Actualité
Du 09 aoû 2021
au 09 aoû 2021

La petite égratignure qu'un écrivain peut faire au néant

Au socle de règles décrites comme étant les fondations d'un roman, Rachid Blanchet complète cette vision par une idée simple : la petite égratignure qu'un écrivain peut faire au néant. Le style, la finesse des descriptions, la psychologie, la langue... En un mot, le talent. Que serait le récit de Madame Bovary, s'il n'était écrit par Flaubert ?
Qu'est-ce qui fait d'un écrivant un écrivain ?Qu'est-ce qui fait d'un écrivant un écrivain ?

 Dans un roman, l’intrigue est une organisation particulière des scènes 

 L’article de Christophe Loupy insiste à juste titre sur le fait qu’un roman n’est pas seulement une suite de scènes (liées entre elles par des résumés) posées les unes à côté des autres, sans signification générale. L’intrigue est une organisation particulière des scènes qui donne à l’œuvre sa signification générale. Par exemple, L’éducation sentimentale raconte… l’éducation sentimentale du héros. Le héros rencontre la femme de sa vie (si l’on peut dire) au tout début du livre, et, pendant tout le récit, on se demande s’il finira par coucher avec elle un jour. Entre temps, il lui arrive toute sorte de choses, mais le fil directeur est sa relation à une femme idéalisée, mariée, et plus âgée que lui.

L’intrigue a cela d'essentiel, c'est qu'elle donne une place au lecteur

            Le rappel de Christophe Loupy était nécessaire. Je lis, en effet, sur mBS, beaucoup de romans qui sont fabriqués ainsi : je prends ma vie, j’écris à la 3e personne, je change les noms des personnes et, hop, j’appelle ça « roman ». Même si l’auteur a une vie passionnante, cette façon de procéder ne fait pas un roman. Même dans le cas où l’écriture est travaillée (le plus souvent, heureusement), on reste sur sa faim, car on ne sait pas où ça va. L’intrigue est essentielle car elle donne une place au lecteur, en rendant la lecture intéressante. Mais ce n’est pas tout : elle joue aussi un rôle majeur au moment de la création du livre. Quand un romancier écrit en pensant à une intrigue, il écrit différemment. Non seulement l’idée d’une intrigue change la composition du livre (certaines scènes deviennent inutiles, d’autres plus importantes que d’autres, etc.). Mais aussi l’idée d’une intrigue change le style : l’intrigue impose une logique au récit, qui impose aussi une « logique » à l’écriture. Par exemple, le style de Camus dans L’étranger épouse le regard du héros, qui a un rapport distancé aux événements. L’écriture distancée, façon procès verbal, n’est pas l’écriture habituelle de Camus. C’est une écriture adaptée à l’intrigue et à la personnalité du héros. Vous me direz : raconter sa vie sans intrigue peut faire, à la rigueur, une autobiographie. Oui et non. Car une autobiographie a aussi ses exigences : que le passé soit examiné à la lumière du présent, que le récit soit à la première personne, que le nom du héros et celui de l’auteur coïncident. Tout ceci exige de l’auteur d’une autobiographie qu’il ait aussi une idée d’intrigue, même si ce n’est pas tout à fait la même que pour un roman.

 Les stéréotypes ne font pas un livre

            À l’opposé de cette tendance à romancer sa vie, il y a la tentation de l’intrigue et des personnages stéréotypés. Là aussi, même avec une écriture travaillée, les stéréotypes ne font pas un livre. Ils font, à la limite, un navet potable, qui, à la limite, sera publié, mais uniquement pour des raisons commerciales, pas pour des raisons artistiques. Bien sûr, tous les goûts (et tous les « lectorats ») sont dans la nature. Mais, bon, il faut arrêter : entre un Musso et un Flaubert, il n’y a pas photo. L’un écrit de très bons navets avec des intrigues qui font tourner les pages (et on en redemande). L’autre écrit un livre où dans chaque page, chaque phrase, il y a une pensée (ironique) du monde, de l’Histoire, de l’amour, de l’existence humaine (etc.)

            D’où le billet d’humeur que voici :

Le style, qui est comme une seconde nature pour l'auteur— apporte de la chair au squelette commun à beaucoup de récits

            Merci, Christophe Loupy, pour votre article, qui rappelle des choses essentielles ; et c’est vrai que ça fonctionne, aussi bien pour Yvain, le chevalier au lion que pour Le Rouge et le Noir ou La curée, par exemple (un peu moins peut-être pour L’étranger ou La recherche, mais qu’importe).

Je ne peux m’empêcher d’être un peu triste, malgré tout. Quoi ? Ce serait ça les conseils qu’on donnerait aux jeunes (ou moins jeunes) auteurs ?

            J’ai écouté récemment une interview d’Amélie Nothomb, qui explique que pour écrire un livre, elle part d’un début et d’une fin, et qu’ensuite elle trouve l’itinéraire.

            Cet itinéraire peut, certes, ressembler à la quête d’un héros, qui parvient ou non à ses fins, ayant rencontré sur son chemin des obstacles (épreuves), des adjuvants et des opposants (voir Vladimir Propp, Morphologie du conte de fées, ou le « schéma actanciel » de Greimas).

            Mais ça peut-être plus… subtil.

            Les grandes lignes, c’est important, c’est le squelette, les grosses ficelles.

            Mais ce qui fait la beauté d’un livre, sa singularité, ce qu’il ajoute de nouveau, c’est la façon particulière, originale, unique, dont un auteur — porteur d’une vision du monde unique, et doté d’une langue unique, forgée à partir de la langue française commune mais qu’il s’est appropriée par son travail et qu’on appelle son style, qui est comme une seconde nature pour lui — apporte de la chair à ce squelette commun à beaucoup de récits.

            Écrire un livre est certes une petite entreprise, qui nécessite une bonne gestion de l’intrigue, des peaux de banane à glisser sous les pieds du pauvre héros (car le happy end, hein, ça se mérite). Mais, ce n’est pas que ça (je suis de mauvaise foi, cher Monsieur, vous n’avez jamais dit le contraire).

            C’est aussi la beauté des descriptions, la finesse des analyses psychologiques, le rythme de la phrase ou de la narration, la vérité des dialogues, la puissance de la vision du monde qui émane du livre, etc., qui mènent le lecteur — pas seulement sa curiosité de savoir comment le héros, malmené par son créateur sadique, va finalement atteindre son objectif.

            Votre article s’adresse, je le suppose, aux auteurs imprudents (jeunes ou non), qui se lancent, comme moi, naïvement, dans l’écriture d’un livre, pensant que leur génie, reconnu par la personne la plus importante à leurs yeux, à savoir eux-mêmes, suffit. Certes non, ce génie supposé ne suffit pas : il faut d’abord que le lecteur, professionnel ou non, ait envie de tourner les pages, de savoir la suite.

            Mais cette nécessité première (que le roman raconte une histoire intéressante, avec un début, un milieu, une fin) est un moyen, pas une fin ; un moyen au service d’une sensibilité et d’une vision particulières, qui sont la signature de l’auteur, la petite égratignure qu’il fait au néant, qui le distingue de ceux qui, comme moi, écrivent au nom de leur EGO, estimant n’avoir besoin ni de lire (surtout pas les classiques !) ni de travailler, mais dont les œuvres proliférantes iront se noyer dans l’océan des livres inutiles.

Blanchet Rachid

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Qu'est-ce que le style ? Peut-on le définir, le caractériser ? Questions difficiles, certainement sans réponses ... Sauf quand on lit Louis Ferdinand Céline ! Merci à vous pour cette approche intéressante !

Publié le 26 Août 2021

@Saint-Bleyras
Merci

Publié le 23 Août 2021