
Omar est dans sa cellule, emprisonné avec les siens. Il ne comprend pas ce qu’il fait là. Il n’a rien fait de mal. Il n’est qu’un individu parmi tant d’autres. Alors, pourquoi lui ? Effrayé par le sort qu’on lui réserve, il s’est recroquevillé dans un coin, la tête collée contre l’une des vitres de ce cube tout de verre vêtu. Une cage dont la transparence permet d’étudier sans pudeur tous ceux qui s’y trouvent. Fort heureusement, il ne souffre pas. Pas encore. Seule la peur l’accompagne. La crainte de voir le chef de l’armée blanche qui le détient prisonnier revenir et emporter l’un d’entre eux, peut-être lui.
Michel a du travail, une mission, une équipe à diriger. Le torse bombé dans son uniforme immaculé, il décide, corrige, coordonne. Son rêve, obtenir une étoile, gravir les échelons un à un, devenir le meilleur. L’excellence l’obsède, c’est pour cela qu’il manie sa brigade d’une main de fer. L’empathie lui est étrangère, la pitié son ennemi. Son cœur laissé à la maison, il se pavane dans une conscience professionnelle exacerbée, car selon lui, le travail bien fait ne remplacera jamais la perfection. Fier de ses réalisations, il part à la conquête du monde et exhibe ses chefs-d’œuvre tel un artiste.
Omar sait qu’il n’a aucune chance de s’en sortir. Il a peut-être la peau dure, mais cette fois, sa carapace ne le sauvera pas. Il n’est qu’un homard, un Américain pur souche loin de chez lui, cloitré dans l’aquarium du restaurant le plus branché de Paris. Étourdi par les basses de la musique d’ambiance, Omar laisse son esprit divaguer. Le regard vide, les yeux sombres tels les abysses, il est ailleurs. Il vogue sous l’océan de ses souvenirs. Les pentes escarpées de son récif lui manquent. Tandis qu’il tortille son abdomen afin de libérer ses pinces broyeuses de l’élastique qui entrave sa liberté, ses antennes détectent un mouvement. Quelqu’un s’approche.
Michel est un grand chef. Dictateur culinaire réputé, il aime prendre les choses en main et c’est sans surprise qu’il choisit le homard qu’il va prochainement cuisiner. Accompagné de son commis, apprenti tueur en série, il observe les décapodes anoblis par la vie qui coule en eux. Bientôt, la mort les saisira et embellira les assiettes d’un rouge corail aguicheur. Un doigt pointé indique à l’adjoint-meurtrier la future victime.
Omar tremble. Le responsable en chef vient de le désigner. Il va lui aussi franchir la porte battante qui le sépare de l’enfer. Une salle de torture d’où s’échappent les hurlements des êtres malmenés. Combien de temps tiendra-t-il avant de perdre connaissance ? Trois minutes comme les autres ? Trois minutes de supplices et de cris ininterrompus ? Trois minutes, c’est long.
Omar a quitté la sérénité de son bassin pour l’agitation de la cuisine. Le tumulte ambiant lui donne le tournis. Il ferme les yeux et tente de fuir la funeste réalité. L’eau bouillonnante chatouille sa cuirasse et il comprend bien tristement que son immortalité n’est qu’un mythe.
Laurent Vij
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@L M Joli haïku !
Omar… Michel,
l'eau chantonne un air,
liquide en ébullition…
Fin de l'histoire !
Ca devait arriver, Omar l'a tuer !
Quel dommage que le suspense cesse dès le début du 3ᵉ paragraphe !
Style serré et prose évocatrice...Une réussite !... avec un léger goût de déjà lu, à moins que le sujet, bien vu au demeurant, n'ait déjà été exploité par un autre auteur.
Merci et bonne journée ! Amicalement,
Michèle