A la fenêtre, je regarde, je vois. Le monde est là ; ce petit monde de mon village est là, autour de moi, avant moi ; sans moi, le monde sera là après moi. La pierre est blanche sous le soleil. La pierre n'a rien à voir avec le mot pierre. Est-ce de la pierre ou du béton?
Je note les mots sur le papier. A la mi-mars les collines verdissent de cette couleur tendre de jeune pousse. La mi-mars est passée, le temps s'effiloche alors que je suis derrière les carreaux. Il y a de la poussière sur le bureau, quelques poils de chat. Il faudrait soulever tous les livres, les cahiers et les carnets, arranger les stylos. Une voiture passe, un bruit incongru crève le silence. Un passant se dépêche de rentrer chez lui. Il pourrait flâner, profiter de cette douceur printanière, mais non, il se dépêche. Depuis combien de temps les voitures sont-elles immobiles, à la même place?
Est-ce que les gendarmes vont venir leur mettre un sabot? Non, tout de même pas. Ma tasse bleue attend, son anse dirigée vers ma main droite. Mon thé est froid. Des mots qui ne mènent à rien, pour dire simplement des choses sans queue ni tête, qu’importe. J'en relis quelques pages apaisantes et regarde par la fenêtre la détraquée qui promène ses trois chiens. Les laisses sont trop longues. L'un va dans un sens, les deux autres au sens opposé et j'attends qu'elle se prenne les pieds dans ses pièges qu'elle se crée. C'est immoral d'attendre cela.
Sans être devin la chose est prévisible. La fenêtre de mon bureau a de la peinture écaillée. Une tâche brune en forme de canard. Le canard se jette à l'eau et le bois se dénude, il faudrait refaire les peintures. Lire pour tomber sur une phrase, un paragraphe, une page qui arrête ma lecture. Ce que je viens de lire est tellement...Je suis frappée de douceur en pleine figure, c'est si intense qu'il n'est pas possible de continuer à lire. Ce vertige, cette légèreté, cette joie, cette tristesse, ce mélange, cette page a pris sa place dans ma tête. Pour le moment, il n'y a pas à aller quelque part, autre part, sortir.
Pour le moment, on reste dans sa bulle, chez soi. Je relis la page. Ce que je n'ai pas lu la première fois, ou peut-être l'ai-je lu, la même page n'est plus la même, les mêmes mots ne sont plus les mêmes mots.
Nicole Lairez-Sosiewicz
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
C'est du café réchauffé.
@Nicole Lairez-Sosiewicz, un état d'esprit je pense assez réaliste, semblable à ce que vivent de nombreuses personnes durant ce confinement imposé mais pas forcément accepté, tant il contribue à créer de nouvelles fractures sociales.
Bien que je ne sois pas dans le pire des cas, il m'arrive de voir dans cette situation toute l'absurdité de mesures décidées uniformément pour l'ensemble par un pouvoir centralisateur, alors qu'elles devraient être différenciées selon le lieu, la situation sociale, l'état de santé.
Habiter face à la mer et ne pas être autorisé à y aller marcher, habiter à proximité d'une forêt et ne pas être autorisé à aller s'y ressourcer, avoir la possibilité d'avoir une parcelle de jardin et ne pas être autorisé à y passer la journée mais seulement une heure, être verbalisé par des gendarmes ou des policiers faisant de l'excès de zèle parce que la promenade d'une heure est dépassée, ou le rayon d'un kilomètre alors que ça ne gêne personne ni ne met en danger quiconque... cherchez l'erreur !
Le silence confiné est pesant, mais le silence de la nature, riche de toutes ses beautés, nous est interdit. Cherchez l'erreur !
Merci Nicole, votre texte m'a aidé à vider ma hargne du confinement, je dormirai mieux.