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Le 18 Jan 2021

La Fenêtre

Une fenêtre dans la nuit est une épouvante. J’ai connu des gens qui devinrent fous rien que d’attendre l’être de cauchemar, surgi des ténèbres, qui collerait sa face mortelle sur les carreaux. (Jean Ray). C'est de cette idée que vient la nouvelle de Jean Benjamin Jouteur. L'imagination construit les pires scénarios. Et les victimes se comptent au petit matin. Et le coupable l'est-il vraiment ? Une première réponse brillante à l'appel à l'écriture monBestSeller : Faux-coupable.
Cette porte qui grince lorsqu’un courant d’air la frôle. Comme elle aimerait la pousser !Cette porte qui grince lorsqu’un courant d’air la frôle. Comme elle aimerait la pousser !

C’est la chambre des amoureux, la plus vaste du manoir, on l’appelle « Chambre bleue ».

Bleue comme les tapisseries qui recouvrent ses murs, bleue comme les yeux de cette fille qui ne parvient pas à dormir, bleue comme cette blafarde soirée d’hiver.

            Les douze coups de minuit bousculent la bâtisse assoupie. Cœur de métal insensible et sonore, le balancier reprend son inlassable mouvement. L’écho de ses pulsations se répercutant dans les murs de pierre parvient aux oreilles de la jeune femme allongée sur le lit. Ce bruit familier, ce bruit qui depuis son enfance jalonne ses songes, ce bruit la rassure… Un peu.

            Afin d’ignorer les jérémiades du vent, les glissements furtifs émanant du grenier, afin d’éconduire les mille craquements de la vieille demeure, elle concentre toute son attention sur le « toc-toc » monotone de l’antique horloge qui imperturbable et hautaine, pétrifiée dans sa toge de bois, martèle depuis trois siècles la vie familiale de quatre générations.

            Minuit ! Le voile de la peur s’insinue.

            Animés par le pâle orchestre rougeoyant de la bougie, les murs dansent autour du lit un ballet imprécis. Figés sur leurs toiles, méprisants, ironiques, moqueurs, les ancêtres l’observent. Dans cette chambre trop grande pour elle, tout est ombres mouvantes, formes irréelles.

Et cette porte !

Cette porte qu’elle ne peut fermer, car il manque le loquet. Cette porte qui grince lorsqu’un courant d’air la frôle. Comme elle aimerait la pousser !

Elle voudrait téléphoner aussi, elle voudrait, sans quitter le refuge douillet du lit, embraser toutes les lampes de la maison. Mais la neige, qui depuis la veille s’agglutine sur les toits du vieux manoir isolé, a rompu les fils téléphoniques, brisé un poteau électrique. Elle est seule, face à la nuit, face à l’angoisse.

Une ombre blanche passe devant les carreaux puis s’écrase mollement sur la véranda. Elle sursaute, retenant un cri. Ce n’est rien ! Un paquet de neige trop lourde vient de s’échapper du toit. Le regard de la jeune femme se pose sur la fenêtre hérissée de flocons cotonneux, larmoyante d’humidité.

La fenêtre !

Recroquevillé sous la couette, le jeune corps frissonne.

La fenêtre !

Contre sa chemise de nuit, elle sert le fusil de chasse huilé.

La fenêtre !

Les yeux soudés sur l’objet de sa peur, elle demeure prostrée.

— Je dois me lever, fermer les volets, oublier, dormir, rêver !

Elle voudrait détacher son regard de cette tache claire dans laquelle se reflète le frissonnement incertain de la bougie. Elle voudrait se libérer, elle voudrait…

Dans l’incapacité physique d’accomplir le moindre mouvement, elle cultive son angoisse, écarquillant les yeux afin de percer le brouillard opaque de la nuit. La chute légère des cristaux de glace contre la vitre, émet des sons clairs qui tintent désagréablement à ses oreilles, mais qui la captivent.

Dans le silence ouaté, elle s’assoupit enfin. La mèche enflammée lance un dernier éclair sur la cire fondue puis s’estompe. La jeune femme gémit, ses yeux s’ouvrent démesurément. Elle mord son poing à en hurler de douleur. Elle perçoit nettement les claquements secs contre la vitre, la roche des murs extérieurs qui s’effrite. Quelqu’un est là, elle le sait, elle l’entend ! Un être hideux, émergeant des ténèbres, escalade la façade au crépi lépreux. Ses contours irréels se posent contre la fenêtre. Une voix sépulcrale grince dans un jargon indistinct.

Cette sentence de mort arrache la jeune femme de sa torpeur. L’apparition est là, qui la contemple de ses yeux malfaisants. Une longe main gantée de noir, caresse la croisée de bois qui grince. La dame du lit, poussant un hurlement strident, lève le fusil, détourne son regard et presse la détente. Tonnerre assourdissant dans la chambre obscure, la détonation éclate. Par la fenêtre déchiquetée, le vent glacé s’engouffre ranimant la jeune femme abasourdie. Sa respiration saccadée peu à peu se régularise. Le va-et-vient du balancier reprend possession du calme trop pesant qui règne à nouveau sur la demeure. Avec avidité, aspirant l’air chargé d’humidité, s’imprégnant de l’odeur de la poudre, de la neige et du froid, elle pose le fusil de chasse sur le chevet.

C’est alors qu’elle se remémore l’étrange discours prononcé par le maléfique visiteur. Son regard fouille la pièce, les ancêtres la dévisagent, plus goguenards que jamais. Elle prend sa tête entre ses mains, contemple le fusil inanimé et elle rit.

— Chérie ! Tu peux m’ouvrir ? J’ai oublié mes clefs !

Voilà, mot pour mot, ce que l’apparition a dit. La jeune femme se met à rire, à rire, à rire ?

 

Lien de mon livre sur monBestSeller : Jean Benjamin Jouteur : La nuit du Rozer (monbestseller.com)

Mon blog :  acceuil (jeanbjouteur.net)

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@LaurenceD Merci à vous Laurence.

Publié le 15 Février 2021

Super, j'adore le déroulé et la chute ;)

Publié le 12 Février 2021

@Annie Pic. Merci Annie… Et la chute inattendue de l’être des ténèbres, et surtout son étrange discours, laissèrent la jeune femme de la chambre bleue encore plus dubitative que vous.

Publié le 20 Janvier 2021

“La Fenêtre”, dans cette étrange atmosphère, la psychologie du personnage est bien développée. La peur, ce sentiment étrange qui en levant le voile de la nuit, lui fait perdre pied. J'ai beaucoup aimé, l'ambiance particulière des entrelacs de son imaginaire libérant les ombres des ténèbres.
Seul bémol, la chute me laisse un peu dubitative. Annie

Publié le 20 Janvier 2021

@Catarina Viti. Merci Catarina… Et allez en paix, vous êtes pardonnée… D’ailleurs à mon tour de me confondre en excuses, j’ai une pile à lire si conséquente que, malgré mon envie, je n’ai pas encore lu vos lignes, exceptée une nouvelle qui, semble-t-il a disparu avant que je ne trouve le temps de la commenter. (Que j’ai beaucoup aimé d’ailleurs , elle concernait un père et, en la découvrant, je me disais que j’aurais aimé écrire ces mots). Par contre j’ai pu vous rencontrer (vocalement et visuellement) sur la visio diffusée par notre amie commune Sylvie. A très bientôt !

Publié le 19 Janvier 2021

Merci, Jean-Benjamin de vous y être collé... et si bien.
Quel thème !...
Faux coupable : cela fait partie de mon karma-aïe-aïe-aïe. Régulièrement et depuis l'enfance, on me fait porter le chapeau pour des trucs qui n'ont même jamais traversé ma pensée ni mes rêves. Avec ça, me direz-vous, je devrais trouver fastoche un début de machin-truc. Ben, que pouic. Alors, franchement, je vous admire d'y être allé... Rendez-vous (peut-être) au bac à sable ?
Merci encore et pardon, je n'ai pas lu "La nuit du Rozer"... trop de boulot par les temps qui courent.
Je vous souhaite une année prospère, tumultueuse et dégoulinante de joies et bonheurs variés.

Publié le 19 Janvier 2021

@Rozenn LALOY Merci Rozenn… Et à très bientôt j’espère pour de nouvelles aventures épistolaires !

Publié le 19 Janvier 2021

@lamish Vous êtes une fidèle de chez fidèle ! Ou bien une lectrice compulsive… Oui, peur et imaginaire peuvent parfois nous amener à déraper…. D’ailleurs, la peur n'est-elle pas le pur produit de notre imaginaire ? Merci

Publié le 19 Janvier 2021

Excellent échantillon de votre style efficace, Jean-Benjamin, on en redemande ! Et pour l'avoir lu et adoré, je recommande à tous la lecture de "La nuit du Rozier", à l'intrigue palpitante !

Publié le 18 Janvier 2021