences autres que la transposition que l'on peut en faire avec son propre vécu idéalisé, habituellement moins ludique et plus contraignant. C'est le fantasmagorique qui s'impose, cet imaginaire que dicte un monde onirique où tout est possible jusqu'aux invraisemblances de situations magiques, irréelles, idéales ou illusoires, parfois spécieuses voire trompeuses ou utopiques, quelques fois tragiques, mais toujours subjectives.
En réalité, pour l'auteur comme pour les lecteurs, c'est une sorte de thérapie bienfaitrice, sans chimie ajoutée, qu'on s'offre à peu de frais l'instant d'un moment, emporté par une histoire extraordinaire telle qu'un rêve éveillé.
Huot de Goncourt disait : « L'histoire est un Roman qui a été, le Roman est de l'histoire qui aurait pu être ».
Exactement le contraire ! il est un regard sur le réel. Comme son nom l'indique, le mot « Essai » dérivé du latin « exagium » signifie « observer, étudier, apprécier, évaluer ».
C'est pour l'auteur, en toute liberté, sans contraintes autres, un désir de livrer sa vision personnelle des faits et des choses de la vie, sa vérité aussi proche que possible de la vérité implicite que chaque sujet d'actualité nécessite, non subversive, mais toujours objective.
C'est une réflexion de recherche incessante qui doit animer l'auteur, afin de démasquer les hypocrisies, le convenu, le bien pensant, la pensée conventionnelle ou pire, le politiquement correct, afin de dénoncer à sa façon, le mensonge ou l'imposture.
C'est le moyen, le seul au-delà du verbal, de pouvoir analyser en parfaite tranquillité, le concret et non le virtuel des choses essentielles de la vie de chacun.
De plus, les nécessités politiques guidées par des intérêts multiples, sous-jacents et de fait dissimulés, insère l'individu dans un collectif astreignant, éloigné du romanesque d'un monde imaginaire. Le roman permet de fuir ce monde uniformisé, à tendance égalitariste forcené, par nature liberticide, alors que l'essai d'une essence différente, permet de comprendre le monde réel, afin de mieux appréhender son futur et si possible le maîtriser.
Le roman est nécessaire à l'évasion par l'imagination. L'essai est une réflexion approfondie sur des contingences humaines, philosophiques, historiques, scientifiques, ou politiques, indispensable pour informer, commenter, expliquer. C'est un engagement personnel sans mandat autre que d'être un citoyen libre de juger, de critiquer, ou d'interroger avant de préciser et défendre sa propre vision du monde.
En conclusion de la disproportion de production entre le roman -90 %- et l'essai -10 %-, peut-on dire comme l'écrivait Aragon, que « l'extraordinaire du roman, c'est que pour comprendre le réel objectif, il invente d'inventer ».
Peut-on répondre à Aragon que l'extraordinaire de l'Essai, c'est que son objectivité souvent déstabilisante, renforce le besoin d'imaginaire qui en découle, source infini du roman. Aragon à raison, le réel objectif, difficile à saisir, a besoin de se réinventer dans une transposition romanesque.
Mon dernier Essai, « Les migrations humaines, matérielles, immatérielles » présent sur le site monBestSeller.com, a été l'objet récemment d'un commentaire très pertinent qui résume à lui seul, brièvement ce que doit être un Essai, ce que j'ai tenté de définir ci-dessus.
Lisa écrit : « Une analyse fine et visionnaire, filtrée par le ton presque badin d'une conversation ».
Merci à Lisa que je ne connais pas !
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Jean Claude ROBIN
La philosophie d'une chose et son contraire... Voilà qui me parle, et m'incite à aller découvrir vos ouvrages !
Amicalement,
Elen
En fait je suis présent sur MBS, avec les 2 couleurs( 3 avec les poésies).
Pour moi, il y a une réelle continuité entre mes œuvres de fiction, qui font réfléchir, et un essai philosophique ( Le sens d'une présence ), qui fait appel explicitement aux auteurs.
Ajoutons que mon essai contient des.. poésies !
@lamish, @Michel Canal, @Elen Brig Koridwen, @Hubert-P Letiers, @Robert Dorazi,
Merci à vous, j'apprécie sincèrement vos observations et commentaires sur le sujet "Le rouge et le jaune", ou "Le Roman et l'Essai".
Je suis ravi, d'autant que la pertinence de vos propos me dispense de polémiquer sur le bien fondé de tel ou tel argument, tous défendables et recevables, et c'est bien ainsi !
Deux mots ont retenu votre attention, subjectivité, et objectivité, qu'on ne peut dissocier. Le premier est indépendant, le second est encadré. La subjectivité est libre, sans engagement déterminant. L'objectivité est plus exigeante elle en est le contre-point, elle engage.
En quelque sorte, tout est ordonné et c'est parfois compliqué, se souvenir de l'éternelle question de l'œuf et de la poule, quel est celui ou celle qui précède l'autre ?
Ou comment trancher la question qui suit ! Les pieds et la tête sont opposés dans le corps humain, tout en faisant partie de l'ensemble, que penser des expressions populaires très imagées que chacun a déjà prononcées souvent, "les pieds sur terre", ou "la tête dans les étoiles", quelle est la partie qui fait avancer l'autre.
Cette métaphore interrogative, plaisamment me séduit, car je suis sûr que vous y trouverez à la fois du subjectif et de l'objectif.
C'est la philosophie chinoise d'une chose et son contraire, que je rappelle souvent dans mes écritures, sans oublier ce qui est complémentaire. Par exemple, le fleuriste et le botaniste, l'acteur et l'auteur, l'auteur et l'éditeur, l'éditeur et le lecteur, qui ne peuvent exister en l'absence de l'un ou de l'autre. Ou encore, l'homme et la femme, lire "L'homme chinchilla et le rêve au féminin", complémentaires pour le fondement du tout.
En réalité, je retiendrai de vos propos votre objectivité, qui vous l'aurez compris me séduit, car elle juge très intelligemment toutes les subjectivités que contient le texte proposé "le rouge et le jaune", ou "le Roman et l'Essai".
Avec tous mes compliments !
Jean Claude ROBIN
Plus prosaïquement, l'essai a pour objectif de développer un sujet de manière réfléchie, approfondie, sérieuse. A ce titre, il n'intéressera que les lecteurs qui souhaitent s'instruire sur le sujet traité. Un roman développe une idée, une histoire vécue ou imaginaire, peut se jouer de la vérité. A ce titre, il est une invitation pour les lecteurs à se distraire, à rêver, à voyager dans le temps et dans l'espace.
Le premier sous-entend d'être ardu par sa longueur, rébarbatif pour le non-initié, réservé à un lectorat ciblé et intéressé par la spécificité du sujet. Le second sous-entend de faire plaisir, de distraire par la lecture dans des genres variés (et ils sont nombreux !), un style d'écriture, une longueur le plus souvent parcourue en quelques heures seulement.
Il est donc normal que les essais soient moins nombreux que les romans. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils sont victimes d'une impopularité.
@Jean Claude ROBIN
Cher monsieur (que j'ai pas le plaisir de connaître), vous posez là une question passionnante, qui touche au cœur de nos préoccupations d'auteurs ; du moins de ceux parfois considérés comme "difficiles" par rapport à la culture dominante du "fast-book" que l'on lit "pour se vider la tête" (horreur !).
Je partage en tous points l'avis de @Hubert-P Letiers. La frontière est parfois mince entre roman et essai, et dans de nombreux cas, le duel supposé "objectivité vs onirisme" n'est pas si évident (au vrai – et seul – sens du terme : "qui saute aux yeux") ; il suffit de songer aux Essais de Montaigne, délibérément subjectifs...
Tout au plus dirai-je que les essais jonglent avec les idées et les romans avec les situations (un roman ne s'interdit pas de manier des idées, heureusement. Mais il peut se permettre de ne pas le faire). C'est pourquoi votre question me semble conduire à cette réponse plutôt désabusée : si les lecteurs boudent l'essai au profit du roman, c'est tout simplement parce que leur vie trépidante et/ou stressante leur donne envie de se distraire plutôt que de réfléchir. Le roman est souvent un spectacle dont on peut s'abstraire, bien que cela me semble être un non-sens ; on peut le lire comme on regarde la télé. L'industrie de l'édition s'ingénie même à privilégier cet aspect très commercial. L'essai, en revanche, exige la participation active de la pensée. Et cela, en fin de journée quand on est fourbu, quand on se demande comment conserver l'amour de son/sa conjoint(e), payer son tiers provisionnel et empêcher son enfant de se droguer aux jeux vidéo, c'est un effort devenu presque insurmontable.
Bien amicalement,
Elen
Je ne pense pas que le roman soit obligatoirement une oeuvre de pure fiction. Il existe meme des romans qui sont tres factuels dans leur trame mais ecrits d'une facon qui, en general, va les differencier d'un essai qui d'ailleurs peut etre bien plus subjectif que certains romans. Mas il est vrai que la premiere idee qui va venir a l'esprit quand on parle d'un essai, c'est une sorte de secheresse de ton et de presentation qui explique en grande partie a mon avis l'ecart enorme entre le nombre d'essais et de romans lus sur des plateformes comme mBS.