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Le 29 Jan 2024

Écrire sur son enfance… Par Marie Berchoud pour monBestSeller

L’enfance est certainement un des thèmes d’écriture parmi les plus riches et puissants. Ecrire sur son enfance peut cependant devenir dangereux, car on part dans la débâcle de la mémoire, et, vite, la surface des choses peut se retrouver envahie de blocs de glace dégurgités par la nostalgie et les tabous.
Tribunes mBS : ÉCRIRE SUR SON ENFANCE… Par Marie Berchoud

Premiers questionnements : la légitimité à se raconter.

Qui ça peut intéresser ? Les personnes que j’aime. On commence…

Ensuite, que prélever dans ce magma, où tout tient tout ?

Quels événements-clés ? Naissance, anniversaires, fratrie, origine familiale, chance et/ou drames éventuels (migrations…)

Et puis, quelle forme choisir ?

À qui je parle ?  ce n’est qu’à moi, et je compose un journal intime : description, récit de souvenirs et puis… une phrase vient par effraction, par exemple : cet homme qui nous guettait et essayait de nous attraper…. Il a réussi ? L’eau de la mémoire se trouble et le loup de La Fontaine dit à l’agneau :  "Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?"

Maman nous disait cette fable et je m’enfuyais en hurlant, elle était un peu sadique, je lui ai présenté la note, elle a reconnu les faits. Puis j’ai commencé à écrire pour moi et au-delà, pour les autres. Hardie, je le suis devenue. École de maman non nulle, elle voulait endurcir ma sensibilité ? Bah, il y a prescription, et puis elle a vieilli, elle se souvient en bribes et parfois des larmes automatiques s‘écoulent de ses yeux et descendent le long des sillons vers sa bouche.

Et voilà, nous y sommes !

Tu n’es pas un. Tu es un entrelacs, de toi-même pour commencer, et de tes ascendants. Tu n’es qu’un morceau d’histoire. Un bout de chiffon cousu à un autre. Si tu l’ignores ou si tu choisis de l’ignorer, tu y tomberas, dans le vide. (David Naïm)

Il guette, le danger, car il est bien rare qu’on aille écrire des centaines de pages primesautières sur une suite de souvenirs riants. Les gens heureux n’ont pas d’histoires (à raconter pour nous tenir en haleine). Tolstoï fait ainsi débuter son Anna Karenine : "Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon." L’intérêt littéraire semble résider dans le sombre. Aussi, faut-il une bonne dose de hardiesse et une certaine forme de témérité pour ouvrir la trappe aux souvenirs.

Passer du journal intime, au témoignage, d’accord, mais comment faire pour que l’enfance fasse littérature ?

La clé, vous l’avez trouvée : écrire ! Et développer des échanges entre lecteurs par affinités. Il y a des risques : se planter, être à côté, n’intéresser personne ; mais aussi des chances de découvertes et d’affinités.

Écrire et partager sollicite chez autrui sa propre enfance réverbérée :

– Les secrets sur la naissance, la filiation, la perte de tel ou telle,

– Les douleurs de tel ou tel parcours… on se croyait solitaire dans la douleur et s’interlire révèle que non, c’est une belle découverte.

– Les relations aux parents, grands-parents, belle-mère, beau-père, pays divers, source inépuisable de parentés et diff-errance !

Comment faire littérature avec cette si chose si intime et tellement fantasmée qu’est sa propre enfance ?

Vous qui finissez de lire cet article, vous êtes-vous posé la question ? Avez-vous déjà fait l’expérience ? Comment avez-vous pratiqué ?

– Avez-vous pris appui sur une particularité de votre histoire ?
– Avez-vous décidé d’inventer une autre histoire à partir de la vôtre ?
– Avez-vous préféré translater votre vécu en contes, en fables, en sketches, en une histoire racontée à la troisième personne ?
– Et surtout, comment avez-vous fait pour écrire sur cette mémoire ?

 

Marie Berchoud

 

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12 CommentairesAjouter un commentaire
DEC

Évoquer son passé, notamment son enfance, revêt une nature salvatrice, bien que cette vertu soit inextricablement liée à la profondeur avec laquelle on explore les méandres de ces souvenirs. Il apparaît que l'attribution de significations aux expériences révolues est proportionnelle à la capacité de dissoudre les mémoires psycho-affectives qui perturbent le cheminement de la conscience et, par conséquent, notre quotidien.

Publié le 03 Février 2024

Visibles ou invisibles, les petits chemins de l’enfance sont omniprésents dans l’écriture…
Comment pourrais-je être différent de celui que j’ai été ?
Parler de son enfance est un leurre, on s’imagine parler de soi, mais la réalité est tout autre. Elle décrit des univers, des lieux, des conditions de vie et des adultes conscients ou inconscients de leurs pouvoirs et de leurs erreurs. Si vous élevez, ou si vous avez élevé des enfants, demandez-vous ce qu’ils pourront écrire…
J’espère ne pas être hors sujet…
Cela dit, le sujet est vaste !

Publié le 01 Février 2024

@Natalia Clément Demange : totalement d'accord avec vous sur "Toujours une part de fiction dans un récit comme le dit @LAULAULA mais aussi une part de réel dans chaque fiction..." Bien sûr, la vie recomposée au filtre de la mémoire et des émotions, même avec l'aide de photos, est une re-composition. C'est aussi un partage et il est pour moi essentiel. Que serait un texte sans ce partage de l'intime ? Sans cette communion par l'enfance et les secrets, les émotions ? Et donc, partager de l'intime, c'est forcément prêter et emprunter. Un dernier truc rigolo, dans mon centre de recherche à la fac, j'avais choisi l'axe INTIME ! J'ai fait enquêtes et même commis des papiers...

Publié le 31 Janvier 2024

@Michel Canal. L'enfance... "thème riche et puissant", ai-je dit. Modérons, comme vous le faites : cela dépend pour qui. Dans bien des cas, il vaut mieux tourner la page, oublier, passer à autre chose. Bien sûr, être adulte, c'est ça. MAIS... parfois on pense avoir tourné la page, oublié, pris de la distance en laissant venir et mûrir les jeunes générations mais, à un moment inattendu, ladite enfance vous saute au visage comme un chat sauvage ! ce peut être à l'occasion d'un deuil, d'une agression, d'un accident (cas récent d'une amie à qui je viens de parler) : c'est un signal, tu dois te remettre à l'établi et usiner. Ainsi ai-je fait : dans un carton chez ma mère (qui me sommais de la débarrasser enfin !) j'ai retrouvé des pages écrites adolescente puis jeune adulte, et oubliées (mariage, etc.), alors tout est revenu, explosant coeur et poumons, j'ai relu, incrédule, et alors j'y fus de nouveau. Avec la certitude que, cette fois-ci, je ne devais pas vieillir sans avoir résolu donc finalisé ce texte - que j'ai porté au jour sur MBS

Publié le 31 Janvier 2024

@Fanny Dumond3. Oui "Nous laissons tous dans nos histoires des parts de nos premiers pas dans cette aventure qu'est la vie, parce que c'est nous, tout simplement". Et j'ajouterai: parce que ce NOUS rencontre le JE de chacun-e et s'y reconnaît parfois et noue des relations, et alors on avance...

Publié le 31 Janvier 2024

@Laulaula. Merci pour ce mot de commentaire ! Oui "il y a toujours une part de fiction dans un récit" : JE ne suis plus celle que j'étais, il y a recomposition, pertes, reprises, expériences autres, et bien sûr, les évolutions de l'âge, de la famille.
Pour autant, faudrait-il ne pas dire ? Le plus juste consiste à situer : oui je suis adulte et oui, j'ai pris de la distance.
D'ailleurs sans distance, on n'écrit pas ou on ne mène pas à terme un écrit, on lâche et pose et repose des bribes ; et le temps passe, ce "grand maître", selon Musset - qui ajoute "le malheur est qu'il tu ses élèves" ! mais peut-être est-ce notre mortelle condition qui nous oblige : à la mémoire, à la lucidité, à l'acceptation de la perte... alors on raconte. Qu'en pensez-ous ?

Publié le 31 Janvier 2024

L'enfance, ce moment de découverte de la vie, de tâtonnements, de questionnements, d'incompréhension, parfois, du monde des grands, a fait de nous les adultes que nous sommes devenus. La liste des autobiographies d'écrivains est si longue que c'est impossible de la dresser. Nous laissons tous dans nos histoires des parts de nos premiers pas dans cette aventure qu'est la vie, parce que c'est nous, tout simplement.

Publié le 31 Janvier 2024

@Marie Berchoud
Merci pour votre article dont le thème m'inspire également. Je crois que les premiers romans sont souvent inspirés de soi, une partie que l'on souhaite déposer quelque part, l'inscrire dans le marbre, si c'est écrit c'est que cela a existé? ou peut-être pas mais je crois que le déclic de l'écriture nous surprend en même temps que les éléments se dévoilent. Même les romans non autobiographiques peuvent se révéler un peu trop proches d'une certaine réalité. Toujours une part de fiction dans un récit comme le dit @LAULAULA mais aussi une part de réel dans chaque fiction... C'est d'ailleurs le thème de mon roman La folie de l'exil!

Publié le 31 Janvier 2024

Le titre de l'article "Écrire sur son enfance..." limite la durée de la période à évoquer par l'écriture, malgré les points de suspension — qui inviteraient à aller plus loin ? — : jusqu'où dans l'adolescence ?
Ceux qui ont commenté semblent s'affranchir de cette limite.
"un des thèmes d’écriture parmi les plus riches et puissants" : il faut vraiment avoir eu une enfance exceptionnelle pour avoir envie de la relater en la sortant du cercle familial, tant "l'intime", comme vous l'évoquez si bien dans la dernière question : "Comment faire littérature avec cette si chose si intime et tellement fantasmée qu’est sa propre enfance ?" est sous-jacent, inévitable, l'essence même de ce que l'on pourrait avoir à raconter.
La suite de l'incipit de présentation : "Ecrire sur son enfance peut cependant devenir dangereux, car on part dans la débâcle de la mémoire..." confirmerait ce qui est énoncé précédemment, le ramenant à une enfance exceptionnelle, suffisamment digne d'intérêt pour la relater.
Voilà donc une idée qui nous interpelle. Susceptible d'aider ceux qui se sentiraient pousser des ailes pour se lancer dans cette aventure mémorielle. Et qui ouvre des perspectives diverses et variées au vu des quelques commentaires déjà déposés.
Merci pour ce partage, @Marie Berchoud.
MC

Publié le 31 Janvier 2024

Bonjour Marie
Quel sujet intéressant et pertinent!
On écrit pour la plus part d entre nous en s'inspirant de notre vécu. J' en reste persuadé.
Et l enfance est une véritable mine d'or parfois parsemé d'épines plus ou moins profondes . Cette souffrance cette nostalgie est un véritable moteur .Ces souvenirs me font avancer dans l écriture sans tomber dans le pathologie ils sont souvent romancés car on prend de la distance avec le recul et la sagesse.
J écris naturellement ce que je suis ,ce que je ressens intuitivement ce qui fait de nous des êtres humains et non des robots .
Merci d avoir induit ce sujet .

Publié le 30 Janvier 2024

Bonjour Marie. Quel sujet ! Et je rejoins @LAULAULA : "pour chaque souvenir on peut tirer des multitudes de versions". J'ai cette chance extraordinaire d'avoir une enfance digne de Barnum (le cirque), avec des parents pet au casque, source inépuisable de récits épiques et abracadabrantesques. Une histoire que j'ai déjà racontée quelquefois, et que je me promets de reprendre bientôt, en y incluant d'autres personnages, d'autres histoires de fous, et en me retirant du récit à la première personne.
Que nous fantasmions notre vie, cela ne fait aucun doute.
Mais quid de l'écriture de tout cela ?
Il y a un point que tu n'as pas abordé dans ton article (sujet d'un prochain ?), et pourtant je sais qu'il t'importe : l'intime.
Si j'écris, je deviens écrivain (avec plus ou moins de bonheur, mais tout de même). Quel est le rôle de l'écrivain ? Est-il de se mettre en scène ou plutôt de transcender une histoire personnelle pour lui donner des dimensions universelles ? Jusqu'ou peut-on aller dans l'intime ? Faut-il dire ? Tout dire ? Je crois qu'à partir du moment où l'écrit est publié (donc, donné à lecture), la rubrique dans laquelle on le range doit parler d'elle-même : près de l'intime = témoignage (à moins d'écrire comme un dieu ou une déesse), mais dans toute autre rubrique : fiction. Par respect pour le lecteur qui n'est ni un confident, ni un proche, ni un psy et qui doit trouver dans sa lecture sa dose d'évasion, d'invraisemblance, de bonheur, de joie, d'étonnement, de transcendance, de vitalité, d'énergie, en bref, tout ce qu'un texte tient en promesse.
J'espère que tu auras de nombreux commentaires, car qui n'a jamais pensé à écrire sur son enfance ?

Publié le 29 Janvier 2024

Bonjour Marie, merci pour cet article ! La question est tellement complexe... je dirais qu'il y a toujours un peu de soi dans un livre qu'on a écrit soi-même (oui on est obligés de preciser) mais le lecteur trouvera aussi peut-être un peu de lui. Le curseur entre "de petits bouts distillés, mixés, mélangés avec d'autres histoires, vraies ou inventées" et le récit de ses souvenirs "exacts" est très large. Et d'ailleurs pour chaque souvenir on peut tirer des multitudes de versions. Jusqu'à en perdre la tête. Suis-je bien sûr que je ne l'ai pas inventé ? Est-ce que ça s'est vraiment passé comme ça ? La vérité existe-t-elle ? La mienne est-elle la même que celle des autres ? Ais-je la même vision de l'événement aujourd'hui, dans 10 ans, il y 20 ans ? Donc pour toutes ces raisons, je préfère écrire de la fiction. Mais certains témoignages sont intéressants, romancée ou non, même si je pense qu'il faut quand même partir du principe qu'il y a toujours une part de fiction dans un récit. Bien à vous

Publié le 29 Janvier 2024