Interview
Le 26 avr 2021

La famille Antoine

Marina Leridon nous dépeint ce qu'on voit. Et les apparences mettent en évidence des coupables pré-désignés. Et pourtant... La participation de Marina Leridon à l'appel à l'écriture monBestSeller sur le thème du Faux coupable a un double visage
Ne vous fiez pas aux apparencesNe vous fiez pas aux apparences

Plusieurs personnes le voyaient souvent, petit, voler des fruits sur l’étal du fruitier. Il passait avec un grand sourire, attrapait une pomme ou une orange, la faisait danser dans le ciel et la mangeait. Le fruitier s’énervait puis abandonnait devant l’air innocent du jeune garçon. 

Quelques années plus tard, on le prit sur le fait : il venait de subtiliser le portefeuille dans la poche de l’instituteur, puis on le retrouva avec le sac à main de Madame Michu. À chaque fois, il s’en tirait avec son beau sourire et son bagou. Il ne voulait pas voler. Il s’entrainait pour devenir magicien... 

Puis des objets disparurent dans les maisons. Oh, rien de valeur : une tasse, un journal, un livre. La plupart du temps, il était venu faire la cour à la jeune fille de la famille. Il était volage et changeait souvent de petite amie. On finit par s’étonner de ces coïncidences. Tout le village se souvenait du petit garçon qui volait des fruits. Puis de l’adolescent qui voulait devenir magicien, soi-disant... 

Il vivait seul avec sa sœur la plupart du temps. Leur mère était décédée et leur père parcourait les routes avec son camion pour rapporter de quoi les nourrir. 

Les vols continuaient et la rumeur enfla : Le fils Antoine est un voleur ! Un conseil de village se réunit. 

Il faut absolument l’arrêter, le mettre en prison !
Mais nous n’avons aucune preuve. Il faut perquisitionner chez lui. 
Antoine : on peut venir fouiller ta maison ?

Ça ne va pas, non ? Mon fils, un voleur ? Et puis quoi encore ? De toute façon, vous n’avez pas le droit. C’est la police qui fait ça.

Le maire calma ses administrés.

Nous n’avons aucune certitude que ce soit le fils Antoine le coupable. Je demande à chacun d’entre vous d’être vigilant et de surveiller toute personne qui entre chez vous.

Tout le monde repartit en bougonnant. Le père Antoine sortit la tête haute. Arrivé chez lui, il saisit l’oreille de son fils :

Qu’est-ce que tu as dans la tête ? Pourquoi tu voles chez les gens ?
Mais ce n’est pas moi, je t’assure. Je n’ai rien fait.

Mouais, tiens-toi tranquille alors.

Les vols perdurèrent. Un villageois se décida à porter plainte à la gendarmerie. 

Le fils Antoine fut interrogé, sa chambre et le grenier de la maison fouillés. Tous les objets volés furent retrouvés dans une malle. Voilà ! On l’avait bien dit !
Il passa sa première nuit en prison. Il niait toujours, malgré l’évidence. Il se laissa dépérir dans sa cellule jour après jour. Le procès arriva enfin. Il fut condamné, malgré ses dénégations, à un an de prison dont six mois avec sursis. Il lui restait quatre mois à tirer.
Il faisait peur à voir : le visage mangé par les cernes, maigre, abattu. Sa belle joie de vivre avait disparu.

Les vols qui avaient cessé soudainement reprirent. Mais que se passait-il ? On était pourtant sûr d’avoir enfermé le coupable ! Plus personne n’y comprenait rien. Il y avait un deuxième voleur ! Tout le village était en émoi. Certains commencèrent à douter.

Le père Antoine, nostalgique de son bonheur perdu, monta dans son grenier à la recherche de vieilles photos. Il découvrit avec stupeur de nouveaux objets. Il appela sa fille :

Qu’est-ce que tout ça ? D’où ça vient ?
Je ne sais pas… répondit-elle toute rouge.

Ne mens pas ! 

Elle se troubla, bégaya, rougit de plus belle et fondit en larmes. 

C’est pas ma faute. Je peux pas m’empêcher.
Quoi ?
C’est plus fort que moi. Quand je vais quelque part, je vole un objet.
Mais pourquoi tu n’as rien dit ? Ton frère est en prison à cause de toi. 

J’avais peur. 

Après enquête, on découvrit qu’elle était kleptomane et passait toujours après son frère pour ne pas se faire prendre. Ce fut l’ultime coup du sort pour cette famille déjà tant éprouvée.

 

Marina Leridon

 

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@L.A. Di Paolo
L'expérience de la vie, et notamment le fait d'avoir des enfants, m'a amenée à prendre des précautions avant de porter un jugement. Cela ne signifie pas que je ne me trompe plus mais limite les erreurs, sachant qu'il n'est pas possible de tout analyser, tout connaître, tout comprendre. A nous d'être assez intelligents pour ne pas tomber dans la précipitation, même si c'est plus facile à dire qu'à faire ! Je trouve que les enfants nous poussent justement à être plus prudents et à prendre du recul … quand ils ne nous poussent pas à bout !

Publié le 26 Mai 2021

@marina leridon, vous posez là un problème bien épineux, car l'imperfection de nos sens et de notre capacité d'analyse d'une part, et le besoin que tout animal a de minimiser ses dépenses énergétiques d'autre part, nous porterons souvent à de fausses conclusions.

Le système judiciaire peut imposer l'utilisation de moyens et de méthodes pus avancés pour en venir à une conclusion plus probablement correcte, mais encore là, le risque d'erreurs demeure.

Peut-être, que dans ce futur ou nous pourrons lire dans les pensées des gens, nous pourrons découvrir la vérité, chaque fois qu'on le voudra, à coup sûr. Peut-être, car le plus grande vérité de tout système biologique, c'est sa variabilité. Cela signifie qu'on peut rarement assigner une cause avec certitude, mais seulement avec plus ou moins grande probabilité.

D'autre part, nous, communs mortels, témoins, victimes ou simples intéressés, que pouvons-nous faire pour éviter la possibiité de nous tromper? Les êtres vivants on développé des moyens de "prédire le futur" pour nous éviter à devoir chaque fois tout ré-apprendre, investiguer, analyser, tester. Nous n'avancerions jamais si nous ne pouvions nous baser sur ce que l'on a déjà observé pour tirer certaines conclusions sur ce que nous n'avons pas encore observé. C'est probablement un débat que nombre d'entre-nous avons eu avec nos enfants, à savoir, pourquoi faisons-nous continuellement des suppositions à leur sujet? Pour la même raison que nous ne pouvons pas ou ne voulons pas repartir à zéro chaque fois que nous faisons une observation.

Mais vu que, lorsque nous faisons des suppositions, soit en tant que membres du système judiciare, et donc à l'aide d"outils plus avancés, soit en tant que communs mortels, à l'aide de nos simples et imparfaites capacités d'observation et d'intuition, vu que nous nous trompons moins souvent qe nous ne voyons juste, peut-on justifier la continuité de ce système qui, à la fin, nous est imposé par la nature?

Peut-être que non. Peut-etre que nous devrions changer notre approche d"emblée, et ne plus poser de jugement sur un fait ou un autre sans avoir d'abord tout appris, tout analysé, tout compris. Ou peut-être que nous pouvons continuer à faire comme nous faisons, mais en faisant des efforts supplémentaire d'investigation, plus la punition envisagée est conséquente.

En vérité, je ne sais pas, et je ne sais pas non plus encore comment répondre à mes enfants chaque fois que je me trompe, même si c'est plus rare qu'ils ne le disent.

Publié le 14 Mai 2021