
6 heures.
Valentin regarde l’écran de son téléphone, les yeux semi-ouverts, la tête encore enfoncée dans l’oreiller. Il ne veut pas quitter son rêve.
Il se sent si bien, dans cette utopie sous-marine, à suivre les courants et se laisser porter. Le bruit sourd de l’eau l’enferme dans une bulle. Les algues se meuvent calmement, sans un mot, sans un regard. Sans jugement. Quelques éclaircis viennent perturber la pénombre générale des profondeurs de l’océan. Il est seul, dans ce bleu brouillé. Il respire sous l’eau. Aucune tempête à l’horizon.
Quelques minutes de plus, juste quelques minutes.
Le réveil sonne à nouveau.
Valentin se lève, prend son iPhone 16 Plus, et file.
Son ordinateur sur le dos, ses cernes sous les yeux, Valentin patiente pour le RER A à La Défense, direction Châtelet. Oui, il aurait préféré habiter Paris comme ses collègues. Mais au moins, son appartement là-bas à Courbevoie ne dépasse pas la barre des mille euros de loyer. Un moindre coût jalousé : les agences de pub, tout le monde le sait, ça ne paie pas. Malgré tout, Valentin apprécie son travail. Décrocher une alternance chez Solucom lui avait demandé tellement d’énergie et de résilience à l’époque, après son refus chez Publicis. Il avait bien retenté sa chance à la fin de ses études, mais il avait fini par s’y résoudre : les meilleures agences ne voulaient pas de lui.
Au 52, Boulevard de Sébastopol, on a tout à prouver. Créativité, innovation, « du vrai sur-mesure ! », on fait savoir aux clients de Solucom que les compétences ici sont comme nulle part ailleurs. En tout cas, que la forte compétitivité du marché ne laisse place à aucun manquement. Cette exigence, Valentin la vit au quotidien. Les projets fusent, et avec eux, la fatigue, la pression, les palpitations au cœur… Depuis un an, ou peut-être deux, Valentin arrive plus tôt, à 8 heures, pour commencer son travail. Il termine néanmoins de plus en plus tard. Manuela lui dit toujours, à la machine à café : « c’est pas humain, ce rythme, tu sais ? ».
Pourtant, l’initiative plait à David. Un homme brillant dans son métier. Un robot sans compassion dans le ton, et le patron de Valentin. Malgré ses remontrances, Valentin l’admire. Il se dit qu’il est jeune, qu’à 26 ans, c’est vrai, on a encore tout à apprendre. Surtout lui. On ne voulait pas de lui, chez Publicis. Et s’il était vraiment nul ? Alors, quand David lui rajoute du travail, quand il l’appelle le vendredi à 19 heures pour boucler un dossier, quand il le missionne pendant la pause déj – à croire qu’une canette de Red Bull suffira cette fois encore – Valentin ne voit que l’expression d’un homme de pouvoir aux grandes responsabilités, un Jules César des temps modernes, un Spiderman aux obligations tyranniques. Il se voile la face.
Aujourd’hui, tout sera différent.
Valentin arrive au bureau dans un mélange de doutes et de bonnes intentions. Depuis près de trois semaines, le travail le saisit. Beaucoup trop. Toujours trop. Il n’a eu d’autre choix que de laisser son amie seule à la pause-café. Or, hier soir, il a avancé ses tâches chez lui (de toute façon, il n’arrivait pas à dormir) ; il a du temps ce matin, et c’est elle qu’il a envie de voir. Manuela est de celles qui ne se laissent jamais abattre, de celles qui te câlinent d’un regard, de celles qui te rappellent la douceur du foyer. Plus qu’une envie, aujourd’hui, c’est un besoin.
« Vous avez vu Manuela ? demande Valentin à voix haute dans l’open space.
- Ben non… Elle n’est pas là, répond Gustave sourcils relevés, air interrogateur.
- Elle est encore en vacances ? Les Maldives, c’était ça ?
- … Elle est partie en burn-out, Val. Ça fait déjà deux mois.
- Deux mois ? »
Valentin regarde son téléphone. Il n’avait pas répondu aux derniers messages de Manuela, certes, mais c’était il y a deux-trois semaines, non ? Peut-on partir comme ça, si subitement ?
Dernier texto reçu – Le 25 juillet 2024 :
« Hello Val, difficile de se voir en ce moment. Je ne vais pas bien. Je suffoque. Je pars à la campagne, chez mes parents. Nos cafés me manqueront. Prends soin de toi, toi aussi. »
Sans un mot, pâle, Valentin se rend seul dans la salle de pause. Leur safe place. Là où leurs échanges ponctués de rire leur accordaient décompression et amitié. C’est là qu’il reprenait confiance en lui, avec elle. Un burn-out. Comment est-ce arrivé ? Comment est-ce que ça arrive, même ?
Les larmes coulent silencieusement sur les joues de Valentin. Il commande une barre chocolatée à la machine. Il se sent mal. Son cœur s’emballe. Plus personne ne l’aidera à atténuer la douleur.
David entre brusquement dans la pièce :
« Val, il faut rappeler Mars là, ça va pas du tout. La direction trouve ta propale trop clean, on va les perdre si tu ne trouves pas d’autres idées. Il faut que tu te mouilles plus. Tu fais quoi là ?
- Rien, juste… un coup de barre.
- Ah. Tu sais ce qu’on dit. Un coup de barre ? Mars, et ça repart ! »
David glousse. Sérieusement ?
Je suffoque.
« En plus, c’est un Mars dans ta main. Des barres ! »
Prends soin de toi.
Valentin essuie sa joue. Ce geste, il l’a répété trop de fois. Il prend une longue inspiration.
« … Ça ne repartira pas, David. Je démissionne. »
Bientôt, Valentin ne rêvera plus de cette paix sous-marine ; il ne verra plus que des fonds obscurs où l’air manque, et où la solitude le submerge. Cependant, c’est en quittant les abysses qu’il pourra à nouveau retrouver la lumière, la vraie. Et sortir enfin la tête de l’eau.
Sarah OLIVIER

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Texte rondement mené, audacieux et surprenant en accord avec les publicités d’antan qui ont marqué nos esprits…
Comme celle du Loto sportif, votre participation a trouvé son echo “on joue, on marque, on gagne”
Félicitations!
La pub ton univers im-pi-toy-able !!
Très crédible et bien mené.
Félicitations pour votre texte, l’esprit est excellent !
Et je me réjouis que vous ayez su attirer tant de prestigieux sponsors : Apple (Think different) pour la créativité, Red Bull (ça donne des ailes) pour l’énergie, Publicis (vous le valez bien) pour la stratégie, la RATP (RER A, toujours en retard mais jamais en panne d’inspiration ) pour l’acheminement des lecteurs, les peintures Valentine (merci Valentin) pour la mise en forme (de la couleur à chaque phrase), et même le CRIF pour la caution historique (David approved). J’imagine qu’un partenariat avec Jules César avait été envisagé, mais qu'il a refusé de signer le contrat… trop occupé à franchir le Rubicon sans wifi et à exiger un paiement en amphores de vin.