Actualité
Le 18 oct 2023

Mon admirée

Portrait d'une "rencontre fortuite"

Le jour où je l'ai enfin retrouvée, j'ai eu la confirmation de deux choses : elle était bien la femme de ma vie... et j'allais tout mettre en œuvre pour l'assassiner. Le plus tôt serait le mieux.

 

Je suis en train d'écrire cette lettre dans une chambre de cet hôtel interlope, situé non loin de la gare de la petite ville de N***. Quant à son destinataire, j'hésite encore.

La fenêtre est ouverte. En même temps que les cris des enfants qui jouent sur la placette devant l'établissement, des odeurs de porc grillé en provenance de la rôtisserie jouxtant l'hôtel pénètrent dans la pièce. Tout autre homme que votre serviteur s'empresserait sans doute de refermer la croisée, tant ces puissants effluves lui remémoreraient des faits... des actes... et bien mon Dieu, des évènements qu'il préférerait oublier. Ce n'est absolument pas mon cas.

 

Il faut que je vous décrive cette femme. L'expression "belle et intelligente" est d'un commun extraordinaire... Pourtant, c'est bien celle qui venait à l'esprit de quiconque avait eu loisir de fréquenter cette noble représentante du beau sexe. Je me demande d'ailleurs pour quelle raison la beauté devrait précéder l'intelligence ; on peut m'objecter que c'est l'aspect physique qui transparaît en premier, avant même que la personne en question ait pu prononcer un mot. Cependant, si l'on a été capable d'évaluer la profondeur de pensée d'une femme, c'est bien que l'on a eu le temps de la côtoyer un tant soit peu, et alors on n'est plus dans le contexte d'un premier coup d'œil !.. Quoi qu'il en soit, j'avais bien conscience en effet de son front aristocratique, de sa bouche sensuelle, de son beau rire si prompt à fuser... mais c'est surtout parce qu'elle était femme d'esprit que j'avais été pris dans les rets de son attachante personnalité.

 

Tout en écrivant ces mots, je ne peux m'empêcher d’humer, à petites bouffées voluptueuses, cette odeur qui me rappelle tant les derniers moments que j'ai passés en sa compagnie. J'avais consciencieusement réfléchi à la meilleure manière de la faire disparaître. Un accident maquillé était la première idée qui m'était venue en tête. Je l'avais cependant rapidement écartée. Il fallait que le meurtre soit reconnu en tant que tel. Pourquoi n'assumerais-je pas mes actes ? Cela relevait de ce que je ne peux nommer autrement que "moralité de l'assassin".

Avant de mettre le feu à la camisole de force imbibée d'essence dont je l'avais revêtue, j'aurais pu l'assommer. Je m'étais contenté de la bâillonner : je voulais croiser son regard.

En approchant ma torche, j'ai vu défiler sur l'écran noir de ses pupilles toutes ces années passées à rechercher sa trace. Les innombrables requêtes à l'administration. Le détective incapable que j'avais engagé à grands frais. Les fausses pistes et les échecs. Puis la surprise et la joie sans mélange lorsqu'enfin je l'avais fortuitement débusquée dans les arcanes de l'État civil.

Mon admirée.

Mon aimée.

Ma mère.

 

                                                                                              Emmanuel Tankaleshine

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"Avant de mettre le feu à la camisole de force imbibée d'essence dont je l'avais revêtue, j'aurais pu l'assommer. Je m'étais contenté de la bâillonner..." Pour moi, ce n'est pas gore mais d'une perversité diabolique !
Pour autant, bien que ce ne soit définitivement pas ma tasse de thé, force est de reconnaître que cette nouvelle est une réussite dans son genre ;-).
Amicalement,
Michèle

Publié le 23 Octobre 2024

Bonjour,

En effet, cette histoire est bien sombre, mais sans pour autant plonger dans le gore : pas d'épandages inutiles d'hémoglobine ni de description insistante de scènes de violence.
On ne peut que deviner ce qui motive une pareille vengeance, d'après les indices qui n'apparaissent que dans le début de la première phrase et le paragraphe de fin. Belle réussite !

Publié le 20 Octobre 2024

Rien de gore dans tout cela, je n’ai réussi à voir, dans cette nouvelle, autre chose que les poncifs freudiens mille fois rebattus, de cet inconscient nous révélant la dynamique de l’amour et de la haine. L’assassin-narrateur, en retrouvant celle qu’il décrit comme « la femme de sa vie », révèle par son désir de meurtre, un Œdipe non résolu. La présence maternelle, d’abord sublimée en une figure intellectuelle et séductrice, annonce déjà le besoin de s’en libérer. Tentative désespérée d'échapper à son emprise, le matricide symbolise ainsi la rupture avec cette dépendance infantile. Pulsions contradictoires entre adoration et violence, qui ont fait la fortune du vieux Sigmund.

Publié le 19 Octobre 2024