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Le 27 avr 2021

Fausse joie !

Quand un grand artiste devient encombrant, ce peut être parce que la musique produite par son public lui déplaît. Mais il a une botte secrète, jouer ou il veut quand il veut aussi longtemps et aussi fort qu'il veut. Qui sont les vrais coupables de nuisances ? Une nouvelle d'Hélène GEORGELIN pour l'appel à l'écriture monBestSeller Faux coupable
La Castafiore a ses adeptesLa Castafiore a ses adeptes

Coupable ou non-coupable ? questionna le juge à l’avocate. 

Et bien, voyez-vous, répondit-t-elle, ni l’un ni l’autre…
Je vous prie de bien vouloir nous expliquer ! insista le juge. Ce juge avait l’œil brillant en toisant cette petite avocate qui sortait à peine de l’école. Il guettait le faux-pas de débutante, la fausse-couche du plaidoyer. 
Faux-coupable ! lança l’avocate 

Personne au premier rang ne pipa mot, certains baissèrent même la tête. Le juge se redressa sur sa chaise.

J’ose vous rappeler, murmura l’avocate, combien mon client est sensible au silence.  Que serait sa musique sans soupir ? De la même façon, continua-t-elle, que serait la littérature sans respiration ? Que serait une journée sans sommeil ? Et bien, une torture sans nom ! Là !

 

Et la jeune femme cria, à tel point que les plus musiciens du public purent percevoir un écho rebondissant sur les faux-plafonds de la salle d’audience. Même son client sursauta sur son siège. Il était désormais aux prises entre le désir de quitter tant de décibels et l’envie vengeresse de cueillir le remord de ses anciens voisins. Le cri avait pourtant été émis avec justesse, probablement un la, une note qui lui rappela pourquoi il avait ainsi joué double jeu de sa clarinette et commis un faux-pas.

 

Pablo E. avait grandi au milieu de la misère et de la musique. La première avait nourri la seconde et la seconde avait aidé à supporter la deuxième. Lorsque son talent fut porté aux nues, on lui suggérât d’acheter en ville. Il se trouve que le directeur de l’opéra eu vent de l’intention du prodige de se trouver un point de chute. Il lui proposa alors, non sans avoir obtenu l’accord de tous ses copropriétaires de venir rejoindre son nid, un immeuble Empire.  Pablo E. accepta naïvement. Il ne se soucia pas de la localisation du réduit qu’on lui proposait au rez-de-chaussée, juste à l’endroit où les bandes sonores assourdissantes de la vie tumultueuse de ses futurs voisins venaient s’échouer, juste là où le silence ne pointait en fait jamais le bout de son nez. Il ne se soucia pas non plus du conciliabule tenu pour décider d’accrocher une plaque commémorative d’apparat à son nom sur le fronton de leur immeuble. Ainsi vivaient en apparence les habitants de cet immeuble. 

 

Le directeur de l’opéra aurait du s’apercevoir de sa bêtise. Au lieu de cela, sa vanité amplifia les gargarismes de ses voisins, pas peu fiers d’avoir une telle recrue et qu’ils allaient applaudir au premier rang de la salle d’opéra, à chaque fois qu’il s’y produisait. A vrai dire, les mauvaises langues commençaient déjà à dire que les faux-jetons de l’immeuble Empire se produisaient tout autant que leur petit protégé, à se parader avant de s’asseoir sur leur sièges dédiés. Faux cils papillonnants aux paupières fardés, fausses fourrures dégoulinantes des épaules relevées. C’était à eux, après tout, que revenait tout le mérite de l’existence de ce succès, c’était eux qui venaient assidument applaudir à tout rompre ce soliste.    

Pablo E. ne souhaitait pas être encensé. Pablo E. souhaitait du silence. La poésie du silence ne faisait pas partie du monde des habitants de l’immeuble Empire, qui n’avaient évidemment pas désiré s’asseoir autre part qu’au premier rang de cette salle d’audience. Ces habitants commençaient cependant à trouver un goût amer à la tournure des choses. Surtout depuis que le regard de Pablo E., du box des accusés, s’était posé sur eux.

 

Le silence est d’or, reprit doucement la jeune avocate. Comment condamner au silence Pablo E. ? Comment ne pas entendre que le brouhaha de ses messieurs-dames ici présents au premier rang, a encombré au plus au point son être et qu’il n’a pas eu d’autre choix que d’expulser tous ses faux-semblants accumulés ? Que tous ses talons aiguilles qui martelaient son plafond, ne le faisaient pas en rythme ternaire mais en rythme binairement hautain ? Que tous ces éclats de voix noctambules n’étaient jamais accordés dans la même tonalité ? Qu’aucun musicien ne put rendre harmonieux ce capharnaüm ? Si ce n’est l’action même de mon client !

L’avocate marqua un silence.

Faux-coupable est mon client, de la même façon que les notes qu’on lui reproche d’avoir joué ce 1er avril des heures durant au milieu de la nuit, sont sorties … fausses ! 

 

Hélène GEORGELIN

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