La saison littéraire 2025 respecte une forme de tradition littéraire, consacrant Yanick Lahens, Laurent Mauvignier, Adélaïde de Clermont-Tonnerre et Emmanuel Carrère dans une danse de voix fortes et singulières.Cette saison, les jurys ont misé sur une forme d’audace avec un Goncourt très littéraire dans la tradition des grands romans du XIX ème. Mais la question subsiste : faut-il s’inquiéter d’une certaine uniformisation du goût ? ou de la volonté des Maisons d'édition et des jurys d'imposer un type de romans modélisés ?
En observant les lauréats de cette année, une tendance se dessine : celle d’une littérature introspective, souvent engagée, qui pourrait être le reflet d’une époque en quête de repères.
Le prestigieux Prix de L’Académie française est le gardien de la langue dont le « Grand Prix du roman » ouvre le bal. Suivent Le Prix Goncourt qui récompense chaque année « le meilleur ouvrage d’imagination en prose », et Le Prix Renaudot considéré comme un prix « alternatif » au Goncourt.
Le Prix Femina dont le jury est (sensé) être exclusivement féminin distingue chaque année un ouvrage en langue française de préférence écrit par une femme. Le Prix Médicis enfin est un prix littéraire français qui couronne un roman, un récit, un recueil de nouvelles dont l'auteur débute ou n'a pas encore une notoriété correspondant à son talent. Enfin La vocation du Prix Interallié est de récompenser chaque année un roman écrit par un journaliste.
La danse des récompenses est ouverte.
Prix de l'Académie Française
Les académiciens ont remis leur prix à l’auteure haïtienne Yanick Lahens pour Passagères de nuit, un roman dans lequel elle rend hommage à ses deux aïeules qui ont lutté pour leur liberté au XIXe siècle dans le Nouveau Monde, entre La Nouvelle-Orléans et Haïti.
Décerné à cette femme (oui, c'est une femme) aux éditions Sabine Wespieser.
Le roman de Yanick Lahens, plutôt court mais d’une grande densité, exige une lecture attentionnée. Son histoire repose sur deux narrations.
Elizabeth est le personnage principal de la première partie et Régina, de la deuxième. Ce sont deux femmes puissantes qui sont nées dans l'adversité. Le destin les a obligées à se soumettre..
L’histoire de l’esclavage est sans archive (ou si peu), cette œuvre est donc partiellement fictionnelle, et les sévices et la douleur imaginés dépassent parfois l'entendement.
Lahens est l’auteure de treize ouvrages, dont un essai sur l’exil et de nombreux articles et nouvelles portant notamment sur les difficultés de l'enfance haïtienne.
Prix Goncourt
Le Prix Goncourt a été attribué à La Maison vide (Editions de Minuit) de Laurent Mauvignier, au premier tour, par six voix contre quatre.
Ambitieux, le dixième roman de Laurent Mauvignier, constitue le sommet de son art narratif selon le jury. Sorte de fresque, qu’il travaille depuis 20 ans, La Maison vide retrace en plus de 700 pages, et sur trois générations marquées par deux guerres mondiales, l’histoire romancée de ses aïeux, vue du côté des femmes.
Le poids des héritages, la tutelle des anciens, les destins condamnés, les violences conjugales et familiales constituent le corps des thèmes traités.
Autant de sujets qui traversent son œuvre entamée en 1999.
"Ce qui compte, ce n’est pas de cibler un sujet, un thème, c’est d’écrire un livre pour connaître le livre qui veut s’écrire ; c’est dessiner les contours d’une forme pour que cette forme se trouve et se désigne à elle-même" déclare l'auteur. Une prise de hauteur qui met les choses à distance et donne à son oeuvre une dimension de haute tenue, même si ses personnages semblent souvent nous chuchoter à l'oreille.
Prix Renaudot
Du côté du salon Renaudot, on couronne Je voulais vivre, d'Adelaïde Clermont-Tonnerre, dans lequel elle donne une seconde vie à Milady, l’héroïne des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. « Cette distinction ne peut que m’inciter à poursuivre mon œuvre, a confié l’auteure, touchée, et à continuer à m’intéresser à d’autres vies que la mienne »
Ce roman plein de vie, correspond à une chevauchée dans la France du XVIIe siècle, et prolonge l’épopée. Avec elle, on voyage, on banquète, on croise le fer, on aime, on venge. Milady n’a toujours pas froid aux yeux, elle s’est même enhardie, si on en croit la romancière. Ce qui est sûr, c’est qu’on renoue avec une prose riche en vocabulaire et en péripéties.
Dumas fille est digne de son modèle.
Adélaïde de Clermont-Tonnerre écrit la langue d’aujourd’hui et son regard sur Milady est celle d’une femme contemporaine !
Cela donne à ce roman peint aux couleurs d’antan une vigueur moderne et réjouissante.
Prix Médicis
Boudé hier par le Goncourt, l’auteur, grand favori de la rentrée littéraire, peut se consoler avec cette belle récompense.
Drôle d’épilogue pour le favori des Prix. En lice pour le Goncourt avec un statut de favori qui se retrouve sans aucune voix dans le vote final.
Emmanuel Carrère remporte finalement le prix Médicis pour Kolkhoze. Les jurés du prix ont profité de l’occasion d’inscrire à leur palmarès le « Petit Prince » des lettres, déjà sacré par deux des plus gros prix littéraires, le Femina en 1995 pour La Classe de neige et le Renaudot en 2011 pour Limonov.
Fils d’Hélène Carrère d’Encausse, historienne puis académicienne, Emmanuel Carrère enquête aussi sur ses racines géorgiennes et russes.
Avec ce Prix, c’est une carrière de quatre décennies qui est saluée, soit 17 livres et 21 scénarios pour le cinéma ou le petit écran. Il a débuté dans la presse vers la fin des années 80 en couvrant des petits procès en province et n’a plus arrêté. La presse étrangère fait souvent appel à lui et le Guardian, notamment, lui a commandé un reportage sur les traces d’Emmanuel Macron au G7 en juin dernier.
Carrère, dans ce livre excelle dans son rôle de conteur, qu’il a sans doute hérité de sa mère, jouant avec le lecteur, lui assurant une sorte de complicité amicale.
Ce qu’il confirme : « ...J’aime ça, le récit. J’aime la façon de soutenir, de relancer l’intérêt. J’aime le fait de faire passer beaucoup d’informations. De faire un peu de la pédagogie. Parce que dans des livres comme Limonov ou Le Royaume, il y a une masse d’informations considérables. Et donc, gérer cette information, la digérer, la préparer pour le lecteur, moi, c’est quelque chose qui m’amuse toujours beaucoup. »
Prix Femina
Le jury du Prix Femina s'est réuni ce lundi 3 novembre au Musée Carnavalet. Elles ont attribué à Nathacha Appanah le Prix Femina pour La Nuit au cœur (Gallimard).
En récompensant la romancière Nathacha Appanah, le jury répare une sorte d’injustice car l'auteure n’a jamais été vraiment récompensée à sa mesure.
Dans ce roman, la romancière écrit sur le sort de trois femmes avec une force, une conviction et un sens aiguisé des mots et des phrases: Chahinez et Emma ont été tuées par leurs maris. La troisième a échappé à ce destin funeste. C’est elle.
Avec ce récit, Nathacha Appanah rend justice à ces deux femmes, parce qu’elle sait ce qu’elles ont ressenti, et qu’elle refuse de les réduire à leur simple mort. On a le sentiment que c’est à la première personne qu’elle raconte ces destins de femmes tant elle est empathique.
Jamais l’auteure n’a le sentiment d’être à la hauteur de leurs souffrances : « Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. »
L’auteure veut toucher la vérité absolue par l’écriture.
Prix Interallié
Le jury présidé par Jean-Marie Rouart a élu le 12 Novembre et proclamé au restaurant Lasserre, le vainqueur du Prix Interallié : Louis-Henri de la ROCHEFOUCAULD, L’amour moderne, Robert Laffont.
À travers le parcours d’un homme de lettres désabusé chargé d’écrire une pièce sur l’amour, l’auteur explore avec élégance les illusions sentimentales, les faux-semblants de l'univers mondain et les contradictions d’une génération en quête de sincérité.
Un roman lucide sur les passions contemporaines et la comédie sociale.
Prix de Flore
Le prix de Flore distingue « de jeunes auteurs prometteurs, au talent insolent et original ». Lancé par Frederic Begbeder, il a l'originalité d'offrir à son lauréat un verre de Pouilly-Fumé chaque jour pendant un an au célèbre café-restaurant parisien.
Décerné mercredi à la chanteuse et DJ Rebeka Warrior pour son premier roman, Toutes les vies (Stock), sur la mort de sa compagne emportée par un cancer à 36 ans, la lauréate l'a obtenu au premier tour lors des délibérations au café de Flore, fameuse brasserie du quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés.
Rebeka Warrior est chanteuse et D.J. Bien entendu, la langue y est rythmée. L’auteure nous raconte une histoire d’amour, «le récit d’un deuil impossible et d’une quête spirituelle qui sauve », comme l’explique son éditeur Stock.
Mais ce que nous décrit la narratrice c’est essentiellement sa peur, son épuisement, sa colère. Si ses mots sont parfois crus, c’est parce que la mort est cruelle. Elle fera de sa douleur, non seulement un beau roman, mais aussi un album avec Vitalic.
Quand vous avez lu Rebeka Warrior, vous pouvez l’écouter, et même la voir quand elle se produira.
Prix Quai des Orfèvres
Enfin Christophe Molmy remporte le prix du Quai des Orfèvres avec le polar Brûlez tout
Il était à la tête de la Brigade de protection des mineurs. L'auteur a eu les faveurs du jury pour la 80e édition de ce prix qui récompense chaque année un roman policier «à la française».
Le roman de Christophe Molmy, est aux éditions Fayard.
«Je voulais une histoire moderne avec pour arène les réseaux sociaux en particulier, un groupe complotiste, (...) en s'inspirant des grands mouvements populaires (...) qui ne sont plus nécessairement aiguillonnés par des individus» ou «un groupe politique», déclare l'auteur. Christophe Molmy, ancien patron de la BRI (Brigade de recherche et d'intervention) était présent lors de l'assaut au Bataclan le 13 novembre 2015.
On est loin du Cosy Mystery
Ces prix littéraires dans leur ensemble 2025 nous invitent à redécouvrir une certaine richesse des imaginaires.
Et si l’on a tendance à critiquer ces récompenses presque systématiquement, le cru 2025 est particulier.
Derrière la plupart des récompenses se cache une voix singulière, un respect des codes des romans traditionnels.
Un regard plutôt neuf, paradoxalement.
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Merci pour l'article.
Et merci pour le lien @Cortex !
Par lequel je commence ? Plouf, plouf, ça ne sera pas toi... ;-)
L'article est instructif et me conforte dans l'idée que les lignes éditoriales sont toujours étriquées : pour être édité, il faut bien penser. @Sylvie de Tauriac
@Robert C.
Merci de l'info ! je mets de côté aussi.
@Michel Laurent
Je n'ai pas écouté avec Pennac. Je n'y manquerai pas.
Merci
@Cortex
MM Sarr vient de signer la préface des Œuvres complètes à quatre mains de Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares aux Editions Seghers. Je mets dans ma liste
@Robert C.
@Michel Laurent
J'écoutais aussi il y a quelques années les entretiens d'Alain Veinstein avec des écrivains dans "Du jour au lendemain", magnifique émission d'intimité et de partage sur France Culture. Pour @Vanessa Michel :
Avec Christian Bobin, l'un de vos auteurs préférés.
https://www.youtube.com/watch?v=W015teBKECg
Merci à tous les deux, je vais reprendre les podcasts de Richard Gaitet.
(D'ailleurs je ne sais pas pourquoi je m'en étais éloigné, il y a des périodes dans la vie :)
@Robert C.
@Cortex
Richard Gaitet est effectivement un homme remarquable, et ses podcasts sur ARTE Radio sont excellents. Je vous recommande aussi ses entretiens avec Daniel Pennac, qui n’ont presque pas nécessité de montage tant l’oralité de cet écrivain est d’une ductilité exceptionnelle.
@Phillechat 3
Je vous l'accorde... cliqueur ne signifie pas lecteur... et il y a sans doute un effet boule de neige...
Mais merci pour votre encouragement.
@Café littéraire
Ceci dit, il faut savoir raison garder : une "visite" n'est certes pas une lecture !!
Mais être dans le top cinq est une belle réussite et je vous félicite !
@Robert C.
J'ai beaucoup écouté ses podcasts ! excellent ! Merci pour l'info.
@Cortex
Moi aussi j'ai aimé le roman de Mohamed Mbougar Sarr (un fan de Bolano), et aussi ses précédents bouquins (De purs hommes). ;-) Parfois les prix surprennent
A écouter les podcasts de Richard Gaitet (qui faisait la bookbox sur radio nova) sur Arte radio, excellents entretiens de 3 heures avec Tristan Garcia, Céline Minard, pierre Michon, Laura Vazquez et M M Sarr.
Merci, mBS, pour cet article fouillé.
Mais enfin, @Cortex ne dites pas de sottises : nous entrons à notre corps défendant, dans le top five de Mbs (demain matin) en sachant que les quatre premiers font plus ou moins 300 000 visites, plus qu'un Goncourt !!! Grave chelou...
Nous, 1900, chiffre honnête, en 10 jours, ce qui nous place objectivement à la première place... Et vous avez le toupet de dire qu'on est blacklistés ???
Vous, ce sont 2 ou 3 groupies chaque matin (les mêmes)... et vous chantez victoire ???
Vous me faites penser au type qui tombe du 10e étage et qui en passant devant le 5e dit à son voisin," j'arriverai plus vite que vous en bas..."
PS : C'est quoi cette manie d'effacer vos propos pour pas qu'on vérifie...
Ce n'est pas ce que j'ai dit, Denis B. du @Café littéraire, toujours aussi provocateur.... j'ai dit que la concentration des maisons d'éditions présentait un risque d'entente pour l'attribution des prix littéraires. Mais que ce risque n'amoindrissait pas la qualité des livres présentés. Et je soulignais l'exceptionnel Goncourt de Mohamed Mbougar Sarr (2021). Mais qu'en revanche j'étais souvent déçu par les prix littéraires. Peut-être parce que mon niveau d'exigence est plus élevé quand il y a un bandeau rouge sur la couverture.
Ce n'est pas la première fois que vous déformez les propos des autres, Denis. Et après vous vous étonnez qu'on vous blackliste.
Les prix littéraires, c’est le marketing haut de gamme : on y trouve du très bon et du moins bons.
Les Bussi, Musso, Levy, McFadden et autres Melissa da Costa, c’est le marketing à grande échelle : on y trouve du moins bon et beaucoup de mauvais.
L’autoédition c’est le marketing de réseaux : on y trouve …parfois du bon.
Je vais les découvrir.
Jadis, j’adorais le Renaudot. Il était décerné au meilleur roman, après que les maisons d’édition se soient fait tourner le Goncourt, comme le dit un fin connaisseur des combines littéraires : @Cortex
De nos jours, les prix, c’est exactement ce qu’il ne faut pas lire : dégoulinant de victimisation, de repentance, égocentré…
Les seuls écarts permis sont les maltraitances contre les femmes pour confirmer la bestialité de l'homme et ce dont se régalent les critiques littéraires : la transsexualité...
Qu'on ne me fasse pas pour autant de mauvais procès, dans mes polars, mes héroïnes sont toutes des femmes dominantes et homosexuelles —je les adore— , mais elles n’en font pas un fromage et sont charitables avec les hommes, ces pauvres punching-ball...
Ce n’est pas particulier à la France. J’ai fait le tour des prix littéraires 2025 dans d’autres pays (Allemagne, Italie, Suisse, USA) on retrouve plus ou moins les mêmes thèmes, c’est souvent introspectif, des histoires de familles, des problèmes de société liés à la place de la femme. C’est le plus souvent sombre. Quant au prix Nobel (Hongrois) de cette année, son œuvre est en tendance dystopique.
Il y a sans aucun doute un large public friand de ces oeuvres primées.
Il faut faire son marché dans les livres primés. Il y a du bon et du mauvais, évidemment. J'ai aimé Les forces de Laura Vazquez, un livre original et prenant. Carrère me fatigue, c'est un mauvais écrivain qui choisit de bons sujets. Limonov j'avais beaucoup aimé... puis je l'ai relu et j'ai lu les textes de Limonov. Du coup j'ai changé d'avis.
Oui une danse, je dirais plutôt une danse du ventre !