Interview
Le 20 mai 2025

Combien vaut un livre autoédité ? Réflexions sur le prix juste

Écrire un livre, c’est offrir une part de soi. Mais lorsque vient le moment de fixer son prix, une question délicate surgit : combien vaut réellement ce travail ? Un livre auto-édité peut-il être vendu au même tarif qu’un ouvrage publié dans une maison d’édition ? Et si la réponse ne tenait pas dans une grille tarifaire, mais dans une idée toute simple : la justesse.
Un livre, c’est un objet réalisé selon des règles définies faisant intervenir une chaîne de métiers.Un livre, c’est un objet réalisé selon des règles définies faisant intervenir une chaîne de métiers.

Ce que révèle le prix d’un livre

Un livre, ce n’est pas seulement un texte imprimé. C’est un objet réalisé selon des règles bien définies faisant intervenir une chaîne de métiers.
Dans l’édition classique, le prix de vente d’un livre se répartit — en moyenne — de la façon suivante :

  • Librairie (point de vente) : ~ 36 %​  Éditeur : ~ 21 %  Fabrication : ~ 15   
        Distribution : ~ 12 %  Diffusion : ~ 8 %  Auteur : ~8 %

Cela signifie que, pour un livre vendu 20 €, l’auteur touche moins de 2 €. Le reste rémunère la chaîne logistique, commerciale et éditoriale.

C’est un écosystème structuré, cohérent. Mais il a un coût.
Et surtout, il repose sur une économie d’échelle.

Dans l’édition traditionnelle, les coûts fixes sont lourds — correction, maquettage, impression, stockage, diffusion, relations presse, promotion, présence dans les salons — mais ils sont mutualisés sur un grand nombre de titres, et sur un grand nombre d’exemplaires vendus.
Un roman tiré à 10 000 exemplaires coûte, à l’unité, bien moins cher qu’un autre imprimé à 1000 exemplaires.
Les maisons d’édition jouent donc la carte du volume : elles investissent énormément, mais elles parient sur le fait que quelques livres couvriront les pertes des autres.

Ce système permet des livres bien diffusés, bien médiatisés, visibles partout.
Mais il implique que l’auteur, dans cette chaîne industrielle, devient un maillon parmi d’autres.
Il écrit, mais il délègue tout le reste. Et dans la répartition finale, sa part reste faible, parce que la machine éditoriale est lourde.

 

L’autoédition : une autre logique, une autre économie

L’auteur autoédité ne passe pas par cette chaîne. Il écrit, mais souvent aussi, il corrige, relit, met en page, coordonne, fabrique, et vend lui-même. C’est une entreprise DIY.

Cela ne veut pas forcément dire que son livre « vaut moins » qu’un livre édité chez Galligrasseuil. Mais cela veut dire que le cadre dans lequel il voit le jour, grandit et se présente aux lecteurs est radicalement différent.

Prenons un exemple simple :
– Un livre jusqu’à 108 pages coûte 2,05 € l’impression sur KDP
– Si l’auteur qui a tout fait lui-même le vend 13 €, il semble lui rester 10,95 €.

L'auteur auto-édité est aussi un éditeur

Sauf que non : cette somme n’est pas un bénéfice net. Elle couvre tout ce qui a coûté du temps, de l’argent, ou les deux.

Car l’auteur autoédité est aussi éditeur, chef de projet, promoteur, graphiste, et surtout commercial. Car il ne suffit pas d’avoir un livre en vente sur une plateforme pour voir la couleur de cet argent. D’ailleurs, la plateforme en prélève une partie, sa commission, pour mise en catalogue et distribution à l’acheteur.

Si l’auteur vise cette somme de 10,95 (sans l’atteindre, nous l’avons compris), c’est qu’il vend lui-même — de main à la main — son exemplaire. La plupart du temps dans un salon payant, avec des frais annexes de déplacement pour ne citer que ceux-ci. Mais s’il vend son livre, c’est donc qu’il est enregistré auprès de l’administration fiscale, et qu’il cotise à l’URSSAF, etc.

Cette marge doit donc couvrir plusieurs fonctions :

- Amortir les coûts initiaux (correction, mise en page, couverture, plateforme, maquette, etc.) que ce soit sous forme d’argent, si l’auteur en a confié la réalisation d’une partie, mais quoi qu’il en soit sous forme de son temps, car tout cela se calcule en centaines d’heures de travail.
- Couvrir les exemplaires offerts, invendus, ou vendus à prix réduit
- Financer les actions de visibilité (site, flyers, salons, présence en ligne…)
Et parfois… se payer un café, ou un restaurant, ou un billet de train, ou des frais de voiture, d’hôtellerie… pour aller rencontrer ses lecteurs.

Et quand l’auteur décide de vendre ses livres en salon, il faudra alors prendre en compte le prix du stand, du déplacement, parfois, du logement, souvent des repas, sans compter les heures passées à installer, parler, convaincre, sourire, ranger…
Et tout cela, sans garantie de vente.

Alors, combien faut-il vendre son livre autoédité ?

Un livre autoédité, aussi soigné soit-il, n’a pas bénéficié de la même chaîne professionnelle qu’un livre publié par un éditeur traditionnel.
Ce n’est ni une tare ni une honte. C’est un autre pacte.

Et c’est pourquoi de nombreux auteurs choisissent de proposer leur livre à un tarif environ 20 % inférieur à celui d’un ouvrage comparable en librairie.
Non pas pour « attirer le chaland », mais pour tenir compte honnêtement de ce qui a été fait — et de ce qui ne l’a pas été.

C’est une marque de respect. Pour le lecteur. Pour le livre. Pour soi-même.

Le juste prix d’un livre autoédité est un prix bien pensé

Fixer un prix, ce n’est pas coller une étiquette. C’est formuler une promesse.
C’est dire au lecteur :
« Voilà ce que je vous propose, à ce prix-là, parce que je pense que c’est juste. »

Juste pour le lecteur, parce qu’au-delà d’un certain prix, cela revient à lui faire payer des frais de structure dont il ne bénéficiera jamais des prestations.
Juste pour l’auteur, car il a travaillé, investi du temps, fabriqué un objet.
Juste pour l’œuvre, qui existe dans un monde où tout ne se vaut pas, mais tout peut valoir quelque chose — à condition d’être correctement situé.

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Le plus difficile c'est justement de faire la promotion de son livre ! C'est un métier en soit et c'est sûrement la limite de l'autoédition selon moi.

Publié le 09 Juin 2025

Cet article nous montre que autoédition est un travail à plein temps si on veut se donner toutes les chances de rencontrer son public. Pour "les salons payants" dont il est fait mention dans l'article, je n'en avais jamais entendu parlé ! Il ne suffit donc pas d'être un bon écrivain, il faut encore (et peut-être surtout) être un bon vendeur...

Publié le 27 Mai 2025

Heureusement que la valeur d'un livre ne résume pas à son prix ! Écrire est un plaisir, éditer une corvée. Voilà pourquoi, j'arrête l'auto-édition. Tous ses calculs de prix me cassent la tête. Je laisse ça à d'autres... ;-)
Merci pour cet article.

Publié le 26 Mai 2025

@Catarina Viti
J'entends surtout les effets négatifs : Etre au four et au moulin, assumer tous les domaines même ceux qu'ils ne connait pas et pour lesquels il n'est pas formé, ni efficace, prendre toutes les responsabilités et travailler désespérément seul.

Publié le 25 Mai 2025

@Floriana Vélasquez. Bonjour. Qu'entendez-vous par "Ubérisation" dans ce contexte ?

Publié le 24 Mai 2025

Je juste prix ? Si on le trouve on gagne quoi ?
Trêve de plaisanterie !
Les artistes sont les vaches à lait de l'industrie ! 10% pour un livre 50% pour un tableau ou une sculpture à peu près. Voilà ce que touche un auteur/créateur.
L'auto édition me fait penser à une certaine forme d'Uberisation...
Alors que faire ?
Et si le salaire de l'auteur n'était pas comptabilisant en billet de banque ?
Si la création artistique n'était pas un bien de consommation, un moyen de gagner sa croûte ou de devenir célèbre mais une profession de foi. Un besoin viscéral qui n'attend rien en retour sauf peut-être un échange sincère.
La question est ouverte

Publié le 23 Mai 2025

Excellente tribune, merci pour cette analyse claire et lucide !
J'ajouterais cependant une nuance importante : un livre auto édité a souvent une espérance de vie bien plus longue qu'un ouvrage publié de manière traditionnelle.
Dans l'édition classique, un premier roman est rarement tiré à plus de 1000 à 3000 exemplaires. S'il ne rencontre pas de succès rapide, il est souvent retiré du catalogue au bout de quelques mois, voire détruit.
En vendant 2000 exemplaires, un auteur touche en moyenne 1, 44 € par livre, soit à peine 2880 € bruts pour des mois, voire des années de travail. C'est dérisoire.
La question d'une rémunération bien pensée de l'auteur - qu'il soit édité ou auto édité - mérite donc d'être posée. Le juste prix d'un livre devrait refléter non seulement sa valeur marchande, mais aussi l'engagement, le temps et la passion que l'auteur y a investis.

Publié le 23 Mai 2025

Le prix du papier a augmenté et les maisons d'édition cherchent à limiter les coûts en utilisant de plus en plus l'IA pour la correction, la traduction avec les résultats que l'on peut imaginer : baisse de la qualité, présence de coquilles, traductions littérales. Ainsi une maison d'édition italienne a essayé de remplacer les traducteurs littéraires par la technologie moderne. Les gens ne consomment plus, ils épargnent, ils ne lisent plus, ou ils achètent des livres de poche beaucoup moins chers. L'édition souffre des mêmes problèmes que les salles de cinéma : baisse de la fréquentation. La situation économique a un sérieux impact sur la culture qui est devenue le domaine réservé d'une minorité bornée par la même idéologie. Il en résulte une absence de débats, et le monde de la littérature se prélasse dans une pensée unique sectaire et nuisible.
Vos articles sont toujours intéressants, je vous suis sur les réseaux sociaux car vous élevez le niveau de leur contenu. @Sylvie de Tauriac

Publié le 22 Mai 2025

Article très utile et intéressant. Les auteurs ne doivent pas ignorer la décomposition des parts de chacun dans le prix final d'un livre.
Et un constat, il en va des livres comme des produits agricoles : l'auteur et le producteur ou l'éleveur sont ceux qui perçoivent la part la plus infime. Qui ne le prendrait pas pour une rétribution injuste ? C'est celui qui se donne le plus de mal, qui est assujetti au temps plus ou moins long pendant lequel ce qui sera le produit fini est en écriture, en culture ou en élevage pendant lequel il n'y a aucun revenu.
A contrario, ce sont ceux qui se donnent le moins de mal (le libraire et l'éditeur pour les livres, le revendeur pour les produits agricoles) qui prennent la marge la plus importante.
Merci @monBestSeller pour cet article. MC

Publié le 22 Mai 2025