Il est 5 heures du mat.
J’ai des frissons.
À l’heure où je t’écris, je suis seule sur le lit avec ma robe blanche froissée à 2000 euros, payée à crédit, je te rappelle. Enfin, maintenant, avec ce qu’il en reste, et vu les déchirures que je viens de faire, je pense qu’il va falloir être très imaginatif et doué de ses mains pour remettre les zéro derrière le 2.
Par contre, ton costume va pouvoir te servir pour le remake de Quatre Mariages et un enterrement dans les soirées déguisées que tu aimes tant. C’est l’avantage. Tu vas pouvoir t’entraîner !
J’ai besoin de savoir ce qui a pu faire dérailler notre vie si bien huilée : peut-être mon obsession du tracé de vie, de l’organisation, du timing, du détail, jusqu’à faire graver les couleurs de mon bouquet de mariée sur les choux à la crème de notre gâteau de mariage.
J’avais tout imaginé pour le reste de nos jours : une maison, deux enfants, des voyages et surtout du bonheur et du beurre dans les épinards.
Alors, jamais, non jamais, je ne pourrais te pardonner de ne pas être venu devant l’hôtel pour me dire « Oui ». Même un non aurait été plus excusable. J’aurais pu le mettre sur le compte d’une forte émotion, d’un moment d’inattention ou d’un soudain délire de persécution.
Au lieu de cela, TU N’ES PAS VENU.
Quand je suis arrivée sur le parvis de la mairie, je n’ai pas tout de suite compris le pourquoi de ces visages figés. J’ai d’abord cru que, comme à ton habitude, tu étais en retard, où que tu voulais faire un effet « le tant attendu des marches de Cannes » avec ton légendaire humour à deux balles.
Mais non.
Alors, lorsque ta mère m’a annoncé que tu t’étais enfui, j’ai réalisé à quel point je pouvais te détester. Et crois-moi, c’est bien plus fort que l’amour.
Par contre, là où tu dois avoir raison : Il vaut mieux ça qu’un divorce ! Alors bravo, bravo pour cette initiative ! Et pour l’anticipation des économies.
Quand j’y pense, toute notre vie était à crédit, même notre amour : il est grand temps que tu paies cash !
Ton père avait bien essayé de te retenir, quand tu as enfourché ta moto (payée à crédit elle aussi, je te le rappelle), mais rien à faire…la bête s’est envolée.
Après avoir encaissé le coup de ton « échappée », grâce à un Xanax que Mireille avait miraculeusement dans son sac, j’ai décidé que finalement, perdu pour perdu, on ferait la fête. Hors de question de perdre tout l’investissement moral, physique (deux heures d’attente pour mon chignon et six mois de régime WW ) et financier engagé pour « ce mariage » (tu vois, je dis déjà « ce » : les séances de développement personnel, ça marche !).
J’ai gardé ma robe toute la journée. J’avais demandé à Josiane de me ramener mes nouvelles Converses blanches pour être à l’aise, vu que je n’avais plus besoin d’être à ta hauteur. Avec le recul, force est de constater, que c’est toi qui aurais dû mettre des talons quand tu m’as rencontrée.
J’étais « sapée » comme jamais et je me suis éclatée. J’ai même réussi à pleurer de rire…c’est la première fois que ça m’arrivait. Et ça fait un bien fou ! J’ai même demandé aux invités de faire comme si tu n’existais pas, j’en avais besoin pour commencer dès aujourd’hui à me reconstruire où plutôt à m’épanouir. Eh bien, figure toi que ton bon ami Paul ne s’est pas fait attendre et qu’il m’a même applaudie pour cette « délicieuse » initiative.
Il est vraiment bien. Je ne comprends pas pourquoi tu ne l’as jamais invité chez nous. Il a fait ma soirée, jusqu’au petit matin. Comme quoi, un de perdu…
Cette lettre tu vas la voir partout ! Je vais l’envoyer à chaque invité sur papier glacé pour immortaliser ton ingratitude. Sur les réseaux aussi. Imagine ! 150 convives, rien que ça !
Ah oui, j’oubliais. Dans ta précipitation, tu as laissé ton blouson avec ta carte bleue à l’intérieur. Il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver le code de ton compte perso. J’ai eu le temps de te reprendre ce que je considère être ma dot.
J’en profite pour remercier tous les invités de leur présence, en leur promettant que je remettrai le couvert !
Au plaisir !
Bien sans toi,
Manon.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Excellente nouvelle, remplie d'humour et de fantaisie. Le personnage centrale de Manon est efficace drôle et plein de ressources. Je recommande cette lecture si vous voulez passer un bon moment.
@Valérie Zalewski, un nouveau roman sur ce thème, ça promet (hi hi !). Il est possible que ses oreilles commencent à siffler.
Bonne continuation... et beaucoup de plaisir dans l’écriture de ce projet de roman.
Avec toute ma sympathie. MC
"Je vais l’envoyer à chaque invité sur papier glacé pour immortaliser ton ingratitude." Quelle douce vengeance...
Jolie lettre, joli ton, un plaisir à lire.
@Valérie Zalewski, une excellente idée que ce mariage raté pour répondre au thème d’écriture "Rien ne s’est passé comme prévu".
J’ai beaucoup apprécié l’idée, l’humour... et la vengeance qui l’accompagnent, surtout la nuit avec son bon ami Paul et la carte bleue oubliée dans le blouson. Manon est une femme qui force l’admiration. Pas de solidarité masculine dans cette histoire de lâcheté, mais beaucoup de bienveillance envers la victime de cette lâcheté.
Félicitations, Valérie ! Avec toute ma sympathie. MC
@ valerie zalewski
Ça s’appelle de la résilience ! Mais quand ça arrive « pour de vrai » ça doit être très dur à vivre. Merci pour ce joli exercice
C'est la carte bleue, le problème . Le reste il devait s'y attendre...