
Jean traversa le pont pour rentrer chez lui.
En avançant, il distingua les éclairs du gyrophare d’une voiture de gendarmerie, perçut quelques mots dits sur le ton de la confidence ; bras, déterré, corps, analyse.
Il hâta le pas, traversé par une inquiétude sourde.
La maison était plongée dans le noir, triste. Jean pensa aux décorations de Noël de sa mère enfermées dans une boîte ; une guirlande, quelques boules, trois santons de Provence. Si Sylvie avait été là, les choses auraient été différentes.
L’image de Sylvie surgissait régulièrement au moment de Noël. Il mesurait tout ce qu’ils n’avaient jamais partagé ; la décoration du sapin, les bougies aux fenêtres, la préparation du réveillon, la boîte de Noël qui aurait continué de se remplir de babioles.
Il ouvrit une soupe en conserve, insipide, repoussa son assiette. Était-il possible qu’un bras ait été découvert ? Qu’il ait un lien avec Sylvie ? Cette veille de Noël 1976 était si loin.
Son repas refroidissait. Jean revit sa rencontre avec Sylvie un dimanche après-midi de juillet, à un bal de village. Il l’avait invitée à danser, elle l’avait laissé l’enlacer. Il avait eu une sensation de plénitude. Elle avait vingt-deux ans, adorait les chats, rêvait de voir New York. Elle avait niché son visage dans son cou, il l’avait embrassée. En la raccompagnant chez elle, il s’était dit que la vie était belle.
Les semaines passèrent comme dans un rêve. Le weekend, ils parcouraient la campagne environnante. Jean aimait la prendre en photo. Il avait gardé celle sur laquelle elle portait la main à ses yeux pour se protéger de la lumière du soleil. Elle riait, ses longs cheveux rejetés en arrière. Ce jour-là, il avait glissé la main dans son corsage.
Les saisons glissèrent. Jean rencontra les parents de Sylvie, la présenta à sa mère.
Il ferait sa demande en mariage la veille de Noël. Il avait acheté une petite aigue-marine discrète, assortie aux yeux de Sylvie.
Ils devaient se retrouver sur la place du village le 24 décembre. Jean avait glissé l’aigue-marine dans sa poche. A quinze heures, deux gendarmes avaient sonné à la porte. Sylvie n’avait plus réapparu depuis la veille.
Jean fut interrogé, répondit aux questions la voix tremblante, en sueur. Il croisa les parents de Sylvie. Ils le regardèrent à peine. Il comprit qu’ils pensaient qu’il n’était sans doute pas étranger à la disparition de leur fille.
Jean rangea l’aigue-marine et la photo de Sylvie. Les lumières de Noël s’éteignirent. Il fallut continuer sans elle. Lorsque la radio diffusait les chansons sur lesquelles ils avaient dansé la première fois, il tournait le bouton. Les parents étaient morts sans savoir. L’image de Sylvie s’était estompée, le son de sa voix, la couleur exacte de ses yeux. Ils n’avaient jamais fait l’amour ensemble.
L’enquête fut rouverte, des fouilles pour retrouver le reste du corps entreprises. Le nom de Sylvie fut rappelé. Le village devint l’attention de la France entière.
Jean hésitait à allumer la télévision. Le passé lui revenait en pleine figure, en même temps que l’espoir de savoir que Sylvie n’avait pas fui, qu’elle l’aimait.
Le 24 décembre, Jean ressortit la photo de Sylvie et l’aigue-marine. Il ouvrit la boîte de Noël. Sur la cheminée, il disposa les santons, alluma la guirlande. « Joyeux Noël Sylvie », murmura-t-il.
C’était leur premier Noël ensemble. Dans le ciel, les étoiles brillaient.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Jean Daigle-Roy
Cent ans c'est un âge magique. Je ne doute pas que les souvenirs de beaux Noëls passés vous aient empli le coeur de belles pensées.
Amicalement,
Caroline
@Sylvie de Tauriac
Merci pour votre joli commentaire Sylvie. C'est vrai, Noël est aussi le temps de la nostalgie.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes,
Amicalement,
Caroline
Merci pour cette belle histoire empreinte de nostalgie, mais Noël évoque toujours le souvenir des parents aimés, de l'enfance et de notre innocence. @Sylvie de Tauriac
@Caroline Devivie. Caroline, le message de monbestseller me prévenant que vous aviez répondu à mon commentaire s'est entremêlé aux courriels de mes frères me rappelant qu'aujourd'hui, 22 décembre 2024, ma mère aurait eu cent ans! Merveilleux moment de Noël où la nostalgie et la sérénité se confondent.
Je vous souhaite, à vous aussi, de très belles fêtes.
Jean
@Jean Daigle-Roy
Merci beaucoup pour votre beau commentaire Jean. Je suis très heureuse que vous ayez aimé cette histoire.
Je vous souhaite de très belles fêtes,
Caroline
@Annie Pic
Jean se raccroche à son passé et s'empêche de vivre en effet. Peut-être que cette macabre découverte l'aidera enfin à avancer... Ce qui est bien avec les histoires c'est qu'on peut tout imaginer.
Un grand merci pour votre commentaire Annie, et un très joyeux Noël à vous également.
Caroline
@Caroline Devivie
La nostalgie, de ce qui aurait pu être, accompagne Jean à chaque noël.
Comment oublier ce qui n'a jamais eu lieu ? Jean se raccroche à ses minces souvenirs, est-ce pour justifier son misérabilisme ?
Triste noël. Mais ce n'est qu'une histoire...
Alors pour ce 25 décembre 2024, joyeux noël Caroline !
Annie
@Fernand Fallou
@Christophe M
@Valérie Pison
@Zoé Florent
@A.P. Gounon
@Parthemise 33
Merci à tous chers écrivains du calendrier pour vos commentaires qui me vont droit au coeur. Il est vrai que l'histoire de Jean et Sylvie est triste, mais je trouve que les histoires tristes et la mélancolie dégagent une émotion sincère. Et si finalement Noël n'était pas un moment si prompt à la gaieté ? Nombreux sont ceux pour qui ces fêtes exacerbent la solitude.
Je vous souhaite à tous un magnifique Noël, entourés de ceux que vous aimez et je ne doute pas que pour vous comme pour Jean les étoiles brilleront dans le ciel.
Amicalement à toutes et tous,
Caroline
@Caroline Devivie. Quel beau texte! Je partage l'avis de Zoé : C'est une très belle histoire, rendue avec sobriété. S'y ajoute une touche d'intrigue, sur ce cadavre qu'on vient de découvrir et sur le destin de Sylvie, éléments qui demeurent finalement en suspens, alors que la conclusion se concentre sur l'essentiel : l'apaisement du deuil de Jean en ce premier Noël avec sa bienaimée. Merci!
@Caroline de Vivie La tristitude à Noël, cela peut être vite relou, mais pas avec vous. Très belle histoire racontée avec beaucoup de retenue et de pudeur. Le doute est levé, l'amertume disparaît. Une espèce de cadeau qui adoucit le deuil. Merci Bisous Merci et très joyeux Noël à vous. Que l'étoile sur le sapin éclaire votre vie
On a les larmes aux yeux mais Sylvie est toujours dans le coeur de Jean, c'est Noël et les étoiles brillent... Merci Caroline pour ce beau texte et joyeux Noël. Anne
@Caroline de Vivie Très belle histoire émouvante que vous avez su narrer sans sombrer dans le mélo. J'aime la sobriété de votre style, chère Caroline.
Je vous souhaite de très joyeuses fêtes de fin d'année en compagnie des vôtres.
Amicalement,
Michèle
Pour ma part, @caroline de Vivie, j’y vois surtout une élégante mélancolie, toute en retenue. On revit en dansant la rencontre de Jean et Sylvie, on a dans le cœur une petite étoile qui brille. Très beau texte, merci
@Caroline de Vivie
Décidément, les histoires tristes ont le vent en poupe.
C'est une triste histoire, mais quelle belle histoire !
Bravo !
FF