Mon grand,
Te souviens-tu de cette date fatidique du 11 mai 2020 ? J’avais 49 ans et tu allais fêter tes 23 ans. Te rappelles-tu du sentiment que nous avions, de cette crainte de retrouver les autres, leurs vies, leurs modes de fonctionnement ? Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était voici 20 ans.
La mort ne nous faisait pas peur, nous la trouvions normale. Elle nous permettait d’apprécier chaque instant de notre vie. Le confinement ne fut pas une torture pour notre petite famille. Non, elle fut même une délivrance. Ne pas porter de masque pour les côtoyer. Ne pas être obligé d’analyser l’autre pour savoir comment interagir. Ne pas faire la bise par obligation sociale, ne pas devoir faire semblant. Ils devaient apprendre à vivre comme nous le faisions, simplement, logiquement.
Ils aimaient les cases dans leur société : LGBT+, noir, blanc, beur, asiatique, riche, pauvre, normal, différent. Nous étions pauvres, blancs métissés et autistes. Nous nous adaptions à leur folie. Ils furent obligés de vivre comme nous, simplement, logiquement. De voir les êtres tels qu’ils sont et non pas tels qu’ils paraissent être. De se contenter de ce dont ils ont besoin et non pas de ce qui fait bien de posséder. On espérait qu’ils s’amélioreraient.
Même si je t’ai mis le nez dans la technologie informatique et l’analyse du monde de l’internet, mon dégoût des réseaux fit bientôt, dans ce contexte, une envolée. Tout le monde savait tout sur tout ! Une prédominance de la bêtise véhiculée par qui voulait se sentir supérieur aux autres. Les médias n’étaient pas en reste comme toujours. Il faut bien vendre et la polémique est une pièce maîtresse pour cela. On ne réfléchissait pas, on niait comme toujours. On ironisait, jouait les bons samaritains, se plaignaient de tout et de rien.
Parfois, tu avais quelqu’un qui montrait le beau. C’était si rare que cela devenait lumineux devant mes yeux. J’en pleurai. Tant de fous qui se pensent sages et si peu de sages que l’on pense fous. Ce monde n’avait plus rien d’humain déjà avant le confinement… Il ne le fut guère plus pendant. Quand on a peur, on se trouve des héros pour se sentir moins lâches. On les applaudit à sa fenêtre à 20 heures. Quelle ironie ! Nous avons éclaté de rire chaque soir en scandant « Il est 20 heures bon peuple, dormez tranquille tout va bien ». Irrespect pour les uns, pour nous c’était une réalité. Nous savions que la tempête passée, tout serait effacé.
C’est finalement ce qu’il fut. Le 11 mai 2020 tout redémarrait, tout continuait comme avant. Nous avons soupiré en constatant qu’ils devenaient pires et ne réfléchissaient toujours pas. Toi et moi avions espéré que tout changerait.
Demain je me lève tôt. Je vais aider à ramasser les morts de la Covid-40. Ton petit frère combat dans les laboratoires, il m’a fourni un masque. L’air se fait plus rare. Il faut survivre dorénavant. Notre société ne s’est jamais adaptée, sa fin est installée.
Je t’aime, mon fils.
Alvyane Kermoal
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Je vous remercie tous pour vos commentaires. Oui, mon texte n'est pas très positif, je le reconnais, cependant j'avais envie de ce genre de correspondance ;)
Je veux rester positive et me dire que l'on peut encore changer la donne. J'admets qu'être un colibri n'est pas évident pour éteindre le feu qui consume notre monde, cependant, je me dis que nous sommes nombreux à réaliser l'urgence.
Merci encore :)
Pas optimiste, tout cela @Alvyane Kermoal. Espérons que de cette crise sanitaire qui a affecté quasiment tous les pays il en ressortira quelques enseignements pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Des mouvements en faveur de l'environnement, de la biodiversité, de la nécessité de limiter les cultures intensives et les élevages intensifs qui conduisent à la déforestation la plus imbécile se manifestent ici ou là. On commence à parler du respect des animaux, à leur reconnaître une sensibilité comme aux humains...
Mais, et ce n'est pas propre à notre époque, combien de fous, de malades, de dictateurs et d'autocrates gouvernent de nombreux pays et pas des moindres ? Qu'espérer d'eux pour un monde meilleur demain ?
Une seule certitude, le monde d'aujourd'hui est une poudrière qui peut détruire notre civilisation à tout moment. D'autres grandes civilisations du passé ont subi ce sort, laissant place à des légendes. L'une d'entre elles au moins avait atteint un niveau de connaissances et de technologie supérieur au nôtre. Plus près de nous, dans la période historique, de grandes civilisations (Egyptienne, Grecque, Romaine...) n'ont pas su se perpétuer. Ne refaisons-nous pas les mêmes erreurs qui les ont menées à leur perte ? La guerre de 1914-1918 devait être par l'ampleur de ses atrocités la der des der. Il n'en a rien été. Conflits, déplacements de populations, famines, bientôt pénurie d'eau potable sont des menaces prévisibles. Qu'en sera-t-il ? Et quand ?
L'idée de vous projeter en 2040 était un bon sujet pour un auteur. Dans l'écriture, tout est permis, tout est possible pour qui ne s'appelle pas Jules Vernes.
Merci pour votre contribution à "Dorénavant...".
Ah une bonne chute... c'est le meilleur écrin pour un texte intelligent
Bravo ! Belle analyse, joliment racontée. Et le COVID-40, quelle bonne idée !!! Rendez-vous en 2040...