Interview
Du 26 Jan 2022
au 26 Jan 2022

Dolorosa

Il y a des rencontres avec des objets. Des objets qui peuplent une vie, qui réveillent les morts, les souvenirs, les époques. Des rencontres permanentes qui deviennent les compagnons d'une vie, toujours près de vous comme une femme ou un mari aimant. C'est de cette rencontre que JBtanpi nous parle pour l'appel à l'écriture monBestSeller
Dolorosa : la nouvelle de JB tanpi pour l'appel à l'écriture monBestSellerDolorosa : la nouvelle de JB tanpi pour l'appel à l'écriture monBestSeller

C’est à Paris, il est minuit, on chante, on rit ! […]
Mais d’où tu viens, belle inconnue aux yeux moqueurs , […]
Dolorosa ! Son baiser porte malheur… Prends garde à toi, si tu lui donnes ton cœur.
Car ce jour-là, tu maudiras Dolorosa !!!

Paroles écrites en 1925 par Ernest Dumont sur une musique entraînante de Bénech.

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Pourquoi un titre pareil pour une musique aussi joyeuse ? Ce cher Ernest aurait-il été trahi par une belle espagnole prénommée Dolorès ?

En 1983 (il y a déjà 40 ans !), mon épouse Françoise m’avait traîné à la foire à la brocante de Bordeaux pour y chiner des vieilleries. Elle était à mon bras quand j’ai rencontré cette musique des années folles (celle des bals fréquentés par mes parents).

Le son provenait d’un énorme piano joué sans les mains par un robuste gaillard qui pédalait comme un malade tandis qu’un rouleau de papier défilait devant lui comme sur un orgue de barbarie.

 

Nous nous sommes approchés, et j’ai posé une question idiote :

— Il est à vendre ?

— Fff !… Oui monsieur… Avec 200 rouleaux. Du classique. Les succès des années 30. Beaucoup  de danses rétro. Des valses. Des tangos…

 

Bien qu’essoufflé, le vendeur avait vu que j’étais intéressé. Il a simplement dit :

— 15000 francs pour le tout. C’est une affaire très rare.

— …

— 25 % de réduction et livré chez vous si vous l’achetez aujourd’hui.

— Tope-là !

 

Françoise en est restée coite. J’avais craqué.

Ce n’est pas dans mes habitudes : en général, je chipote quand elle veut acheter des vieilleries qui coûtent dix fois moins cher.

Avais-je été séduit par le titre ? Ou par la belle Dolorès qui a plaqué le parolier ? C’est improbable.

Car je me laisse plus facilement séduire par une jolie Mercedès que par une triste Dolorès.

Non. J’avais été touché par le beau sourire des 52 touches d’ivoire du piano qui me suppliait de prendre soin de lui et de sa musique.

Cette rencontre avec un piano pneumatique de 400 kilos a considérablement meublé ma vie.

Surtout le salon, car il me fallait aussi un meuble pour ranger quatre gros cartons de rouleaux.

Ça tombait bien, le vendeur avait un immense buffet vitré qu’il me laissait pour « presque rien ».

Livré lui aussi.

 

J’ai fait venir un accordeur de pianos, et j’ai (péniblement) joué le rouleau devant lui.

— Bon piano à la sonorité puissante, fait-il. Le système pneumatique est fatigué et il complique mon travail. À votre place, je l’enlèverais.

— Et si je veux jouer les rouleaux ?

— Il faudrait refaire le système à neuf, mais gare à la facture !

— Aïe ! La dolorosa ! Le vendeur m’a vu venir !

— Non. Le piano seul vaut ce prix-là. Vous pouvez toujours apprendre à en jouer. Ou bien restaurer le système vous-même, reprit l’accordeur en me quittant. Bon courage ! Au revoir monsieur.

 

Le parfum inimitable de l’instrument me rappelait celui d’un autre vieux piano que j’avais sauvagement désossé quand j’étais gamin (on ne savait qu’en faire à l’époque).

Rongé par le remords, je décidai de sauver celui qui était chez moi.

 

Pendant quelques mois, j'ai hanté les librairies et les "pros" du piano (internet n'existait pas encore). J’ai participé à des stages d'orgue de barbarie en Ardèche... et bidouillé mon piano.

Le salon était devenu un atelier.

La table de salle à manger léguée par les beaux-parents tenait lieu d'établi.

Mais j’ai finalement réussi à remettre l’instrument en état… et à éviter le divorce.

Je rends grâce à la patience de Françoise.

 

Ce piano nous a fait redécouvrir les rumbas, les valses, les tangos... qui avaient fait danser nos parents avant la guerre. Mais pas seulement. Sa musique a charmé (presque) tous ceux qui l’ont entendu. Aujourd’hui, c’est un centenaire qui partage mon existence depuis bientôt 40 ans.

La moitié de ma vie. Presque autant que Françoise. Il vieillit lui aussi, tout comme nous.

 

Le rouleau Dolorosa dort maintenant dans sa boîte.

Je le joue rarement car d’autres rouleaux me rappellent les danses des bals rétro de ma jeunesse.

Et la soirée où j’ai fait ma plus belle rencontre : en invitant Françoise à danser

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@JB tanpi ,
Comme à chaque lecture de vos écrits, un plaisir de retrouver vos mots, vos souvenirs et votre nostalgie. J'aime votre style d'écriture mêlant si bien flash back et présent avec simplicité. Merci pour ce partage et je rejoins @Michel CANAL sur le fait que ce thème nous ait permis de découvrir bien des façons de faire des"rencontres"
Amicalement
Maureen

Publié le 08 Février 2022

Bonjour @jbtanpi.
Il n’y a pas de hiérarchie entre les artistes et les artisans car il y a des faux artistes comme il y a de vrais artisans : un artiste est un créateur comme un artisan est un reproducteur. Il se peut que des artisans soient des artistes qui s’ignorent tels ces luthiers. Un artiste est toujours un peu fou car qu’est-il de plus fou que de créer. « Nos qualités, certaines du moins, tiennent de près à nos défauts. (...) Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tête. » Denis Diderot.
Musicalement.

Publié le 06 Février 2022

Bonjour à tous,
C'est vrai, @Christian Vial ce piano a une âme, comme d'autres objets du passé, comme par exemple une machine à écrire (n'est-ce pas @Jenie ?). Et s'ils étaient simplement un miroir de l'âme de celle (celui) qui les aime et en prend soin ? Surtout quand ils produisent quelque chose, de la musique ou des poèmes par exemple. Je ne pense pas qu'il existe une frontière barbelée entre l'artisanat et l'art comme pense @KRYDECE : Certains artisans sont de véritables artistes, par exemple les luthiers. De même, il est intéressant pour un accordeur de savoir jouer du piano.
@Michel CANAL, je suis vraiment heureux d'avoir fait cette trouvaille, poussé par la paresse (c'est ô combien fastidieux d'étudier la musique, mais tellement facile de mettre un rouleau, de régler le système et de pédaler !), par la curiosité (comment ça marche ce truc-là ?), et par le plaisir d'écouter une musique aussi agréable que celle jouée dans le salon familial quand j'étais enfant. C'est une décision que je ne regrette pas car elle m'a permis de faire des rencontres extraordinaires et... d'apprendre la musique.
@MalôLucy, je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de constructeurs de pianos pneumatiques en France. Le mien porte la marque Klein, et il a été fabriqué en 1917. Ces pianos sont tombés en désuétude à cause de la concurrence des phonographes et des disques (beaucoup moins coûteux et plus sympa pour draguer, même si c'est faisable : j'ai publié sur mBS "ma chère Jacqueline", pièce de théâtre où un personnage utilise un tel piano pour séduire la belle Jacqueline).

Publié le 04 Février 2022

Bonjour @Jbtanpi et les autres.
Le lien entre le passé de la famille et ses retours très bien décrit. Nous avons toujours cette folie pour un objet évocateur que nous acquérons ou non. En l'occurrence, vous l'avez acquis et réparer ce qui est satisfaisant, il est presque devenu votre création. Nous pouvons évidemment regretter, mais c'est un ressenti personnel que vous n'ayez pas franchi la frontière barbelée qui sépare l'artisanat de l'art puisque l'accordeur vous proposait de pratiquer le piano, sur une telle machine, c'eût été fabuleux, vous avez la magie physique des touches avec les mini-créations qui viennent sous vos doigts, c'est fabuleux même pour un 52 touches. le principal est quand même que vous ne soyez jamais à bout de rouleau !!

Publié le 31 Janvier 2022

@Jbtanpi
Le piano, le regret de ma vie, ma frustration d’avoir abandonné cet instrument si particulier. Il a un rôle central dans mon premier roman… Il est présent dans mon second, cela en devient une manie, il va falloir que j’y prenne garde.
.
[J’avais été touché par le beau sourire des 52 touches d’ivoire du piano qui me suppliait de prendre soin de lui et de sa musique.]
.
Mais, ne doutez pas qu’il vous suppliait. Tous les instruments ont une âme, voire plusieurs… Imaginez leur désarroi, être tombé dans les mains de ferrailleurs, de brocanteurs qui ont acheté leurs âmes au prix du bois, du bronze.

J’ai beaucoup aimé votre texte…

Publié le 29 Janvier 2022

@JBtanpi
Une histoire magnifique, pleine d'émotions. Je ne joue pas du piano mais je comprends parfaitement le sentiment d'avoir craquer devant le bel instrument.
En me promenant dans une brocante un jour, j'ai été envoûtée par une Royal. Je n'ai pas pu résister. Je m'imaginais déjà tapant à la machine. Mon compagnon l'a remis à neuf. Elle orne aujourd'hui notre buffet (ps de place ailleurs) mais elle est en état de marche et je peux l'utiliser pour coucher mes histoires. Elle m'a d'ailleurs inspiré un poème.

J'ai bien aimé votre rencontre qui m'a rappelé aussi des souvenirs.

Publié le 27 Janvier 2022

@JBtanpi, une bien belle histoire qu'il ne m'aurait pas déplu de vivre.
Je soulignerai au passage combien ce thème d'écriture "Rencontre" a permis une variété à l'imagination ou au vécu sans limites.
soyez fier de votre trouvaille, de votre achat, de votre détermination à le sauver pour lui rendre sa capacité à faire revivre de si beaux moments de rencontres et de séduction sur les pistes de danse d'une époque (hélas) révolue.
Avec toute ma sympathie.

Publié le 27 Janvier 2022

Mon arrière grand père fabriquait de ces pianos !

Publié le 26 Janvier 2022