Vous avez choisi d'écrire sur le sujet de la transformation intérieure vécue à travers le voyage initiatique. Ce n'est pas le sujet le plus simple à traiter, des prédécesseurs illustres s'y sont collés, avec parfois un bonheur qui a illuminé et illuminera toujours nos existences. ///
C'est l'annonce de votre sujet qui m'a incitée à la lecture de votre livre. J'étais curieuse de savoir comment vous vous en tireriez. Et je suis enthousiaste pour partie et grognon pour le reste. ///
Allez, commençons par les bonnes impressions : j'ai senti dans votre écriture un très beau potentiel. (je n'entrerai pas dans les références de lecture, mais je les tiens à votre disposition par courrier). J'ai lu de très belles pages, bien balancées, avec de la perspective, des lignes de fuite, des mots très bien choisis et posés avec exactitude, une écriture mûre et pleine pour exprimer des idées existentielles. Jusque-là, je dirais que c'est parfait -en tout cas, selon mes critères et les attentes que vous avez suscitées chez votre lectrice. Mais cela se gâte, car ces pages sont minoritaires. Non que le reste est mal écrit, mais à mon goût et toujours en fonction de vos annonces, le reste -c'est-à-dire l'essentiel de votre ouvrage- manque singulièrement de densité. Ou de travail. Ou de méthode. Ou de recentrage. ///
Je crois dans votre livre et dans votre capacité à lui donner sa pleine dimension. Mais je crains que vous ayez perdu l'étincelle en cours d'écriture. ///
Je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à Peter Handke en vous lisant. Votre récitant me rappelle "La femme gauchère" qui "démissionne" "sans raison" du jour au lendemain pour entrer dans une spirale intérieure. J'ai lu Handke il y a longtemps et je confonds peut-être les titres, mais j'ai retrouvé ces accents goethéens de "Faux mouvement", etc. ///
Peut-être est-ce à cause de ce parallèle vertigineux que j'ai éprouvé certains manques notamment au niveau de la sensorialité. J'avais tellement hâte de découvrir votre version du voyage en cargo, tellement hâte de faire avec vous vos premiers pas en Amérique, mais vous ne m'avez pas donné les clés qui m'auraient permis d'entrer dans l'aventure. Je vous en veux d'autant plus que vous étiez à chaque fois à un cheveu d'y parvenir, mais au moment où la chose allait avoir lieu vous optiez pour (mon deuxième reproche) la digression dans le souvenir personnel, qui loin d'enrichir la scène au contraire m'éloigne de son centre, ou la rencontre très superficielle avec un personnage de passage toujours prêt à raconter sa vie intime. Je vous avoue que vers la page 150 (ma version remise en page pour confort de lecture en compte 435) j'ai lu ces échanges en diagonale afin de vérifier qu'ils ne contenaient rien de fondamental. ///
Cependant, vous m'avez gardée avec vous jusqu'au sommet du Denali. C'est peut-être le principal. ///
Parlons de l'enrichissement intellectuel, car après tout le challenge est bien là, il me semble. /// Votre livre m'a-t-il appris quelque chose ou fait frémir à propos de la transformation intérieure. Je crains bien que non, avec bémol cependant, vu mon nombre de tours au compteur. Peut-être qu'il m'aurait plus touchée à trente ans... Je reste cependant persuadée que vous pourriez être plus percutant et surtout plus constant dans votre direction. En effet, la fin de votre périple n'est (toujours pour moi) pas à la hauteur de la quête. Ou alors, vous avez voulu démontrer que rien ne sert de faire le tour de la Terre puisqu'en définitive on retourne chez soi. Mais là encore, il manque des pièces pour que tout s'ajuste parfaitement.
Comme vous m'avez demandé d'être sincère et de ne pas vous ménager, cela me laisse supposer que vous êtes enclin à quelques révisions, et voici donc mes principales remarques : /// il faudrait que vous preniez un peu de recul pour être tout à fait clair avec vous-même sur votre intention. Que souhaitez-vous que représente votre personnage ? Comment voulez-vous qu'il voit le monde ? S'il est une bande magnétique, alors forcez le trait dans ce sens, mais s'il est ce personnage en quête d'âme et de sens que vous nous laissez imaginer, alors modifiez son regard. Ensuite, il faudrait voir si votre texte ne gagnerait pas en densité en le réduisant. Là, vous êtes sur 380 pages mini. /// De toute façon, je crois que vous devriez intervenir soit en renforçant l'existant, soit en l'épurant. Mais privilégiez la densité pour un récit de cette nature, c'est primordial, autrement il s'agit d'un journal de voyage, ce qui est une autre possibilité tout aussi respectable. ///
Quoi qu'il en soit, je suis ravie de vous avoir lu, peut-être pas pour ce que j'ai trouvé, mais pour ce que j'ai pressenti : un auteur qui en a sous le pied et que j'espère bien suivre dans sa quête. ///
Merci infiniment. Je me tiens à votre disposition pour des remarques plus détaillées, j'ai pris des notes au fil de lecture sur ma kindle.
Publié le 14 Septembre 2020