En quoi les Algorithmes peuvent ils servir le projet d'un auteur ?L’image publique de l’auteur, que les maisons d’édition construisent au prix de colossaux investissements, est le moyen de faire connaître les œuvres. En tout cas, les deux (auteur et œuvre) sont indéfectiblement liées. Que seraient les livres de Houellebecq sans Houellebecq, d’Amélie Nothomb sans Amélie Nothomb ? Etc. Et même d’Elena Ferrante, sans le mythe de l’auteure inconnue ?
Pour l’auteur autoédité, le levier s’appelle Algorithme.
>> Comment un auteur inconnu et auto-édité peut-il intéresser les algorithmes ?
Nous vous avons proposé précédemment un article développant la notion d’image d’auteur. Nous concluions cet article par une série d’idées inspirantes, et c’est la dernière sur laquelle nous voulons revenir.
La durée : Visez la constance, pas l’éclat. En matière d’image, la confiance vient avec la régularité, pas avec le buzz.
Durée = constance versus éclat, buzz.
Confiance = régularité.
Une fois l’image créée — ses contours définis, ses caractéristiques solidement implantées — vient le temps de la durée. C’est toute la différence que Machiavel faisait entre conquérir et conserver. Dès lors se posent des questions, dont une essentielle : qu’est-ce que la constance (dans l’image) ? Est-ce une sorte de « Faites silence. Ne bougez plus." ?
Une image d’auteur doit-elle être pensée comme une borne sur la route des lecteurs ? Un lieu fixe, inamovible. Certains auteurs pensent qu’une image forte serait une image fixée, stabilisée, presque vitrifiée.
Faut-il devenir un monument immobile pour durer ?
Faudrait-il pour être « reconnu » ne jamais rien changer ? Comme une marque de biscuits, dont on attend toujours le même goût, la même présentation. Autrement dit, l’image d’un auteur repose-t-elle que les mêmes principes qu’un produit de consommation ?
La réponse est non. Un profil cohérent, d’accord. Mais toujours écrire les mêmes phrases, défendre les mêmes idées, enfoncer le même clou à l’aide du même marteau n’est pas la bonne stratégie.
Considérer l’image d’auteur comme une donnée figée, inamovible — où toute évolution serait une trahison, où la confiance ne pourrait naître que dans l’immuabilité — serait une erreur grossière.
Une identité littéraire n’est pas une forme gravée dans le marbre. La constance n’est pas l’immobilité, les lecteurs ne veulent pas d’un auteur-fossile (à moins qu’il soit mort).
>> Des artistes qui ont changé. Et qu’on n’a jamais oubliés.
Prenons un instant pour sortir de la littérature. Pensez, par exemple, à Johnny Hallyday : rockeur, crooner, chanteur populaire, bluesman… il a tout essayé.
Il a flirté avec l’Amérique, les synthés, les guitares lourdes, les duos improbables.
Mais à chaque époque, on reconnaissait Johnny. La voix, la tension, la silhouette. Plus il changeait, plus il devenait Johnny.
Même chose pour Ray Charles : du gospel à la country, du jazz à la soul, il a brassé large du honky tonk à l’orchestre symphonique, il a mêlé sa voix à toutes les formes de musiques… Mais c’était toujours Ray Charles.
Car ce n’est pas le style qui fait l’identité, mais la voix intérieure.
Et en littérature ?
– Romain Gary, alias Émile Ajar, a changé de peau. Mais son regard tendre et subversif sur les exclus, lui, n’a pas bougé.
– Marguerite Duras a effacé peu à peu ses phrases. Mais c’est toujours la même faille amoureuse, le même silence tremblant qui traversait son œuvre.
– Stephen King passe du fantastique à l’intime, du thriller à l’autofiction… mais on le reconnaît à l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, à cette peur sourde qu’il tisse dans les détails du quotidien.
Ces artistes ont duré parce qu’ils ont bougé. Parce qu’ils ont eu l’audace de changer de forme sans changer de souffle.
>> Ce que les lecteurs recherchent chez les auteurs : la fidélité à eux mêmes et l'honnêteté
Les lecteurs ne veulent pas d’un auteur figé. Ce qu’ils recherchent, c’est un auteur fidèle à lui-même, ce qui ne signifie pas « figé dans sa posture ». Ce qu’ils veulent, c’est pouvoir reconnaître une voix, même quand elle change de décor. Un auteur qui doute, qui cherche, qui tente, qui rate, qui revient, et qui n’hésite pas à reconnaître qu’il s’est trompé, c’est un auteur vivant. Et c’est cela qui crée l’attachement.
Ce n’est pas l’uniformité qui rassure. C’est la cohérence profonde.
Les lecteurs, contrairement à ce qu’on croit parfois, ont une mémoire très fine. Ils se souviennent de ce qu’ils ont éprouvé quand ils vous ont lu deux ans plus tôt (s’ils vous ont oublié, c’est mauvais signe !). Ils remarquent quand votre ton devient plus dur, ou plus doux. Ils perçoivent si votre image d’auteur se transforme lentement — ou si vous jouez soudain un rôle.
Ce qu’ils cherchent ? Un univers qui les inspire et qui grandit. Une personnalité en mouvement, comme eux : une personnalité qui cherche, se trompe, tombe, se relève.
Un style qui évolue, mais en gardant son nerf, son souffle.
>> Et les algorithmes, dans tout ça : ils sont prévisibles ?
On les évoque souvent comme des juges obscurs qui font la pluie et le beau temps dans le monde numérique. Mais en vérité, ils sont non seulement prévisibles, mais par certains côtés, ils ressemblent beaucoup au fonctionnement humain de prise de décision. Et pour cause…
Les algorithmes ne favorisent pas les auteurs qui se figent dans une posture. En revanche, ils favorisent ceux qui persistent.
Un algorithme est un trieur automatique de contenu, chargé de montrer ce qui a le plus de chances d’être vu, aimé et partagé.
L’algorithme ne lit pas votre texte. Il mesure ce que vous dégagez.
Ce qu’il aime par-dessus tout :
– La régularité (publier un peu souvent vaut mieux que beaucoup, rarement)
– La cohérence sémantique (rester dans un univers reconnaissable, même si les sujets varient)
– Les interactions naturelles (répondre aux commentaires, générer de la conversation)
– La qualité du lien (si vos lecteurs reviennent, il vous remontera dans la « vitrine »)
Ce qu’il déteste :
– Le silence prolongé
– Les publications erratiques
– Les changements brutaux de style ou de sujet (sans transition)
Autrement dit :
>> L’algorithme n’aime pas l’immobilité, mais ce qui avance à petits pas toujours dans la même direction.
>> Vous avez le droit (voire le devoir) de changer, mais vous ne pouvez pas effacer le passé
Comment, alors, faire vivre une image d’auteur vivante, évolutive, humaine — sans devenir flou ni imprévisible ?
La réponse est simple : cultivez la continuité, pas la fixité.
– Si vous évoluez, dites-le.
– Si vous changez de genre, reliez-le à ce qui vous anime depuis toujours.
– Si vous avez besoin de silence, annoncez-le.
Loin d’être une vitrine, comme on pourrait le croire aisément, votre image est un organisme vivant. Elle peut vieillir, se transformer, se densifier, se retourner… aussi longtemps qu’elle ne trahit pas votre voix. Bien entendu, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous dire que c’était mieux avant, ou que vous n’aviez pas dit cela trois ans plus tôt… Dans ce cas, pensez à Johnny, à Ray, à Marguerite…
>> Idées inspirantes pour une image d’auteur vivante, humaine, réjouissante… et traçable par les algorithmes
… car votre image n’est pas une marque de lessive. Ce que vos lecteurs attendent, c’est du vrai, du juste, en lien avec ce que vous devenez, un prolongement de votre voix, la sincérité des gens qui vivent et se trompent.
1. Réécrivez votre bio comme un fragment de fiction
Et si votre biographie d’auteur était un clin d’œil, une ellipse, un mystère ?
– Une phrase qui suggère plus qu’elle ne dit,
– Un ton qui reflète votre monde plus que votre parcours,
– Un regard sur l’écriture plutôt qu’une liste de titres.
« Je suis né(e) dans une histoire que d’autres ont écrite pour moi sans me demander mon avis, alors j’ai pris la plume. »
2. Faites un post de mue
Vous changez ? C’est magnifique ! Alors, assumez-le, portez la nouvelle avec joie.
– Racontez cette chose nouvelle qui vous anime aujourd’hui.
– Parlez de ce que vous avez quitté, de ce vers quoi vous allez.
– Invitez les lecteurs à suivre ce mouvement.
>> Un changement n’est pas une rupture, mais une saine métamorphose.
3. Redéfinissez vos « valeurs d’auteur »
Prenez dix minutes. Notez ce qui compte pour vous. Ce qui, disparaissant, vous retirerait votre ardeur à vivre, votre joie d’exister.
– La liberté ?
– L’émotion brute ?
– Le refus du consensus ?
– L’humour décalé ?
– Le soin des détails ?
>> Gardez cette boussole. C’est elle qui donnera de la cohérence dans le temps et vous permettra de vivre vos métamorphoses « à ciel ouvert » !
4. Installez une régularité libre
Vous n’avez pas besoin de poster tous les jours, mais vous pouvez créer un rythme identifiable par les algorithmes.
– Le jeudi, un extrait.
– Le 15 de chaque mois, un billet d’humeur.
– Un commentaire offert à un autre écrivain chaque semaine.
>> Rien d’obligatoire. Juste des petits rituels qui vous ressemblent.
5. Laissez respirer votre image
Vous n’êtes pas non plus obligés de bombarder vos amis et followers d’informations construites, hard. Vous pouvez souffler ; l’essentiel est de garder le contact avec les humains et les « petits robots »
– Une photo sans texte pourvu qu’elle enrichisse votre univers.
– Un mot seul, ou une citation, en veillant à ce qu’elle ne soit pas trop galvaudée.
– Une question sincère à vos lecteurs.
>> Votre image n’est pas un costume, mais une peau qui change, vit, épouse vos transformations intérieures.
Pour conclure
Vous n’avez pas à devenir une version stable et marketée de vous-même. Non seulement cela risquerait d’être déplaisant, mais être prévisible est contre-productif. Pensez à Ray Charles : vous n’êtes pas un paquet de lessive qui doit laver toujours plus blanc !
Vous avez à être reconnaissable dans le mouvement. L’auteur et l’algorithme peuvent cohabiter. L’un écrivant avec sa voix, l’autre triant avec ses règles.
Mais ces deux mondes peuvent cohabiter, si vous acceptez cette vérité simple :
L’image d’auteur est une trace, non une pose ; une vibration fidèle, non un slogan ; une mue continue, non une vitrine.
Les algorithmes, à leur façon, sont vivants eux aussi : ils se modifient sans cesse, suivent les flux, flairent les tendances, s’ajustent aux comportements. En ce sens, ils ne sont pas si différents des lecteurs : eux aussi zappent dans la jungle livresque, flairant ce qui capte l’attention.
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Merci pour cet article éclairant !
Oui le nerf de la guerre c’est la régularité. De jeunes écrivains sur Instagram ou Twitter publient sur leur vie, leurs lectures, leurs humeurs du moment et parfois se fendent d’un bon mot. Cela entretient le lien avec les lecteurs mais ça reste difficile sans conseils et sans appui derrière. Beaucoup de ceux que je suive ont pour activité principale l’écriture, ce qui n’est pas le cas de la plupart des auto édités.
Ou ignorer tout ça ??
Bonjour,
Il me semble, au contraire, @Simon BRIEUC, que ce sont là quelques recommandations pour des auteurs que personne ne connaît et qui souhaitent mettre leurs livres en lumière.
@Sylvie de Tauriac : effectivement, Monroe et Wayne étaient des produits de l'industrie du cinéma américain. La froide démonstration de la toute-puissance d'une idéologie et de moyens financiers... de guerre. Mais dans le cas qui nous intéresse, nous parlons d'auteurs dont personne ne connaît même le nom, et dont le grand lectorat se soucie comme d'une guigne. Vous savez, ce sont les grands éditeurs (et uniquement eux) qui font les auteurs... et là, en l'occurrence, nous faisons le pari de nous passer d'eux... et sans un sou ou presque. Nous ne pouvons donc pas raisonner avec les mêmes éléments.
De bons conseils, mais pour des auteurs qui ont déjà un minimum de notoriété.
Merci pour cet article, mais un auteur n'est-il pas également un produit que le lecteur aime retrouver tel qu'il se l'imagine ? : une personnalité, un symbole, une ligne éditoriale. L'auteur serait comme une star de cinéma qui incarne un personnage. Prenons les cas de Marilyn Monroe ou de John Wayne, ces deux acteurs symbolisaient des personnages et les spectateurs ne voulaient les voir que dans ces rôles : Marilyn dans les comédies légères et John dans des rôles de cow-boy un peu macho. Jean Edern Allier ou Amélie Nothomb sont presque déguisés, leurs tenues vestimentaires sont devenues une image de marque immobile. @Sylvie de Tauriac
Merci pour cet article, accessible probablement à certains d'entre nous, mais la notion d'algorithmes restera du chinois pour moi.
Cela veut donc dire que j'agis instinctivement et que j'écris comme bon me semble, formaté par mon éducation, mes lectures, mes formations professionnelles, et riche seulement de mon expérience, essayant de faire de mon mieux selon mes capacités.
Heureusement, je n'avais pas envisagé de devenir un écrivain. Je me satisfais d'être devenu un auteur diversifié en fonction des circonstances, ce que je dois à l'existence de la plateforme mBS lorsque j'ai voulu publier mon premier écrit... et c'est déjà beaucoup !
Je suis curieux de lire ce qu'en pensent d'autres auteurs de la communauté.
Le soleil se lèvera encore demain, et ce soir je me coucherai satisfait de ce que la journée m'aura appris et permis de réaliser.
MC
Merci pour cet article. Je le trouve très bien écrit et il exprime avec finesse et pertinence des conseils que j'avais déjà pu lire quelque part. Cette idée que la régularité (poster régulièrement même peu, plutôt que rarement et beaucoup d'un seul coup), me semble en effet essentielle. J'ajouterais qu'il est parfois difficile pour certains de s'exposer, se mettre en avant. Au-delà du ton, du contenu, de la régularité, il est parfois difficile de surmonter cet obstacle. S'exposer en restant soi-même un maximum, sans chercher à jouer le rôle de quelqu'un d'autre en voulant donne une "image"d'auteur... ce n'est pas toujours facile.