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Le 05 sep 2022

Littérature et censure - la religion

Selon Jean-Michel Boschet, on ne peut expliquer les limites de la liberté d'expression en littérature sans parler de la manière dont la censure s'est exercée dans de multiples domaines auparavant, car écriture et lecture ont longtemps été réservées à une minorité privilégiée. Il faudra attendre l’invention du caractère mobile par Gutenberg pour que les écrits puissent être diffusés en très grand nombre et que la censure littéraire prenne, elle aussi, toute son ampleur ravageuse.
La littérature jugée par la religionLa littérature jugée par la religion

« Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »
Cette citation est de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), aventurier, libertin, parvenu, trafiquant d’armes, auteur du célèbre Mariage de Figaro, il dut batailler trois ans contre la censure royale avant de pouvoir faire représenter sa pièce en public et en faire un triomphe en 1784.

Le plus souvent, la censure avance masquée

Beaumarchais ne fut ni la première ni la dernière victime de la censure. En effet, elle a existé de tout temps sous des formes multiples.

Si elle est parfois officielle et peut conduire à des procès et mener en prison, voire pire, elle est bien souvent insidieuse et avance masquée.
La censure est la limitation arbitraire de la liberté d’expression par un pouvoir quelconque sur des livres, médias ou diverses œuvres d’art, avant ou après leur diffusion au public, assortie de la condamnation d’une opinion qui ne répond pas à la doxa imposée.
Il existe, donc, plusieurs types de censure. La plus ancienne : la censure religieuse est le premier volet

La censure religieuse, la plus ancienne.

Cette forme de censure a vu le jour dès les toutes premières religions et perdure actuellement.
Salman Rushdie, visé par une fatwa iranienne lancée par l’Ayatollah Khomeini il y a maintenant 33 ans pour son livre « Les Versets Sataniques », a été grièvement blessé d’une dizaine de coups de couteau vendredi 12 août 2022, par un Américain d’origine libanaise, Hadi Matar, sympathisant des Gardiens de la révolution islamique d’Iran, preuve s’il en est que la censure a la vie et la dent dure.
Si l’actualité met en avant l’Islam intégriste, la plupart des religions sont malheureusement concernées, puisqu’aucune n’est permissive.
Dans l’Antiquité, il y eut des antagonismes parfois violents entre les religions polythéistes contre Mésopotamiens et Égyptiens, Égyptiens et Grecs, Grecs et Romains, etc.
Avec l’apparition des religions monothéistes, les conflits se sont généralisés et durcis : persécution des Chrétiens par les Romains et, plus tard, croisades réciproques entre Chrétiens et Musulmans.
Dans toute l’Europe, les guerres religieuses entre Catholiques et Protestants ont fait des milliers, voire des millions de victimes durant des siècles.
En France, il a fallu attendre 1905 pour que soit instaurée la loi codifiant la séparation des Églises et de l’État (qui provoqua la rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et notre pays).
La liberté de religion est une des quatre libertés garanties par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Cependant, dans de nombreux pays du monde d’aujourd’hui, la censure religieuse donne lieu à d’innombrables violences.

La censure et l’intolérance sont aussi vieilles que l’humanité (qui mérite dans ce cas assez mal son nom).

Les Juifs sont un peuple victime de persécutions religieuses depuis l’antiquité, notamment à travers leurs expulsions, puis durant les croisades ou lors de l’Inquisition. La Shoah, en dépit des liens entre anti-judaïsme et antisémitisme n’est pas considérée comme une persécution religieuse, mais comme un génocide.
Cependant, en 2021, les chrétiens apparaissent comme le groupe religieux le plus persécuté du monde : 5898 chrétiens ont été tués pour leur foi, soit 24 % de plus qu’en 2020. Le Nigeria, où Boko Haram et l’État islamique se livrent à une sorte de compétition morbide, enregistre un triste record, avec 4650 victimes.

Revenons plus prosaïquement à l’ère chrétienne. Aux persécutions des chrétiens apparues dès le Ier siècle dans l’Empire romain où l’on aimait bien les crucifier, les livrer aux bêtes féroces ou les enduire de poix avant d’y mettre le feu, ont succédé les destructions de statues et de temples païens quand le christianisme fut proclamé religion d’État par Théodose Ier en 381. Encore une fois, la censure n’est l’apanage d’aucune religion en particulier.
Dès lors, l’hégémonie chrétienne ne connut plus de limites.
Les dissensions n’affectaient alors que les Musulmans et les Juifs, mais, pour s’opposer efficacement aux Protestants, l’Église romaine mit en place un système rapidement bien rodé : l’Inquisition.
Créée au XIIIe siècle par l’Église catholique et relevant du droit canonique l’Inquisition (du mot latin inquisitio signifiant enquête) était un tribunal dont le but était de combattre l’hérésie, en faisant appliquer aux catholiques qui ne respectaient pas les dogmes des peines variant de simples peines spirituelles (prières, pénitences), à des amendes, à la confiscation de biens et à la peine de mort pour les apostats relaps.
Combattant les hérésies, l’Inquisition ne pouvait condamner que des catholiques, mais dès l’apparition de la Réforme, initiée par Martin Luther puis de Calvin, qui cherchait à séparer les pays germaniques, scandinaves et britanniques de l’Église romaine, la violence s’étendit très rapidement entre Catholiques et Protestants. Chacun de ces deux courants s’efforçant de réduire l’autre par la force et les exactions.

L’Inquisition est une procédure écrite basée sur le recueil et le recoupement de témoignages contradictoires qui a donné son nom à une juridiction religieuse spéciale créée au début du XIIIe siècle en France pour lutter contre les hérésies cathare et vaudoise qui avaient pris une dimension de rébellion politique dans le Midi Toulousain.
À la fin du Moyen Âge, l’Inquisition s’étendit en Espagne et au Portugal ainsi qu’aux colonies de leur empire, en particulier sous l’influence des franciscains et de dominicains, pour traquer les juifs marranes et les musulmans morisques convertis extérieurement au catholicisme, mais encore attachés à leur foi première. À partir de la Renaissance, l’Inquisition espagnole condamna environ 2 000 hérétiques au bûcher et s’étendit en Italie, organisant des autodafés de grande ampleur qui ont instauré une terreur durable
Le pouvoir inquisitoire est un pouvoir exorbitant du droit commun, susceptible d’être employé abusivement.
En Espagne, Tomás de Torquemada, parvint à la célébrité en devenant le plus cruel premier Grand Inquisiteur..
La procédure inquisitoriale accorde une grande importance à l’aveu de l’accusé.

En effet, juridiction religieuse, l’inquisition se préoccupe du rachat des âmes...

En effet, juridiction religieuse, l’inquisition se préoccupe du rachat des âmes donc souhaite obtenir le repentir des accusés. Toute une procédure est alors mise en place pour obtenir leur témoignage, puis leurs aveux. Pour aider les clercs à procéder aux interrogatoires, des manuels de l’inquisiteur sont rédigés. On y indique la procédure, les questions à poser, les pressions morales et physiques que l’on peut faire subir. L’inquisiteur doit extraire la vérité par la ruse et la sagacité. Parmi les pressions physiques, on peut citer la réclusion, la privation de nourriture et la torture. Mais une des particularités de l’instruction inquisitoriale est le secret : l’accusé et ses proches ne connaissent aucun des chefs d’inculpation et la défense se fait donc à l’aveuglette.
Trois formes de tortures étaient utilisées : l’eau, la poutre et le feu.
Le tribunal inquisitoire n’infligeait pas de peines à proprement parler, mais des « pénitences ». qui consistaient en flagellation publique au cours de la messe, en visites aux églises, en pèlerinages, à l’entretien d’un pauvre, du port de la croix sur les vêtements, etc.
Le relaps, qui refusait d’avouer son crime, était abandonné à l’autorité séculière, et la peine de son crime était souvent l’incarcération ou le bûcher.
La peine la plus sévère prononcée par l’Église était l’excommunication.
Les condamnations à mort étaient une sentence civile et exécutées par les autorités séculières. Il n’y avait, cependant, pas de séparation précise entre les domaines civils et religieux : les autorités civiles étaient elles-mêmes tenues d’apporter leur concours sous peine d’excommunication.
Il faut noter qu’une bonne dizaine d’inquisiteurs furent assassinés entre 1200 et 1660.
La punition de l’individu ne suffisait cependant pas obligatoirement à supprimer la circulation des idées subversives de celui-ci, l’inquisition mit au point un ingénieux procédé qui permettait d’obtenir ce résultat : l’autodafé, mot portugais venant du Latin, signifiant « acte de foi ».

Les autodafés une double peine

C’est à partir de la Renaissance que le courant humaniste, amplifié par le développement de l’imprimerie, s’efforcera de présenter l’expression des convictions comme un moyen d’accomplissement personnel et d’émancipation de l’individu en plaidant notamment pour la tolérance dans l’approche de la différence des croyances religieuses.

les autorités religieuses ajoutèrent à la sanction de l’individu, la destruction systématique des œuvres pouvant corrompre le bon peuple,

Pour empêcher la diffusion de cette regrettable atteinte à leur pouvoir, les autorités religieuses ajoutèrent à la sanction de l’individu, la destruction systématique des œuvres pouvant corrompre le bon peuple, et ce, qu’elles soient philosophiques, littéraires, picturales, voire musicales.

Jérome Savonarole (qui ne cédait en rien à l’austérité et au total manque d’humour des ayatollahs musulmans actuels), outré par la vie dissolue des papes et du clergé de Rome ainsi que par le trop grand faste des Médicis à Florence ordonna, en 1497, l’édification du « Bûcher des Vanités ».
Les miroirs et cosmétiques, les images licencieuses, les livres non religieux, les jeux, les vêtements trop coûteux, les instruments de musique, les nus peints, les œuvres de poètes jugés immoraux, comme Boccace et Pétrarque, sont brûlés sur un vaste bûcher de la piazza della Signoria. Des chefs-d’œuvre exceptionnels de l’art florentin de la Renaissance ont ainsi disparu dans le bûcher, y compris des peintures de Sandro Botticelli, que l’artiste a lui-même apportées.
Malheureusement pour lui, le 23 mai 1497, Savonarole est excommunié par le pape Alexandre VI (Rodrigo Borgia, dans le civil), accusé d’hérésie et, après avoir subi deux séances de tortures, il est condamné avec deux de ses disciples. Ils sont pendus puis brûlés sur la même piazza où a été élevé le bûcher des Vanités. Leurs cendres sont jetées dans l’Arno.
Si le « Bûcher des Vanités » est le plus célèbre autodafé, ils sont légions à l’époque et ceux de Valladolid, Goa, Madrid ou de Lisbonne ont longtemps marqué les esprits.
S’ils sont surtout l’apanage de l’Inquisition, des autodafés ont eu lieu durant la colonisation des Amériques, durant les deux guerres mondiales et perdurent encore de nos jours dans certains pays assez peu démocratiques. Nous aborderons prochainement ce sujet dans la suite de cet article.

Jean-Michel Boschet

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Belle citation @Jean-Michel Boschet, pour introduire la censure qui menaçait les écrivains à l'époque de Beaumarchais avec le poids de la religion (mais pas que !).
On peut cependant être surpris, toujours à la même époque, d'une plus grande tolérance en matière de peinture... ce qui n'a pas été le cas un siècle plus tard alors que l'influence de la religion n'était plus aussi influente.
Soulignons qu'à l'époque de Beaumarchais, le souverain n'était pas un exemple de vertu.
Mais puisque le thème du jour concerne la littérature en jugement du fait de la religion, on peut dire que le summum de la bêtise, de l'intolérance, a été atteint à l'encontre de Salman Rushdie... le pire, sans raison véritable.
Le poids des religions a été néfaste au cours des siècles, pas seulement à l'encontre des arts. On leur doit aussi beaucoup de crimes et de conflits meurtriers encore au 21ème siècle.
Merci @monBestSeller pour cette série relative aux censures.

Publié le 09 Septembre 2022

Merci pour ce bon article. Toutefois, vous omettez de mentionner (peut-être dans un prochain billet) l'autodafé très récent (2021) du roman " Les raisins de la colère " de John Steinbeck, de The Board of Directors on the public library in East St Louis, Illinois à 5 voix contre 4 et censuré à Kansas City dans 20 écoles, tout comme a été censuré son roman " Des souris et des hommes " - 1937. Ce chef-d'œuvre a échappé à la censure (Ouf !) de la Sureté Générale et des librairies au Liban, 75 ans après sa publication, pour cause de vulgarité, langage raciste et agressif. Le dernier reproche ne viendrait pas de son contenu, mais du fait que Steinbeck aurait été juif ! De nos jours, la censure, voire l'autodafé d'œuvres, tout art confondu, est toujours d'actualité, hélas ! Pour info, John Steinbeck, fut prix Nobel de littérature en 1962.

Publié le 07 Septembre 2022