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Le 05 sep 2023

Bienvenue à la francophonie sur monBestSeller (suite)

La littérature tchadienne est reconnue comme une des plus riches d’Afrique. Des signatures aussi prestigieuses que Nimrod, Ndjékéry, Baba Moustapha, Kaar Kass Sonn, Nocky, Béral tirent vers le haut une jeune génération d’écrivains frémissante de passion pour la littérature, fermement engagée à construire son identité nationale grâce au livre.
Bienvenue à la francophonie sur monBestSeller (suite) La littérature tchadienne
Sosthène Mbernodji est une de ces figures vivant, respirant pour la littérature. Sa vie professionnelle, véritable feu d’artifice, se partage entre son métier d’enseignant de la littérature française et ses innombrables interventions en tant qu’activiste. Il est tour à tour journaliste radiophonique, animateur de cafés littéraires et d’ateliers d’écriture ; il est lui-même écrivain et fervent défenseur des Droits Humains ; il est l’initiateur du FISH (Festival — littéraire — International le Souffle de l’Harmattan) et tant d’autres activités encore…

 

Question: 

Sosthène, ce qui surprend, quand on aborde la littérature tchadienne, c’est son incroyable jeunesse.

Réponse: 

Sosthène Mbernodji. Le coup d’envoi de notre littérature d’expression française a été donné en 1962 par Joseph Brahim Seid dans un recueil de contes « Au Tchad sous les étoiles ». Le conte est un genre populaire en Afrique, il revêt une triple fonction : ludique, didactique et cathartique. Il faut expliquer la jeunesse de cette littérature par deux raisons : l’école française n’a été instituée qu’en 1911, et dans une partie du pays seulement, ensuite, le climat défavorable, à l’époque, pour toute production littéraire. Mais il y a eu avant Brahim Seid, Palou Bebnoné, dont les inédits ont été découverts à la bibliothèque de Radio France.

 

Question: 

La nouvelle génération aborde le roman, mais c’est le théâtre, le conte et la poésie qui sont le socle de la littérature de Toumaï.

Réponse: 

Le roman est un fabuleux genre littéraire qui a cette capacité d’aborder de nombreux sujets en déroulant une intrigue ; c’est ce qui est intéressant. La nouvelle génération, celle à laquelle j’appartiens, à beaucoup de choses à dire, de nombreux combats à mener, c’est toute sa raison d’être. Le roman est pour moi le genre à travers lequel on peut s’exprimer aisément. La nouvelle est d’autant plus intéressante à cause de sa brièveté, du peu de personnages qu’on met en scène, mais surtout de la chute qui surprend le lecteur et le laisse mariner.

 

Question: 

La littérature tchadienne ne peut pas être pensée en dehors de l’histoire du pays. Rappelons à toutes fins utiles que le Tchad a connu 23 ans de guerre civile en trois épisodes entre 1965 et 2015

Réponse: 

Toute littérature est tributaire des événements sociaux, politiques, religieux du territoire sur lequel elle pousse. La guerre, ou plutôt les différentes guerres de pouvoir ont alimenté de nombreux textes, ce qui a servi de ferment à la création. Les écrivains de la première génération ont consacré leur plume à ce sujet : Baba Moustapha dans « Le souffle de l’harmattan », Noël Ndjékery dans « Sang de kola », Nimrod dans « Les jambes d’Alice », etc. Et même ma génération n’a pas dérogé à la règle, puisque le président Déby est mort au combat en avril 2021. En ce moment, d’autres sujets, en dehors de la guerre, alimentent les écrits.

 

Sosthène Mbernodji sur monBestSeller
Question: 

Pouvez-vous nous résumer la situation actuelle d’un citoyen tchadien moyen ?

Réponse: 

Le citoyen tchadien moyen vit une crise de gouvernance chaotique depuis 43 ans, aux relents de repli identitaire. C’est pourquoi nous, auteurs, essayons de porter la voix de tout ce beau monde.

 

Question: 

Et celle d’une femme.

Réponse: 

Nous disons que les pesanteurs socioculturelles, voire religieuses, pèsent sur la femme tchadienne. Elle n’a pas voix au chapitre ; elle est souvent reléguée au second rang, peu scolarisée, en proie à une marginalisation effarante parce que la société tchadienne est misogyne. La condition féminine est peu reluisante. C’est pourquoi, nous essayons de faire de sorte qu’elle arrive à reconquérir sa place. Car la gent féminine représente 52 % de la population ; ce qui veut dire qu’aucun développement n’est possible sans l’implication de celle-ci. Ce qui étonne en parcourant le pays du nord au sud, c’est le cosmopolitisme des ethnies qui peuplent cet espace. Les coutumes, dans certaines régions, prennent le dessus sur la loi.

 

Question: 

Lorsque vous déclarez que la littérature tchadienne est un des moyens de construire l’identité nationale de votre pays, nous devons avoir ces éléments en mémoire. Qu’attendez-vous donc de la littérature et des écrivains ?

Réponse: 

Les écrivains tchadiens utilisent leur plume pour « recoller les morceaux ». Notre obsession est de réconcilier les esprits et les cœurs meurtris. Nous vivons dans un pays qui a connu des déchirures, tant et si bien que les plaies sont béantes ; le seul vecteur de rassemblement reste la culture, mais principalement la littérature qui devient, du coup, un véritable catalyseur, un moyen de faire connaitre les composantes tribales qui existent afin d’éviter le mimétisme.

 

Question: 

La littérature tchadienne dont nous parlons dans cet échange est de langue française. Existe-t-il ou peut-on penser qu’il existera une littérature (autre que technique) en langues nationales ?

Réponse: 

Comme les langues officielles du Tchad sont le français et l’arabe, il existe la littérature d’expression arabe aux côtés de celle en langue française. Mais il se développe également une littérature en langues nationales principalement dans des églises et centres de linguistique tels que la SIL. L’effort restant à produire concerne la promotion et la diffusion de toutes ces littératures auprès des bons locuteurs.

 

Question: 

Pouvez-vous nous dire quelles sont les valeurs et les thématiques les plus développées à travers la littérature tchadienne.

Réponse: 

La thématique centrale de la littérature tchadienne, si l’on fait un recoupement des textes, reste l’homme dans son milieu et le pouvoir. Le thème de la guerre fait référence au pouvoir, l’émancipation de la femme, les crises de valeurs sociales, le vivre-ensemble ou la cohabitation pacifique, sont autant de thèmes traités.

 

Question: 

Devons-nous imaginer à travers cela l’idéal de société vers lequel vous tendez ?

Réponse: 

Une société réconciliée par elle-même, paisible, joyeuse et admirée de tous (pour faire un clin d’œil à notre hymne national). Je crois que l’histoire nous donnera raison, même outre-tombe s’il faut attendre jusque-là.

 

Question: 

Est-il facile d’aborder ces thèmes aujourd’hui, au Tchad ?

Réponse: 

S’il y a une évidence au Tchad, c’est que le pouvoir ne censure pas les textes ; on laisse dire ou exprimer tout ce qui vous tient aux tripes, et on ne vous accorde aucune importance. Les tenants du pouvoir ressassent une formule : "Le chien aboie, la caravane passe !" Mais je veux répondre à cela qu’un jour viendra où la caravane s’arrêtera, et suivra les aboiements du chien. 

 

Sosthène Mbernodji, nous vous remercions pour cette interview. Nous vous disons à bientôt, car le 10 octobre prochain se tient à N’Djamena le 10e Festival Littéraire International "Le Souffle de l’Harmattan" et nous sommes curieux d’en savoir davantage.
Bien entendu, les lecteurs de cet article peuvent continuer à faire votre connaissance en lisant ici même votre livre : "Le revenant de Nokou".
 
Comme disent les marins : Bon vent !

 

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13 CommentairesAjouter un commentaire

Merci à Sosthène pour la présentation éloquente de la littérature tchadienne et du contexte particulier de ce pays: je partage entièrement tout ce qui est dit. Nos bavardages ne les engagent en rien, car, comme la grande partie du peuple, ils ne lisent pas tout simplement (sauf quand on les accuse à travers des articles, là, ce sont d'autres qui les informent de ce qui écrit sur eux). Mais bon, la littérature est là, et elle se fait, car il y a des Sosthène pour la rendre plus vivante.

Publié le 03 Novembre 2023

C'est une excellente initiative !

Publié le 23 Septembre 2023

Vous n'imaginez pas, @Michel CANAL, à quel point vous avez raison concernant Sosthène. Cet homme fait des miracles avec sa seule volonté, l'esprit qu'il insufle et des bouts de ficelle. Si vous en avez l'occasion, je vous incite à suivre son activité sur sa page FB : https://www.facebook.com/profile.php?id=100006316419464

Publié le 13 Septembre 2023

Merci pour toutes ces précisions @Catarina Viti.
Difficile, effectivement, d'imaginer depuis la France ce morcellement de langues et de dialectes, courant en Afrique.
C'est pourquoi, quand on a affaire à un @sosthène Mbernodji il faut s'en réjouir et tout faire pour l'encourager à poursuivre ses activités. Il fait plus à lui seul pour la francophonie que la flopée de diplomates en poste.
MC

Publié le 13 Septembre 2023

@Marie Bataille, @Christiane PABLO MORA, @Michel CANAL, @LAURENCE LABBE, @Kroussar, @Stog, @émilie bruck, @Plume_web
La démarche de Sosthène Mbernodji (avoir crée -et animer depuis 10 ans- le Festival littéraire international le Souffle de l'Harmattan à N'Djamena d'une part, tout en proposant une oeuvre comme "Le revenant de Nokou" est d'autant plus remarquable que la francophonie au Tchad ne concerne que 13% de la population, et que le français n'est pas l'unique langue nationale, mais figure auprès de l'arabe, dans un pays mosaïque ou plusieurs langues locales coeexistent.
A fin d'information (puisé dans une étude de l'université de Laval)
L’apprentissage des deux langues officielles (arabe classique et français) à l’école pose toujours des problèmes puisque ce sont des langues secondes pour tout élève tchadien. Seulement 10 % des Tchadiens parlent l'arabe tchadien comme langue maternelle, mais 50 % le parlent comme langue seconde ou véhiculaire, pour un total de 60 %. En tant que langue maternelle, personne ne parle l'arabe classique enseigné dans les écoles. En général, les Tchadiens parlent plus l'arabe tchadien dans le nord du pays, alors que dans le Sud le français est plus répandu comme langue seconde, étant donné que c'est la langue de travail du gouvernement et des affaires. La proportion des Tchadiens qui comprennent le français est probablement inférieure à 30 %.
Il faut remettre toute chose dans son contexte.

Publié le 13 Septembre 2023

@gaetan b

Publié le 11 Septembre 2023

Bonjour chers amis. Je suis fortement ému de votre réactivité à propos de cette interview, moi qui écris à partir du Tchad, un pays qui a mauvaise presse. Que l'écriture nous rapproche, et qu'on y retrouve notre humanité entière.
@Marie Bataille, @Christiane PABLO MORA, @Michel CANAL, @LAURENCE LABBE, @Kroussar, @Stog, @émilie bruck

Publié le 11 Septembre 2023

Je suis souvent séduite par la richesse de l´écriture, indépendamment du thème, lorsque le Français est écrit directement hors la langue maternelle. Peut-être est-ce le choix du cœur qui produit de si beaux textes.
Merci pour cette tribune.

Publié le 08 Septembre 2023

Ça a déjà été dit mais je me plais à le redire : magnifique tribune !
Ce que j'en retiens :
@Sosthène Mbernodji est une très belle personne, dans laquelle je retrouve cette expression parfaite de la langue française que beaucoup de nationaux ont perdue avec la déliquescence de la transmission du savoir dans nos écoles. Pureté que j'ai été admiratif de trouver loin du sol hexagonal, parfois plus ancrée encore dans les coins les plus reculés que dans les villes de nos anciennes colonies ou même dans nos départements et territoires d'Outre-mer. La preuve que des instituteurs, héritiers des hussards de la République, avaient fait (font encore) un travail remarquable. Sosthène Mbernodji en est la parfaite illustration.
— À de bonnes questions, Sosthène Mbernodji a apporté de magnifiques réponses sur la francophonie, l'identité nationale, la situation sociale avec la place de l'homme et de la femme, la littérature tchadienne.
— Je salue enfin son implication. Comme enseignant de la littérature française, mais encore pour toutes ses autres activités (journaliste radiophonique, animateur de cafés littéraires et d’ateliers d’écriture, écrivain, fervent défenseur des Droits Humains, initiateur du Festival — littéraire — International le Souffle de l’Harmattan...).
Merci pour ce brillant partage si riche d'enseignements... et bonne chance à vous, Sosthène, pour la suite.
Avec toute ma sympathie. MC

Publié le 08 Septembre 2023

Bravo, quel riche échange ! Passionnant ! Je m'en vais de ce pas découvrir ces écrits pour découvrir aussi ce pays et sa culture dont j'ai peu entendu parler.

Publié le 08 Septembre 2023

Magnifique tribune ! Merci pour ces messages plein d'espoirs ! Et que la réussite soit avec vous.

Publié le 06 Septembre 2023

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, y compris les identités nationales. Rien à faire! elles mutent, elles l’ont toujours faite. Depuis, les migrations des premiers homo sapiens au départ de l’Afrique, autour de 200,000 ans avant notre ère.

Aucune nation n’a aidé à créer une ossature en Afrique. Les peuples africains étaient distribués d’est en ouest à partir du golfe de Guinée, les nations colonisatrices ont tracé des frontières arbitraires du sud vers le nord, c’est plutôt un démembrement.

Publié le 06 Septembre 2023

Je remercie vivement le site monbestseller d’avoir ouvert ses portes à la francophonie et à la littérature tchadienne. Actuellement, moi-même et mon équipe sommes en pleins préparatifs du prochain FESTIVAL INTERNATIONAL LE SOUFFLE DE L’HARMATTAN, et nous mettons la touche finale à « Lorsque le Souffle est né », un livre souvenir, qui retrace les 10 ans de notre festival littéraire à N’Djamena. Je vois que chez vous comme chez nous, beaucoup reste à faire pour promouvoir la littérature et les nouveaux auteurs, mais n’est-ce pas notre passion ? Merci encore pour votre accueil.

Publié le 05 Septembre 2023