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Le 16 oct 2020

A son réveil, rien n’avait changé. Emma C - Bien pire encore...

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7h15. Flocon, comme chaque matin, grattouillait du bout de la patte ses cheveux, son front et son sourcil droit en ronronnant. Tirant un peu sur les draps le chaton vint, comme à l'accoutumé se blottir au niveau de son cou pour mieux roucouler, comme le font les chats bienheureux. Pas besoin de réveil avec un chat si affectueux ! Pourtant, ce jour-là, Flocon était aussi pesant qu'un rhinocéros si bien qu'elle se sentait étouffer. Elle essaya de le pousser mais le petit chat, tel un poids mort, ne bougeait pas. Elle parvint à se dégager un peu et elle appuya sur le bouton radio du réveil pour écouter les infos du jours. Elle n'entendait rien d'autre que le ronronnement puissant du chat qui enflait comme une rumeur, d'abord sourde et lointaine mais au fur et à mesure plus stridente. Ce vacarme ne parvenait toutefois pas à la tirer de sa torpeur. Bien au contraire ! Elle replongea brutalement dans les abysses du sommeil.

Les rayons de lumière estivale éclairaient déjà des bouts d'étagères et des morceaux d'objets pêle-mêle quand elle émergea à nouveau. Le grand désordre actuel de sa chambre résonnait avec ce qui lui semblait avoir toujours été son grand désordre intérieur. Le chaos... Il suffisait de promener son regard pour le constater. Quelle tornade avait en partie dégondé les portes des armoires, arracher de leurs coulisses les tiroirs des commodes, briser le miroir de la coiffeuse ? La grande armoire éventrée avait vomi des monceaux d'habits entortillés sur eux-mêmes qui, vaincus, jonchaient le sol. Les livres aussi hoquetaient, disloqués, des pages déchirées. L'effondrement avait bien eu lieu. À ce spectacle désolant, elle se sentait elle-même démembrée.

La douleur lui fit pousser un tel hurlement qu'elle s'éveilla subitement. Et tout ce qu'elle venait de voir s'évanouit d'un seul coup, comme par magie... Mais la réalité était bien pire encore. Elle eut aimé que ce fût un cauchemar mais, malheureusement, à son réveil, rien n’avait changé. Elle avait le même goût infect de sang qui lui avait maintes fois soulevé le cœur avant de sombrer dans un sommeil inespéré. Ses gencives tuméfiées pulsaient encore, sa tête cognait sourdement. La paupière droite boursouflée rendait sa vue trouble. Il lui semblait qu'on lui enfonçait sans cesse des poignards dans les yeux. Ses membres restaient gourds. Et elle suffoquait. Les murs semblaient encore et toujours se pencher davantage sur elle pour l'ensevelir. Ces pieds qu'on n'avait pas encore mutilés pointaient comme chaque matin vers la lucarne qui donnait sur un mur aveugle. Il faisait encore sombre. Mais, par intermittence, de fugaces rayons de lumière électrique, passant par les interstices de la porte, projetaient des ombres autant informes que menaçantes. Elle ne s'était pas encore accoutumée à l'âcre odeur de salpêtre, d'urine et de merde, de sang, d'air vicié et de terreur mêlés. Haut-le-cœur puissants !
Était-ce l'habituel ploc ploc d'un invisible robinet, le fracas des portes, les hurlements et les

lamentations, les cliquetis successifs des clés dans les serrures ou encore l'amplification de clameurs métalliques qui l'avaient réveillés ? À moins que ce ne fût cette douleur épouvantable qui prenait son visage et son corps en étau et les broyait continûment. Cette souffrance la tenaillait tant qu'elle ne pouvait plus bouger.

Depuis combien de jours subissait-elle tout cela ? Les sommeils brefs. La souillure et la torture généralement si bestiales mais parfois étonnamment raffinées, l'incompréhensible chantage et les humiliations insensées qui avilissaient les bourreaux eux-mêmes. C'était l'être humain en elle qu'on voulait anéantir ! Elle l'avait très vite compris. Mais elle se surprenait aussi. Pourquoi, malgré la géhenne, n'avait-elle encore rien dit, ni de l'organisation, ni de ses membres, ni de la prochaine action qui se préparait, ni même de son propre rôle ?
Chaque jour depuis qu'on l'avait arrêtée, on la tirait par les cheveux hors de sa cellule et on la menait à coups de pieds jusqu'à l'endroit où elle serait torturée. Elle avait l'impression que jour après jour elle sombrait. Qu'elle s'enfonçait toujours plus profondément dans le ventre de l'enfer et de l'ignominie. Combien de temps parviendrait-elle encore à tenir ? Quels nouveaux sévices allait- elle encore subir aujourd'hui ?
Dans la pénombre de son cachot flotta, lumineux, un sourire familier et des yeux aimants. Le souvenir d'un serment fait, bien avant son arrestation, la mit au bord des larmes. Pourrait-elle tenir encore sans trahir personne ? Elle eut aimé avoir sur elle un comprimé létal.

Soudain, sa personne tout entière frissonna car s'approchaient insidieusement des pas désormais familiers qui rendirent silencieux, pour elle, tout le vacarme ambiant. Des pas impatients... Exultants ! Des pas comme des milliers de sourires carnassiers qui se repaîtraient d'avance d'un spectacle extraordinairement sordide. Les pas, réguliers, s'approchaient. Secs. Précis. Aujourd'hui, il lui semblait que ces pas étaient triomphants. C'est comme s'ils sonnaient le cor...
Le claquement de ses dents ? L'emballement de son cœur ? Peut-être les tressaillements de son corps ? Ou encore la sueur et l'urine qui l'inondaient ? À ce moment-là, qu'aurait-elle pu contrôler ? Rien du tout !
Les pas se rapprochaient...

 

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Bonsoir @Martine Plouvier-Vivien, @Phillechat 2 et @Zoé Florent !
Mille mercis à tous trois pour votre avis. Je suis très touchée et honorée que vous ayez apprécié ce texte.
Sincèrement,
Emma

Publié le 04 Novembre 2023

Bonjour @ Emma.C,
Un récit très bien mené, qui commence doucement et va crescendo pour nous plonger dans la terreur vécue par le personnage. Bravo !
Martine

Publié le 17 Octobre 2023

C'est terrifiant !

Publié le 16 Octobre 2023

Bonjour @Emma C.,
Le sujet de la barbarie est inspirant ; inépuisable, malheureusement...
Vous avez su en faire une nouvelle immersive, aux mots percutants, que j'ai appréciée.
Merci pour cette contribution, félicitations pour votre distinction et bon dimanche.
Amicalement,
Michèle

Publié le 08 Octobre 2023