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Le 21 jui 2025

Storytelling : mais quelle est cette petite histoire autour des grands livres ?

Ni résumé ni synopsis, le storytelling (communication narrative en français) est le récit autour du livre, et parfois autour de l’auteur lui-même, qui justifie son existence, son unicité, sa nécessité aux yeux du lecteur, du libraire, du journaliste, de l’algorithme, ou du hasard.
On ne lit pas juste La Recherche. On lit Proust et ses madeleines, sa chambre tapissée de liège, sa mère, son asthme, son monde perdu.On ne lit pas juste La Recherche. On lit Proust et ses madeleines, sa chambre tapissée de liège, sa mère, son asthme, son monde perdu.

>> Connaissez-vous le storytelling ?

« Mais tu sais bien, c’est ce roman que cette autrice a écrit pendant qu’elle soignait sa mère atteinte d’Alzheimer... »

Vous êtes peut-être tombé sur un livre un jour, non pas parce qu’on vous en a vanté l’écriture, le style ou l’intrigue, mais parce qu’on vous a dit : « C’est une prof qui l’a écrit après avoir tout quitté. », « C’est une survivante des Twin Towers. », « Il a envoyé son manuscrit 42 fois avant qu’on lui dise oui. », « On l’a découvert grâce à un tweet ». Et là, sans l’avoir encore ouvert, vous étiez déjà en train de lire. Car le storytelling est le crochet narratif extérieur à l’œuvre, qui crée une attente.
Cette petite histoire qui précède les mots, qui entoure le livre comme un halo, qui donne envie — ou pas — d’entrer.

Mais ici, ne sonnez pas l’alerte marketing ! Nous ne parlons ni d’un piège à clics ni d’un déguisement vendeur, mais de cette chose étrange, essentielle, qui fait qu’un livre attire l’œil, reste dans une mémoire, traverse les années et parfois les siècles.
Un récit autour du récit, une présence autour du texte, une aura, même légère, qui incite le lecteur à s’approcher.

 >> Le pouvoir réel du storytelling

Un livre sans storytelling, c’est comme une bouteille de vin sans étiquette.
Un bon storytelling est une porte d’entrée vers l’œuvre. Les éditeurs le savent parfaitement. C’est pour cela qu’ils présentent souvent l’auteur avant le livre. Ainsi que les journalistes qui cherchent l’angle avant le style.

Le storytelling permet de s’identifier, de projeter une attente, de retenir le livre dans une offre pléthorique.

Un roman sur l’amour n’a rien d’exceptionnel. Mais si c’est le premier roman d’une jeune professeure afghane réfugiée en France, et inspiré de lettres trouvées dans un vide-grenier, alors, on le regarde différemment.

 >> Importance du storytelling pour les lecteurs et pour l’auteur lui-même :

C’est souvent un levier de clarification. Un bon storytelling permet à l’auteur de mieux saisir ce qui traverse son œuvre, de parler de son livre sans raconter l’histoire, de donner envie sans tout dévoiler.

 >> Importance du storytelling pour les algorithmes et les plateformes :

C’est ce qui permet d’étiqueter, de classer, de recommander. Le storytelling, dans ce cas, alimente la métadonnée narrative. Il aide les moteurs à savoir à qui proposer le livre. Amazon, Google, Facebook ne « lisent » pas votre livre. Ils lisent le récit que vous racontez autour du livre.

 >> Un livre sans légende est-il condamné à s’éteindre ?

La postérité a horreur du vide narratif.

Oui, un grand texte, laissé seul, peut disparaître. Et il en disparaît tous les jours. Un style superbe, une voix originale, une pensée forte, s’ils ne sont portés par aucun récit, aucun contexte, aucun mythe, aucun frisson de réalité, ne percent pas. Non parce qu’ils sont faibles, mais parce qu’ils sont « seuls ».

Les textes dont on se souvient à travers les ans et les siècles sont tous portés par une légende. Qu’elle ait été façonnée par l’auteur lui-même, par ses lecteurs contemporains, ou fabriquée plus tard.

On ne lit pas seulement Les Fleurs du Mal.
On lit aussi Baudelaire et son procès pour immoralité.
On ne lit pas seulement 1984.
On lit l’œuvre prophétique de George Orwell, le dissident anti-totalitaire.
On ne lit pas juste La Recherche.
On lit Proust et ses madeleines, sa chambre tapissée de liège, sa mère, son asthme, son monde perdu.

 >>Le texte, pour vivre, a besoin d’un halo.

Un livre ne passe pas à la postérité parce qu’il est bien écrit. Il passe à la postérité parce qu’un récit s’est greffé autour de lui. Une légende. Petite ou grande. Tragique ou joyeuse. Inventée ou subie. Et cette légende n’est pas forcément une invention.
Parfois, elle surgit naturellement, parfois, il faut un peu l’aider à éclore, mais une chose est sûre : Les livres qui durent sont ceux dont on peut dire quelque chose avant même de les avoir lus.
 

Même les œuvres indémodables dont les auteurs sont peu ou pas ou mal connus ont un récit… L’Odyssée, La Bible, Le Roman de Renart, Les Contes populaires russes, etc. tous ces textes existent encore parce qu’un récit collectif s’est formé et perdure autour d’eux. Ils sont devenus mythes fondateurs, textes sacrés, piliers de culture.

Il n’y a pas d’œuvre durable sans narration autour d’elle.

 >> Ces récits qui rendent les livres inoubliables

Il y a des livres qu’on n’a pas lus, mais dont on connaît déjà l’histoire. Pas l’intrigue. Non. Mais l’histoire du livre lui-même. Celle de son écriture, de son auteur, de sa naissance au monde. Et souvent, cette histoire-là suffit à créer le désir de lire.

Vous souvenez-vous de…

« Le Consentement » de Vanessa Springora

Un récit fort, écrit avec sobriété. Mais ce qui a propulsé ce livre, c’est le contexte : L’histoire de la « jeune fille », de l’homme célèbre, du silence culturel complice. La dénonciation publique d’une figure emblématique du monde littéraire, dans une maison historique, chez un éditeur prestigieux.

La sortie du livre a réactivé une histoire collective déjà en tension.
➤ Sans ce récit autour, ce serait resté un texte douloureux parmi d’autres. Avec, c’est devenu un acte politique majeur.

 « Harry Potter » de J.K. Rowling

On connaît l’histoire presque par cœur : une mère célibataire, sans le sou, qui écrit dans un café pendant que son bébé dort dans une poussette. Refusée par une dizaine d’éditeurs. Jusqu’à ce que la magie opère.

➤ Le mythe de la persévérante invisible.
C’est un récit de lutte, de mérite, de miracle narratif.
Résultat ? Il a porté la série au-delà des enfants : les adultes l’ont adoptée parce qu’ils adoptaient Rowling.

 Romain Gary/Émile Ajar

Là, c’est un coup de maître : le storytelling est un mensonge… mais génial ! Créer un double, se faire reconnaître deux fois par le Goncourt.
➤ La révélation finale a éclairé tous les textes d’une lumière nouvelle.
Et aujourd’hui, Gary/Ajar est étudié autant pour l’œuvre elle-même que pour le jeu qui l’entoure.

 Nicolas Mathieu – Leurs enfants après eux

Ici, le storytelling est politique et social : roman d’un enfant de l’Est, d’un écrivain sans réseau parisien, qui parle de la province et de la jeunesse sacrifiée.
➤ Résultat : le livre devient porte-voix d’une France oubliée.
Ce storytelling associé à la qualité du texte en a fait un Goncourt.

 

Et puis il y a tous les récits minuscules :
– L’auteur qui a repris l’écriture après un deuil,
– Celle qui n’a jamais cessé, malgré les refus,
– Celui qui ne publie que des histoires venues de ses rêves,
– Celle qui écrit debout, à la main, chaque matin à 5 h…

Ce n’est pas la grandeur du récit qui compte, un bon storytelling n’est pas un mensonge, mais une vérité mise en lumière. Une cohérence entre le livre, l’auteur, et ce qui les relie au monde.

 >> Les ressorts du storytelling

On pourrait croire que le storytelling est de mise en scène, de manipulation douce. Il s’agit, en réalité, d’une structure de reconnaissance.
Le storytelling fonctionne quand il active quelque chose de fondamental chez le lecteur : l’envie de croire à cette histoire.

Car tout lecteur est, par nature, un chercheur de sens. Et il ne lit jamais juste pour l’histoire : il lit pour ce que cela dit de la vie, de l’autre, de lui-même.

 

Voici les ressorts essentiels qui font d’un storytelling un levier puissant :

1. L’effet miroir

Un bon storytelling ne parle pas seulement de l’auteur, mais permet au lecteur de s’identifier, de se projeter.

« Moi aussi, j’écris dans les creux. »
« Moi aussi, j’ai eu peur de ne pas être lu. »

C’est ce miroir implicite qui crée l’attachement. Sans cela, le récit reste une anecdote.

 2. La cohérence avec le texte

Le storytelling ne peut pas être plaqué. Il doit résonner avec le livre.

– Si votre roman explore la violence sociale, et que vous avez grandi en cité ouvrière, dites-le.
– Si vous écrivez sur les silences familiaux, et que vous avez découvert à 30 ans que votre mère vous avait caché une sœur… cela fait sens.
– Si vous parlez d’errance, et que vous avez changé 15 fois de métier avant d’écrire… le récit est là.

 Il ne s’agit pas, avec le storytelling « d’ajouter une couche », mais de faire remonter à la surface ce qui, déjà, irrigue votre œuvre.

 3. La vulnérabilité

Les bons récits ne sont pas forcément glorieux, et les lecteurs n’ont aucune envie d’entendre un pitch de start-up. En revanche, ils aiment savoir ce qui vous a bouleversé, ce que vous avez traversé, ce qui vous a mis en chemin.

Le storytelling le plus puissant est un partage de faille.

 4. Le détail incarné

Une bonne histoire tient souvent à un détail.

– Le lieu précis où vous avez écrit (un vieux wagon, une buanderie, un hôpital),
– La phrase qui a déclenché le processus,
– L’objet qui vous a mis en mouvement,
– Le jour où vous avez failli tout arrêter.
Quelle est la graine du roman, de l’histoire ?

 >> À vous, maintenant : Et si vous dévoiliez votre propre storytelling ?

Pas besoin d’avoir été mendiant, orphelin ou génie maudit. Pas besoin non plus d’avoir fui la guerre ou survécu à un coma. Le bon storytelling, nous l’avons dit, ce n’est pas l’exploit, mais le sens retrouvé, mis en lumière.

C’est pourquoi nous vous proposons ce petit exercice pour vous aider à conscientiser votre storytelling

 1. Le moment déclencheur

Quand avez-vous su que vous alliez écrire ce livre ?
Un lieu, une phrase, une colère, une absence, une image.

C’est souvent là que le fil commence.

 2. Ce que vous avez dû dépasser

Qu’est-ce qui a été difficile ?
Trouver le temps ? Faire taire la peur du ridicule ? Être seul ?

C’est là que se loge votre part humaine.

 3. Ce que vous vouliez dire, en creux

Même si votre livre est une fiction, qu’y a-t-il de vital dedans ?
Une blessure réparable ? Une idée inavouable ? Un amour tenace ?

C’est là que l’on vous reconnaît.

 4. Le détail que vous n’avez jamais osé dire

Celui que vous pensiez trop intime, trop banal, trop étrange.

C’est peut-être justement ce détail-là que le lecteur attend.

 5. Le pacte que vous proposez

À votre lecteur. À vous-même.
Pourquoi écrivez-vous, en vrai ? Qu’aimeriez-vous que votre livre change, même à toute petite échelle ?

C’est un lien possible.

 En un paragraphe, vous tenez votre storytelling. Il ne vous reste plus qu’à choisir comment le dire :

– dans une bio,
– dans un post,
– dans une préface…
 

 >> Pour conclure

Une grande histoire commence toujours par une petite vérité bien racontée.

Et si vous ne savez pas par où commencer… Racontez-nous simplement le jour où vous avez compris que vous deviez écrire. Le reste viendra tout seul.

Et vous savez quoi ? Même les algorithmes raffolent de ce genre de vérité. Ils ne savent pas lire entre les lignes, certes, mais ils savent repérer la régularité, la cohérence, les signes d’une voix vraie. Ils cherchent ce qui revient, ce qui tient, ce qui trace un sillage identifiable.

 Autrement dit :

un storytelling sincère, porté avec constance, crée non seulement une relation forte avec les lecteurs, mais ouvre aussi la voie pour que vos livres soient mieux repérés, mieux relayés, mieux lus.

Et si le storytelling, au fond, était le langage commun entre vous, vos lecteurs… et les algorithmes ?

Alors, ne cherchez pas l’esbroufe. Trouvez votre phrase pivot. Et racontez. Le monde — y compris numérique — est prêt à vous écouter !

 

 

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Attention ⚠️ je n'ai absolument rien contre les marchand de tapis et les opérations séductions.
Faut juste trouver le bon costume !

Publié le 03 Août 2025

Effectivement je trouvais que ça faisait un peu marchant de tapis avant de lire cette argumentation complète en faveur du store telling.

Puisque après avoir raconter une histoire il faut encore raconter le pourquoi et le comment de mes motivations profondes à écrire cette histoire, pour attirer l'attention sur la première histoire et séduire le chaland, je vais réaliser cette exercice de séduction sans maquillage ni effet spéciaux, et écrire la petite histoire de la première comme une confidence au lecteur, qui tient déjà une grande place dans ma première histoire.

Promis je ne ferais pas de phrase aussi longue dans ma story telling !

Publié le 03 Août 2025

Merci pour cet article, mais je constate que les mots anglais envahissent notre langue et cela est fort inutile, car notre vocabulaire est suffisamment riche. @Sylvie de Tauriac

Publié le 25 Juillet 2025

Merci pour cet article passionnant !

Publié le 25 Juillet 2025

J'ai trouvé cet article génial : pertinent et agréable à découvrir.
Il informe, il questionne, il positive, il met au défi... Il a tout pour lui ! Merci.

Publié le 24 Juillet 2025

Merci pour ce billet instructif, largement documenté, bien argumenté, dont le ton et les nuances m'ont plu. Bonne soirée ! Amicalement,
Michèle

Publié le 23 Juillet 2025

Intéressant

Publié le 23 Juillet 2025