De l'eau, de l'air, la vieElle y songeait depuis un petit moment. Mettre un terme à cette parodie, ce simulacre. Les moyens ne manquaient pas, elle disposait de plusieurs options. Elle avait même fait des recherches sur le sujet. Mais dans la vie, tout est une question de courage. Et pour l’instant, le sien ne lui permettait pas encore d’aller jusqu’au bout. Elle rangea la boite dans le tiroir. Ce n’était que partie remise. Elle le savait. Tôt ou tard, elle franchirait le pas. Elle se replongea dans ses souvenirs. Le tube de Jakie Quartz lui revint à l’esprit :
« Juste une mise au point
Sur les plus belles images de ma vie
Sur les clichés trop pâles d’une Love story
Sur l’état d’âme d’une femme sans alibi
Qui rêve toutes ses nuits. »
Tout avait pourtant si bien commencé La rencontre, leur premier rendez-vous, leur première nuit d’amour. Elle avait eu l’impression de vivre un rêve. Celui que l’on espère, que l’on fantasme mais sans jamais l’atteindre. Mais pour elle, cela était devenu une réalité. Une histoire d’amour romanesque, grandiose, palpitante, à la Cécil B. DeMille. Ses parents étaient aux anges, ses copines étaient ravies mais surtout jalouses. Elle avait rejoint le nirvana, le bonheur suprême. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. D’ordinaire, c’était sur cet excipit que se terminait les contes de fées. Pour elle, ce fût le début du cauchemar. Au début, il ne s’agissait que de simples remarques. Un mot mal placé dans une phrase, des vêtements mal assortis, des coups de fils suspicieux. Il ne lui laissait rien passer. Un inquisiteur scrutant les moindres faits et gestes de son existence. Le premier avertissement avait été le dernier. Les coups, les insultes, les sévices sexuels avaient tout de suite pris le relai. Pour chacune des violences qu’il lui faisait subir, il lui offrait un cadeau pour se faire pardonner ou l’invitait au restaurant. Son mari, l’amour de sa vie était devenu son bourreau, son tortionnaire et un manipulateur. Pourtant, elle était restée. Peut-être avait-elle pensé que son prince charmant était toujours là, caché sous le masque du monstre qu’il était devenu. Elle devait juste trouver le moyen d’éradiquer Mr Hyde, la face sombre de sa chère moitié. La Bible ne disait-elle pas :
« L’amour pardonne tout, croit tout, espère tout, supporte tout. » ?
Elle y avait cru pendant longtemps, continuant à encaisser les coups de plus en plus fréquents et de plus en plus forts. Elle était devenue une experte dans l’art de la dissimulation. Maquillage et fond de teint savamment dosés, lunettes de soleil et autres artifices camouflant les stigmates sur sa peau. Sa vie se résumait à son appartement. Elle ne sortait plus, ne voyait plus personne et ses arrêts maladies se succédaient presque aussi rapidement que les coups qu’elle recevait. Allez en prison, ne passez pas par la case départ, ne recevait pas 20 000. Comme dans le jeu, elle avait beau essayer, jamais elle ne faisait de double pour en sortir. Jusqu’au jour où, enfin, sa conscience se libéra. Une simple chanson, « Dommage » de Bigflo et Oli, quelques paroles qui retentirent comme un écho à sa vie :
« Pauline elle est discrète
Elle oublie qu’elle est belle
Elle a sur tout le corps des taches
De la couleur du ciel
Son mari rentre bientôt
Elle veut même pas y penser
Quand il lui prend le bras
C’est pas pour la faire danser. »
Les funérailles que l’on voyait dans le clip ne seraient pas les siennes. Soudain, perdue dans l’immensité de sa solitude, elle se mit à crier. Elle ne s’arrêtait plus. Ses hurlements n’étaient pas ceux d’une proie mais ceux d’un prédateur. Un flash lui apparut. La pub de Perrier « La Lionne ». Dans la savane africaine une femme rampe à quatre pattes vers quelque chose. Elle grimpe un monticule. Sur l’autre versant, un lion fait de même. Arrivés au sommet, face à face devant une bouteille fraiche de la boisson si précieuse, la bête rugit signifiant sa victoire. Mais la femme hurle encore plus fort et fait fuir le roi de la jungle. Enfin, elle peut se désaltérer. Le slogan, simple mais efficace faisait écho à sa propre existence : « Perrier, de l’eau, de l’air, la vie. »
Pour l’eau, elle avait déjà donné, en versant toutes les larmes de son corps. L’air, elle en avait besoin plus que quiconque, tant son mari l’asphyxiait, au sens propre et au sens figuré, depuis tant d’années. Quant à la vie, elle devait se réapproprier la sienne. La chanson de la pub « I put a spell on you » (je t’ai jeté un sort) de Jay Hawkins reflétait aussi ce qu’elle vivait. Elle était sous son emprise et devait briser ce sort, cette malédiction. Elle avait fait des recherches sur les violences faites aux femmes, les féminicides. Elle fut sonnée par les chiffres. En 2024, en France 140 victimes. La plus jeune avait 13 ans, la plus âgée 95 ans. Elle avait noté les numéros importants : le 15 pour le Samu, le 17 pour la Police, le 114 pour envoyer un SMS si on ne pouvait pas parler ou encore le 3919 pour se confier à quelqu’un. Mais cela ne lui suffisait pas. Il lui fallait bien plus que de simples numéros.
Plus question d’être spectatrice de sa vie, elle devait trouver son rôle, celui qui lui redonnerait le contrôle. Elle avait besoin de force, de pouvoir, de puissance, comme le lion dans jungle. Elle s’inscrivit donc à des cours de self défense adaptés aux femmes. Elle progressa très vite. Elle excellait dans tous les domaines, coups de poing, technique de désarmement, coups à des endroits sensibles ; parties génitales, genoux, tibia. Elle se sentait forte et libre, à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle se fit belle : coiffeur, manucure, soin de la peau. Elle voulait retrouver sa féminité, la libérer au grand jour, se révéler à nouveau au monde entier. Elle avait l’impression de renaitre une seconde fois.
Elle quitta tout du jour au lendemain, laissant derrière elle son mari, son boulot, son pays. Elle devint une championne du monde en arts martiaux et travailla régulièrement pour le cinéma pour les scènes de combat et les cascades. Elle écrivit aussi un ouvrage sur le sujet des violences sur les femmes en racontant sa propre histoire. Elle savait qu’elle avait eu de la chance de s’en être sortie.
Mais elle savait également que parfois, il suffisait d’un rien, telle qu’une simple publicité pour dire NON, ça suffit !
MARK MILLER

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@MARK MILLER Sujet maintes fois évoqué, qui "dépasse les bornes des limites" du nombre de caractères, mais la prise de conscience de votre héroïne colle parfaitement au slogan de Perrier... Une publicité qui a marqué son époque.
J'espère bien qu'avant de quitter son bourreau, elle aura pris le temps de tester sur lui quelques-uns de ces coups aux endroits sensibles ;-).
Merci pour cette contribution. Amicalement,
Michèle
@ mark miller
Bravo pour ce lien puissant entre cette pub et votre texte touchant, le rapprochement est intelligent et original, tout en glissant les numéros utiles. La comparaison avec le cri du lion met en lumière la puissance intérieure des femmes victimes de violence.
Un cri qui libère