Noir. Le bruit strident et continu d’un électrocardiogramme plat. Une voix masculine, grave et nouée :
— C’est terminé... Heure du décès : 23h02.
C’est quoi, ce bordel maintenant ?
Silence et obscurité. Il va se passer quelque chose. Une force me soulève, lentement, comme un ascenseur qui démarre, puis tout à coup m’aspire en arrière. Une chute vertigineuse, au milieu de crépitements bleus, quand soudain, avec une violence équivalente, tout s’arrête. Curieusement, je ne me sens pas en danger. Je dois juste laisser faire. C’est ici que je dois être.
Mais ici, c’est où, putain ?
Seul, j’ai l’intuition d’avoir une énigme à résoudre, ou plus exactement un choix à faire ; de ce choix dépendra quelque chose d’important, de logique, finalement.
Un mouvement s’impose, dans l’instant. Un courant immuable et imprévisible. On me déplace. Au-dessous, quelques crêtes écumeuses et panachées, aux reflets turquoise, scintillent sous la lune tiède, malgré l’opacité d’une nappe de brume fraîche dont je goûte la fragrance saline.
Fait chier, j’ai toujours préféré la piscine.
Dans cette lumière presque irréelle, je sursaute au son puissant d’une corne de brume.
Alors, comme par enchantement, une forme que je devine métallique, à nulle autre pareille, émergeant des nuages avec toute la magie du surréalisme, découvre dans un vif murmure rougeâtre sa majestueuse beauté. Les premières lueurs de San Francisco transparaissent à travers la silhouette du Golden Gate Bridge. J’ai été magnétisé, attiré jusqu’ici.
Pourquoi, merde ?
Je dépasse les immeubles de néon et les buildings assoupis, les collines du front de mer et la jungle féconde des hauteurs de clochers, pour descendre sans heurts vers une maison victorienne accoudée à une rue en pente.
Merde...
Par la fenêtre, un homme inconnu, allongé sur le lit tout habillé, les yeux au plafond, l’air hagard, semble implorer une instance divine.
Je le reconnais, il s’appelle Mike...
Petite trentaine d’années, brun. Debout devant la vitre, il frotte son visage à deux mains, soupire, se gratte la nuque, fait le tour de la chambre, revient.
S’il se gratte les couilles, je me barre.
— Ça y est, annonce une voix féminine.
Mike se retourne. Une jeune blonde en chemise de nuit et petite laine se tient là, devant la porte ouverte de la salle de bains. Valérie arbore un sourire en lame de rasoir.
Elle a la chiasse ou quoi ?
Cette inquiétude latente, Mike la ressent aussi. Je focalise mon attention sur le petit objet qu’elle tient dans la main. J’ai l’impression que c’est un couteau, mais cette saloperie de pénombre m’empêche de...
Allumez, merde !
— Alors ? demande Mike avec la lividité de celui qui va gerber dans le caniveau.
Silence. Elle tient toujours son truc. Elle pleure. Je la sens tendue, bouleversée. Il lui fait face, avançant à pas feutrés, les deux mains en avant, comme pour dissuader le moindre geste inconsidéré. Valérie lève alors les yeux, lui sourit avec ses dents malgré les larmes qui la submergent.
Non...
Il s’arrête net, perplexe. Elle rit en pleurant.
C’est quoi, ce.. ?
Alors, tout devient très clair. Je comprends la logique de notre rencontre. En réalité, une retrouvaille. Donc lorsqu’on me donne le choix d’y aller tout de suite ou bien de rester, je n’hésite pas.
Valérie brandit son petit machin.
— C’est bleu ! exulte-t-elle. C’est sorti tout bleu !
Dans huit mois et six jours, elle mettrait au monde une petite Claudia, trois kilos cent, qui les aurait choisis pour parents.
DÉBUT
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Norin Antall
Amusant! Intéressant!
Je ne m'attendais pas à cette fin: heureuse,drôle.
J'ai apprécié.
Si je puis me permettre, @Norin ANTALL, le décalage entre le champ lexical employé et le côté éminemment poétique de l'expérience "vécue" décrite est un plus pour ce court récit : cela lui permet d'éviter l’écueil d'une pénible autant que pontifiante démonstration spéculative sur l'existence !
Cordialement et avec humour.
Philippe.
À mon sens, s'il n'y avait pas ce décalage entre poésie et langage courant (vulgaire, certes, mais drôle) le texte basculerait dans le message métaphysique lourdingue. Ainsi, l'auteur ne se prend pas au sérieux, du coup il nous embarque et la chute en forme de twist est d'autant plus inattendue. Un effet plutôt efficace, donc.
La narration de Norin ANTALL, si élégante, presque poétique, tranche avec les dialogues. Il n'y a pas une réplique sans gros mots ! Comment peut-on écrire de si belles phrases et tout détruite par des dialogues crus ? Dommage.
Fanny a raison, finalement , on ne choisit rien contrairement à l'histoire ci-dessus. Cette histoire est intéressante car elle effectue la boucle de la réincarnation de la mort à la renaissance même si le but est normalement d'échapper à ce cycle infernal appelé samsara. il y a beaucoup de qualités et de recherches dans la description, des trouvailles. Le seul regret est cette concession erratique à la grossièreté et à la vulgarité, dommage pour un sujet aussi capital !
" On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille ". Si je devais me réincarner et si j'avais le choix, je préfèrerais me retrouver dans la peau d'un tout mignon chaton pour me la couler douce, à défaut, être une éphémère fleur de pivoine. J'ai apprécié cette lecture, qui se mérite !