Éléments de réponses avec deux points de vue d'experts : Chris Simon, auteur de séries, et Laure Lapègue, auteur et fondatrice de Booknseries.fr
Chris Simon : « Follow the money », les auteurs du 19e publiaient chaque jour dans les journaux le chapitre qu’ils avaient écrit la veille afin de payer leur nourriture et leur loyer hebdomadaires, les feuilletons le plus appréciés étaient ensuite publiés en un seul volume : un roman. De même que les scénaristes de cinéma ont trouvé plus de travail à la télévision à partir des années 80 en France, les chaînes de télévisions se multipliant. La télévision a fait évoluer les formats de films.
Laure Lapègue : Effectivement, si les origines du feuilleton, notamment en France, sont assez « opportunistes » (le format ayant permis de fidéliser facilement le lectorat d’une certaine presse tout en nourrissant des plumes affamées), n'oublions pas que des auteurs prestigieux tels qu’Alexandre Dumas ou Balzac ont écrit ce genre de littérature. Ce n’est d’ailleurs qu’au XIXème siècle que l’on a commencé à mépriser le feuilleton, pourtant très populaire.
Chris : Les premiers scénarios du film parlant ont été des adaptations de romans ou de pièce de théâtre, le scénario contient donc en lui la structure narrative du roman. L’image a modifié petit à petit la narration, puisqu’elle permet de montrer simultanément le décor et les personnages, cependant la structure fondamentale d’une histoire dans un roman ou une série TV reste très similaire. La série littéraire, empruntant à la fois au feuilleton littéraire et à la série TV, permet peut-être aujourd’hui de faire exploser de nouveau les conventions du roman et de retourner à des narrations plus libres. Cervantès, l’auteur de Don Quichotte, avait révolutionné le roman (un grand succès à son époque) en créant ce que l’on appelle aujourd’hui le roman épique.
Laure : Force est de constater que, tout comme le langage, l’écriture évolue avec la société qui la porte. Le rythme, le suspense, les dialogues, le style plus libre des séries sont un reflet de la vie et des hommes et des femmes du 21ème siècle !
Chris : ce que j’aime dans la série est le fait de me donner la possibilité de développer mes personnages en temps réel, comme Proust l’a fait dans la Recherche, nous suivons ses personnages sur des années, comme nous avons suivi pendant huit ans, les personnages de la série Les Sopranos. Les personnages vieillissent en temps réel et du point de vue de l’écriture c’est intéressant ce temps réel mélangé au temps de la fiction.
Laure : En tant qu’auteur de roman je suis très attachée à la profondeur des personnages que je crée, à leur évolution, au sentiment d’attachement qu’ils peuvent faire naître chez le lecteur. Ce que j’aime dans les séries, et que je cherche aussi dans les romans, c’est qu’elles font des personnages dont le destin est le moteur de l’histoire.
Chris : Situations et personnages sont mes ingrédients. Je pars toujours d’une situation précise, sans issue de secours. Mes personnages doivent vaincre et se tirer des situations dans lesquelles je les mets. Ces deux ingrédients dynamisent un texte. Le troisième ingrédient est l’énergie. Il faut mettre beaucoup d’énergie dans l’écriture. Le rythme doit être soutenu, il doit porter le lecteur et être en adéquation avec le genre de la série. Par exemple pour Brooklyn Paradis qui s’apparente au roman noir humoristique, l’humour de situation oblige à un rythme rapide, enlevé.
Laure : Je n’aime pas trop le terme de recettes en terme d’écriture mais force est de constater que le combo suspense + action + personnages charismatiques est un trio gagnant. En tant qu’auteur, et en tant que promoteur de la serial-lecture en épisodes, je cherche avant tout une chose : capter le lecteur et ne pas le perdre en route. Or quoi de mieux que ces trois ingrédients, combinés à une belle plume pour y arriver ?
Chris : Le suspens, l’humour et le rythme rapide m’obligent à écrire plus et plus vite (à produire plus au final), mais ils permettent aussi à plusieurs catégories de lecteurs de passer de l’univers des séries TV à l’univers de la série littéraire et de découvrir ou redécouvrir le plaisir de la lecture. Un nouveau genre peut émerger de cette proposition que je fais avec Brooklyn Paradis.
Laure : Si j’ai choisi la lecture en épisodes pour mon site booknseries.fr, c’est parce qu’elle a, à mon sens, deux grands avantages.
D’une part, elle incite les gens à lire davantage. Grâce aux épisodes courts, la série facilite l’entrée dans l’histoire. Ensuite, le suspense et le parcours des personnages incitent à poursuivre et à terminer la lecture.
D’autre part, le feuilleton permet de « tester » facilement un auteur, de découvrir son style et son univers, sans avoir besoin de lire un livre en entier. La plupart du temps, la lecture d’un épisode suffit pour savoir si on a envie de plus ou pas. Cette découverte donne une opportunité de plus aux auteurs et aux lecteurs de se rencontrer.
Chris Simon, auteur de "Brooklyn Paradis" et Laure Lapègue, auteur et fondatrice de Booknseries
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bonjour @Madjid Lebane,
Dans cet article nous sommes deux à nous exprimer sur la série, sur deux axes différents. Je ne sais pas à qui vous vous adressez puisque vous ne le précisez pas – Je vous réponds qu'en tant qu'auteur de séries, je parle bien des personnages, de l'écriture et du développement de l'intrigue. Extraits :
" Situations et personnages sont mes ingrédients. Je pars toujours d’une situation précise, sans issue de secours. Mes personnages doivent vaincre et se tirer des situations dans lesquelles je les mets." ou encore "ce que j’aime dans la série est le fait de me donner la possibilité de développer mes personnages en temps réel, comme Proust l’a fait dans la Recherche, nous suivons ses personnages sur des années, comme nous avons suivi pendant huit ans, les personnages de la série Les Sopranos."
Et je serais ravie de parler écriture de séries avec vous, d'échanger avec vous sur vos aproches et méthodes de travail. Un futur article sur MonBestSeller peut-être ?
Bonjour,
J'ai l'impression qu'ici on ne parle que de la série "une grande histoire découpée en petits bouts" mais pas de celle "un personnage ou un groupe dont on suit les aventures différentes à chaque épisode".
Comme j'oeuvre dans la seconde j'ajouterai que l'avantage de la série c'est le temps et la diversité des situations qu'on peut faire vivre aux personnages pour les construire de façon plus complète et plus complexe, sans avoir à chercher de "mauvaises excuses".
Merci pour ta visite @Yannick
Bonjour @Robert Dorazi, oui, c'est une des difficultés. J'ai écrit ma première série Lacan et la boîte de mouchoirs en improvisant un épisode chaque mois et effectivement, je ne pouvais pas revenir en arrière, il me fallait donc faire avec ce que j'avais déjà écrit. C'est un défi qui permet de développer son imagination. Tu as raison beaucoup de séries s'essoufflent après 3 ans, mais il y a des exemples de réussite comme Les Sopranos ou encore Breaking Bad, séries excellentes jusqu'au dernier épisode. En ce qui concerne Brooklyn Paradis, j'ai un outline général qui me permet de savoir où vont les personnages. Je pense développer ma série en 3 à 5 épisodes, à priori. Merci pour ton commentaire.
Merci pour cet échange intéressant :-)
Dans le système de la série, le plus difficile doit être de rester cohérent sur plusieurs semaines. Il faut donc faire attention à ne pas avoir à tordre les scénario de façon trop évidente pour pouvoir terminer sur une histoire qui se tient (combien de soap opéras deviennnent carrément grotesques à force d'incohérences quand ils durent 5 ou 10 ans :) ). Evidemment à l'ère de l'électronique on peut toujours changer un détail dans l'épisode 1 quand on s'aperçoit que ça ne colle plus dans l'épisode 34, mais certains lecteurs peuvent se sentir trahis. C'est donc à mon avis un genre assez difficile.