Elle n’avait rien remarqué d’anormal sur le coup, en voyant ce cadavre étendu au sol, en tout cas rien de plus anormal que d’ordinaire. En effet, elle était habituée, dans les multiples « visions » qui l’envahissaient, des « hallucinations » lui affirmait son psychiatre, à voir de nombreux morts, des morts violentes ; des gens tués par balle, égorgés, le crâne éclaté… bref, assassinés. Elle avait pensé à un moment que ces hallucinations pouvaient avoir des causes médiumniques puisque, souvent, quand elle voyait tous les événements se concluant par ces crimes, les intervenants et les victimes, elle les reconnaissait ensuite dans les faits divers, dans les actualités qu’elle trouvait dans les journaux ou à la télévision. Elle s’en était ouverte auprès de son médecin et même de la police, au cas où elle pourrait être utile aux enquêtes, mais elle n’avait jamais été prise au sérieux, ayant été diagnostiquée schizophrène dès l’adolescence.
Mais le cadavre qu’elle voyait là, c’était tout autre chose. Alors qu’elle sortait d’une étrange sensation, d’un drôle de brouillard mental, elle comprit que ce mort n’était autre que son mari poignardé dans le dos, qu’elle avait le couteau ensanglanté, l’arme du crime, dans la main et qu’il s’agissait bel et bien, sans le moindre doute, de la réalité.
Il était bien mort, là, à ses pieds, à leur domicile, et elle était probablement coupable, se dit-elle, de ce meurtre qu’elle avait dû commettre dans un accès délirant, l’une de ces crises à laquelle elle avait déjà été sujette dans le passé. Elle se mit à pleurer à chaudes larmes, à crier mais personne ne l’entendit. Puis, se ressaisissant, elle se dit qu’il ne lui restait plus qu’à se dénoncer à la police… Elle ne le fit pourtant pas. Au lieu de cela elle prit la voiture pour se rendre chez son psychiatre proche…
Le corps du docteur Rives gisait maintenant à ses pieds à l’instar de celui de son mari il y avait une demi-heure, poignardé lui aussi avec le même couteau qu’elle avait pris soin d’emporter. Ce meurtre là, elle l’avait commis sciemment, consciemment, c’était prémédité, c’était bien elle cette fois.
Peu avant, alors qu’elle tenait le téléphone du bureau de son époux pour, en toute logique prévenir la police, elle avait été assaillie d’une nouvelle vision ; celle de son psychiatre qui tuait son mari, puis qui plaçait le couteau dans sa main à elle alors qu’elle était dans un état second, comme hypnotisée, sous l’emprise des médicaments qu’il lui avait préalablement fait prendre.
Dans la poche intérieure du psychiatre qui avait un couteau dans le cœur, on trouva une feuille manuscrite. Il s’agissait de la lettre de rupture du mari adressée au médecin avec lequel il vivait une relation adultère et homosexuelle secrète ; le dépit amoureux était le véritable mobile du premier crime dont le docteur avait saisi l’occasion de la faire accuser.
Elle avait immédiatement compris que cette dernière vision qu’elle avait eue au moment de téléphoner était la vérité et elle s’était vengée, elle n’avait pas eu d’autre choix que de se faire justice ; elle savait que sa parole de malade mentale ne pèserait pas lourd face à celle du psy. Elle prit le téléphone du Docteur Rives et cette fois-ci appela le commissariat…
Elle n’eut plus jamais d’ « hallucinations » même à l’hôpital psychiatrique où on l’interna, comme si l’acte irrémédiable qu’elle avait commis l’avait définitivement « guérie ».
PASCAL DANDOIS
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Antoine Loiseul
/n
Pas sûr, mon cher Antoine ! Chacun sa propre interprétation d'un texte, c'est ce qui rend l'écriture si merveilleuse : à savoir la perception qu'en a le lecteur. Mais la vôtre est toujours pertinente (cf. vos appréciations et commentaires depuis six années, bientôt...). Amicalement.
@Kroussar... Faux coupable du premier crime, coupable du second
Dans Vertigo, de Boileau et Narcejac, porté à l'écran par Hitchcock, le mari se sert de l'acrophobie de Scottie pour tuer sa femme.
L'utilisation d'une pathologie, en guise de manipulation, est devenue un classique du polar psychologique.
Reste à y mettre un peu de suspense, voire de l'ambiguïté !
Alexis
Bonjour Pascal. Il y a un sujet. Il faudrait creuser et trouver une mise en scène, un découpage un peu schizo... Le problème pour tout le monde (je me suis également collée à l'exercice) est la surface du sujet comparée à l'exiguïté du format. Faut vraiment compresser, et c'est loin d'être gagné pour arriver non pas à un coupable (fastoche), mais à un faux... Merci pour le texte.
Oui, pourquoi pas ! Elle est plus "coupable" que "faux coupable" ! Non ?
PS : Sauf erreur, "Elle s’en était ouverte" est invariable : "Elle s’en était ouvert". À moins que l'auteur nous cache quelque chose...