Interview
Le 22 oct 2015

Rentrée littéraire. Monica Sabolo : « Il ne faut pas lâcher ! »

Monica Sabolo Interview"L’auteur est obligé de passer par une certaine souffrance." Photo Mathieu Zazzo

« Crans-Montana » est le quatrième livre de Monica Sabolo et l’un des romans remarqués de la rentrée littéraire. Il figure d’ailleurs dans la première sélection des Prix Interallié et Décembre. Dans ce livre publié aux éditions JC Lattès, l’auteur s’arrête sur une station de ski : Crans-Montana en Suisse, sur une époque trouble : celle des années 60-80 et sur trois filles : Charlie, Chris et Claudia qui fascinent les garçons de la station. Monica Sabolo nous parle de son livre et du travail d’écrivain.

Question: 

Qui sont ces familles présentes à Crans-Montana ?

Réponse: 

Ce sont des familles privilégiées suisses, parisiennes et italiennes qui se retrouvent pour les vacances. Elles viennent d’un milieu social très conventionnel où l’apparence est essentielle. À cette époque, l’émotion occupe peu de place dans les rapports familiaux. Et puis les parents ont vécu la guerre, des drames indicibles, certains ont commis des fautes. Ils n’ont plus envie de parler de ce passé. Ils veulent effacer cette période et que leurs enfants aient une vie différente.

Question: 

On a l’impression que ces enfants, comme les parents, sont déconnectés de leur vie.

Réponse: 

Ne pas évoquer les questions fondamentales de l’existence, ne pas regarder le passé en face, empêche les enfants d’être en prise avec ce qu’ils sont. Eux-mêmes ne posent aucune question à leurs parents afin de ne pas les mettre en danger. Ils sentent bien qu’un territoire trouble existe mais ils se tiennent à distance de ce passé et donc à distance d’eux-mêmes. Ils finissent pas devenir des fantômes...

Question: 

Vous décrivez bien le passage de l’enfance à l’adolescence, notamment la transformation du corps. Ce passage est-il forcément douloureux ?

Réponse: 

La sortie de l’enfance et le passage à l’adolescence, à l’âge adulte est toujours bouleversante. Ce n’est pas forcément une souffrance. Ici, elle est due à ce que je perçois de cette époque. Le silence règne dans les familles, aucune transmission n’est possible. Les mères semblent être de marbre. Elles sont désincarnées, ne parlent de rien avec leurs enfants. Tout est corseté. Et en même temps, il existe une grande liberté. À l’époque, les petites filles posent pour des photos érotiques avec la bénédiction de leurs mères… Dans le roman, les trois filles peuvent sortir, coucher. Mais elles ne sont pas prêtes, elles n’ont aucun cadre et se retrouvent dans une grande violence.

Question: 

Vous évoquez, en effet, le viol et des premières expériences sexuelles traumatisantes

Réponse: 

Les deux jeunes filles abusées ne peuvent malheureusement pas lutter. Les autres expériences vécues par les adolescentes se produisent car elles ne sont pas conscientes de leur valeur. Ces filles n’ont pas été regardées avec amour, n’ont pas été accompagnées. Elles ne savent pas ce qu’elles ressentent et ne se sentent pas autorisées à s’exprimer.

Question: 

Tous vos personnages passent à côté de leur vie. Qu’aurait-il fallu pour qu’ils soient heureux ?

Réponse: 

J’écris à un moment dans le livre « Tu n’as pas de passé, tu n’as pas d’avenir ». Transporter à l’intérieur de soi des secrets qu’on ignore empêche de vivre. Ce sont des liens invisibles et insaisissables dont on n’a même pas conscience. Pour s’autoriser à avoir du courage, il faut déjà penser qu’on a une existence propre et qu’on peut influer sur sa vie. Ce n’est pas si simple.

Question: 

Comment êtes-vous venue à l’écriture ? Et comment écrivez-vous ?

Réponse: 

J’ai toujours écrit. Quand j’avais entre 7 et 10 ans, j’écrivais des poèmes, des fables. Je réalisais des illustrations. L’écriture est mon mode d’expression et d’évasion.
J’ai pris des pauses, quelques mois sabbatiques, pour écrire mes livres. Dans la journée, j’ai besoin d’avoir de longues plages libres devant moi pour écrire. Si je commence à travailler à 9 h et que je sais que je dois aller chez Monoprix à midi, c’est fichu ! J’ai écrit ce livre en dix mois. Dans un premier temps, j’ai rencontré des personnes qui m’ont parlé de cette époque. Cela a nourri mon imaginaire.

Question: 

« Crans-Montana » est votre quatrième livre. Comment avez-vous contacté les éditeurs ?

Réponse: 

J’ai envoyé mon premier manuscrit par la poste à plusieurs maisons d’édition. J’ai reçu beaucoup de réponses négatives. Je suis même allée chez Flammarion avec mon texte sous le bras, bien décidée à rencontrer l’éditeur. Je le déconseille vivement, il ne m’a pas reçue. Mais oui, on peut encore envoyer aujourd’hui des manuscrits par la poste.

Question: 

Quels conseils donneriez-vous aux auteurs de monBestSeller ?

Réponse: 

Les premières semaines sont les plus difficiles. On doit se confronter à sa propre médiocrité. Il ne faut pas lâcher. Même si ce qu’on écrit n’est pas bien, il faut continuer. Un jour, une petite étincelle surgit. Pour moi, l’auteur est obligé de passer par une certaine souffrance.

Question: 

Devenir écrivain a t-il changé votre vie ?

Réponse: 

Cela a changé mon rythme de vie. Quand j’écris, je plonge dans un monde sous-marin, je mène une vie secrète, aquatique, silencieuse qui me convient bien. J’aime aussi ne dépendre d’aucune hiérarchie et l’idée de me battre contre moi-même pour réaliser quelque chose toute seule. J’apprécie aussi le côté artisanal de l’écriture, ne travailler qu’avec ses crayons ou son ordinateur.

Question: 

Avez-vous un rituel ?

Réponse: 

Avant de commencer à écrire, je lis quelques pages d’un auteur que j’aime. J’ai besoin de trouver une certaine musicalité, un rythme. Je vois aussi dans ces pages un écrivain qui a cru. Plonger dans l’œuvre d’un auteur me remet dans une certaine réalité. J’aime bien lire les journaux intimes qui évoquent l’écriture, le processus créatif. Il y a un mécanisme de création, un travail…

Question: 

Que pensez-vous d’une plateforme comme monBestSeller ?

Réponse: 

J’aime beaucoup l’idée d’un rapport direct entre le lecteur et l’auteur. Le principe d’échanger autour d’un texte est très intéressant. On le fait très peu.

Question: 

Seriez-vous prête à déposer une nouvelle sur le site monBestSeller ?

Réponse: 

Oui pourquoi pas. Mais il faudrait déjà que j’écrive des nouvelles. Et j’ai du mal à travailler sur commande…

Propos recueillis par Clémence Roux de Luze pour monBestSeller

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Bonsoir. Interview intéressante et inspirante. Ne rien lâcher. Oui, même si ce n'est pas facile, il faut se donner les moyens d'avancer, et avancer en s'appuyant sur ses échecs en en tirant des enseignements. Alors ne lâchons pas, restons positifs, et donnons libre cours à la passion d'écrire :-)
Publié le 11 Novembre 2015
Belle surprise de découvrir ici une interview de Monica Sabolo (dont j'apprécie beaucoup les livres). Et belle surprise de voir son point de vue simple, encourageant, pour les auteurs qui n'ont pas encore eu son succès, mais dont j'apprécie souvent ici le talent. D'autant plus que c'est à chaque fois une surprise, puisque mon choix n'est pas "orienté" par la popularité ou une actualité média, mais par le hasard, et donc par l'affinité, le coup de coeur.
Publié le 23 Octobre 2015
Monica Sabolo, je vous cite :"Les premières semaines sont les plus difficiles. On doit se confronter à sa propre médiocrité. Il ne faut pas lâcher. Même si ce qu’on écrit n’est pas bien, il faut continuer. Un jour, une petite étincelle surgit." J'abonde ! Comme je le dis souvent, il y a l'inspiration, ce petit quelque chose qui déclenche le besoin d'écriture, et puis ensuite il y a le travail, la persévérance. Mais surtout, il faut croire en soi, malgré les doutes qui nous assaillent (et ils ne manquent pas d’être au rendez-vous !) ou bien de ce que pense notre entourage de cette bizarre activité très solitaire (n’est-ce pas suspect, tant de solitude ?), et qui plonge dans la perplexité celui qui ne s'est jamais confronté à l'écriture. Alors c'est vrai qu’on écrit d'abord pour soi, mais au final, ce qu'on a écrit a vocation d'être lu. Enfin, le fait qu'on gagne ou pas de l'argent avec ce qu'on écrit, c’est pour moi une question totalement secondaire. Monica, oubliez tout ce que vous avez entendu dire à propos de l’écriture d’une nouvelle. Oubliez les règles, et laissez courir vos doigts sur le clavier, comme ça vient, et vous verrez, je suis sûre que vous serez surprise. Merci d’être venue sur MBS, et au site d’avoir fait l’invitation.
Publié le 22 Octobre 2015
C'est ce que vous retenez de cette interview RobertDo ? Hum... Bien entendu, un auteur veut vendre ses livres. Parce que c'est son métier, par exemple, qu'il espère récolter des droits d'auteurs, évidemment (il espère gagner sa vie, en effet), mais aussi, parce que c'est un moyen d'être diffusé, de se faire connaître, et d'avoir ainsi une capacité d'échanger. Avoir des lecteurs, c'est une rencontre émotionnelle, intime, des sensibilités qui se font écho. Après, des sites comme monBestSeller permettent de rencontrer des lecteurs, des auteurs, de sortir de la solitude de l'écriture. C'est aussi une autre voie, plus directe, plus incarnée, car écrire à une maison d'édition c'est aussi se confronter à une machine lointaine, dont les rouages nous échappent. Cela peut sembler, quelquefois, manquer d'humanité. Les retours directs que permettent les plateformes offrent aux auteurs la chance de faire entrer leur texte dans le réel, car si l'on écrit pour soi, parce que c'est nécessaire, vital souvent, on écrit, aussi, pour communiquer avec l'autre, créer un fil tangible entre soi et le monde.
Publié le 22 Octobre 2015
En fait il n'est pas tres honnete de dire "je n'ecris pas de nouvelles mais si c'etait le cas je posterais sur MBS". Les ecrivains pourraient tout aussi bien poster leur romans sur ces plateformes gratuites. Mais ils/elles ecrivent aussi pour vendre des livres et recolter des droits d'auteurs. Alors pourquoi ne pas le dire? Pour ma part, si un jour j'etais edite par Gallimard pour vendre 200 exemplaires de mon roman, je n'en tirerais aucune gloire et serais tres decu. J'ai recommence a envoyer un roman a un editeur classique, et je sais tres bien que l'idee derriere cette demarche n'est pas d'avoir mon livre mis sur papier puisque cela peut se faire sur n'importe quelle plateforme d'edition sur demande. L'idee c'est d'utiliser les capacites de publicite et de distribution d'un editeur possedant un reseau.
Publié le 22 Octobre 2015