Nous nous sommes aimés à la folie dès le premier regard je crois. Je viens des îles, elle de la ville. Je suis aussi noir, petit et trapu qu’elle est blanche, grande et frêle. Elle n’a jamais su que nous n’étions pas du même monde. Ou peut être qu’elle s’en fichait.
Nous nous sommes rencontrés sur l’Ile de la Réunion. Elle était en vacances, moi je suis né la bas. J’étais avec mes potes en train de faire ce que nous faisions le mieux : voler. Elle était seule, perdue, au détour d’une rue, elle regardait un plan sur son téléphone portable. Elle a été surprise de nous voir, nous étions en bande. Il m’a semblé qu’elle avait eu peur. Je ne voyais qu’elle, ses dents blanches, son sourire qui ferait fondre n’importe qui. Je l’ai suivi discrètement. J’ai noté ses habitudes, la plage où elle allait se baigner, par chance j’y allais souvent aussi, j’aimais ce coin. Son hôtel était tout près et je connaissais le patron. Il me laissait entrer pour boire. Petit à petit nous avons commencé à passer du temps ensemble, à faire de longues balades sur la plage, je lui faisais découvrir les coins de la ville qu’elle ne connaissait pas. Dès la première nuit, elle m’avait demandé de rester avec elle. Elle s’inquiétait que je ne revienne pas.
Elle parlait et riait beaucoup, tout le temps même, j’écoutais… Je lui ai caché qui j’étais. Je ne pouvais pas lui dire. Nous ne sommes plus jamais quittés. Je suis rentré en Métropole avec elle. Elle s’est occupée des vols, des papiers, de tout. Je me suis installé chez elle dès notre arrivée.
Nous étions inséparables. Elle ne me posait jamais de questions. Elle m’a fait découvrir les grands restaurants, les hôtels de luxe, les magasins où je n’osais jamais rentrer. Je faisais de mon mieux pour que personne ne se rende compte que ce n’était pas mon univers, je ne connaissais pas les codes alors je me faisais le plus discret possible. Je faisais semblant d’être à l’aise. J’étais accepté partout. Son quartier est devenu mon quartier, les gens me reconnaissaient, se souvenaient de mon nom, me saluaient dans la rue, me demandaient si j’allais bien. C’était tellement différent de tout ce que j’avais connu. J’ai commencé à avoir mes habitudes, le café du bout de la rue où j’allais chercher mon croissant le matin, Romain le clochard schizophrène, qui cherchait un sponsor pour un sandwich à n’importe quelle heure du jour et de la nuit et qui voulait partager sa bière avec moi. J’ai toujours eu peur que ce rêve s’arrête, qu’elle me mette à la porte du jour au lendemain. Mais le temps passait et j’étais toujours là… Nous passions beaucoup de temps ensemble, le plus possible, nous n’avions besoin de personne.
Dés qu’elle le pouvait, elle venait se blottir contre moi, je respirais son parfum dans son cou. Je passais des heures à la contempler, à son bureau ou quand elle cuisinait. Durant toutes ces années, nous avons voyagé, acheté des maisons, lu beaucoup de livres ensemble, refait toute ma culture cinématographique, et découvert des endroits insoupçonnés à deux pas de chez nous.
J’étais plus vieux qu’elle, et au fil du temps j’ai eu de plus en plus de mal à monter les escaliers de notre appartement, nos balades étaient plus courtes, je me fatiguais plus vite qu’avant. Elle, elle semblait inépuisable. Cela faisait maintenant 17 ans qu’elle m’avait enlevé à mon errance et durant toutes ces années je n’ai manqué de rien, je n’ai plus jamais eu faim. J’aurai aimé tout lui avouer. Lui dire que je l’aimais mais je n’ai jamais pu. Alors je lui ai montré du mieux que je pouvais. Je l’attendais et dès qu’elle passait la porte j’accourrais vers elle pour lui lécher le visage et lui montrer à quel point j’étais heureux. Je restais près d’elle, qu’elle soit dans son bain ou au téléphone dans le canapé. La nuit je dormais dans mon panier mais le matin quand le jour commençait à se lever, je venais au pied de son lit, elle entrouvrait la couette pour que je grimpe contre elle et nous nous rendormions l’un contre l’autre.
Un soir, elle est venu contre moi dans mon panier, elle pleurait. Je ne pouvais plus bouger depuis quelques jours. Elle m’a dit qu’elle m’aimait.
Elle me le disait toujours. J’ai laissé échapper un dernier long soupir, j’ai fermé les yeux et je me suis endormi. J’avais été un bon chien.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Super
" Se mettre dans la tête d'un autre, même objet animé ou inanimé. Un bon exercice de lecture & d'écriture.
J'aime beaucoup ! D'avoir la chute qu'au dernier paragraphe c'est une excellente idée !
Good
@Karen Louise
Beau texte agréable à lire . J'ai apprécié l'idée qu'un animal à quatre pattes soit l'auteur. Tout est amené en finesse, délicatement pour finir sur une note très émouvante.
@KarenLouise Bravo pour ce texte émouvant et sensible. Cela donne envie d'errer au hasard à la Réunion pour avoir la chance de vous rencontrer.
Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde.
@Hildegarde Pouffe - Bien vu ! ;-)
@jenie - Je vous remercie Tatiana d'avoir pris le temps de m'écrire ce commentaire. Et je me réjouis de savoir que vous avez été surprise à la fin. A très bientôt!
@Cécile Quétier - Je vous remercie beaucoup pour votre chouette commentaire. J'ai beaucoup hésité a distiller de petits indices ou attendre la chute...
Quelle vie de chien ! :-)
@Karen Louise
Alors là, je ne m'attendais pas à la fin! Intéressant.
Au plaisir de vous lire.
Tatiana