
Ce matin, je dois passer aux aveux. Devant un juré de grands écrivains, après des nuits sans sommeil, je dois me rendre à l’évidence, pieds et poings liés, esprit et cœur déliés. Tant que je ne le reconnaîtrais pas, tout ce que j’aurais beau écrire sera fade et sans intérêt.
Je résiste. Ultime aveu de force. Une fanfaronnade de trop. Mon entourage m’y encourage. Abreuvés de figures héroïques triomphantes, il est des indécences qui ne se pensent plus.
Je leur tourne le dos et soutiens les mots des grands auteurs face à moi. Pensant à Shakespeare, Dostoïevski, Zola ou Proust, que me vient-il à l’esprit ? Héros de la littérature ? Puissance d’écriture ? Œuvres majeures ? Roman fleuve ? Non, non et non ! Les nuits en lecture n’ont-elles donc servi à rien ? Regarde-les bien dans les mots, me dis-je. Regarde, ils nient, froncent le vocable. Tu n’y es pas. Regarde-les bien dans les mots.
Longtemps, Marcel « s’est couché de bonne heure ». Etienne suivait « seul la grande route de Marchiennes à Montsou (…), il ne voyait même pas le sol noir ». A chaque fois qu’il passait devant sa logeuse, Rodion « éprouvait une sorte de sensation de malaise et de crainte dont il avait honte et qui le faisait se rembrunir ». Que des hommes d’une essence de verre, made of a « glassy essence ».
Alors, soulagé et encouragé, je l’avoue. Je suis fragile, si fragile depuis ma naissance, frêle et dépendant, vulnérable. « We are all frail ». Je le pleure. Je le confesse. Je le proclame. Ma nature est de verre. Je ne peux la cacher. Mon cerveau se brise au moindre choc émotionnel. Pour me protéger, il rompt les connexions synaptiques de la raison, et c’est le trauma. Mon corps, lui, saigne à la première blessure. Ma peau s’entaille à la moindre atteinte.
Argent, réussite, pouvoir et érudition. Délits de fuite. Mensonges à nous-même, aux autres. Illusion collective. Hallucination partagée. Le héros triomphant nous fait oublier notre fragilité.
Et pourtant, depuis la nuit des temps, les grands écrivains nous le disent, pas de héros véritable s’il n’est vulnérable, et ajoutons, sans fragilité de l’auteur. Le fort n’est pas celui qui nie sa fragilité mais se l’avoue et s’en nourrit.
Pauvre de moi ! S’il veut vivre, mon personnage ne peut être qu’aussi fragile que moi, de la même nature, de mon essence. Je résiste. La honte persiste. Héritage encombrant, paralysant. Mais je dois m’y résoudre, l’accepter, et chérir cet état d’homme, « my glassy essence ». Je suis fragile.
Fragile car de chair. L’os dur est inerte. Mais la chair, vivante, se déchire aisément.
Fragile car fait d’émotions qui me submergent, me terrassent.
Fragile car dépendant de l’autre, du groupe. Moi n’existe pas. Je nais, je vis en l’autre, par l’autre, dans le partage et la transmission.
Fragile car mouvant, changeant. Je me renouvelle au rythme de mes cellules. Tous les sept ans, je suis un autre.
Fragile… car impermanent…
Mais fragilité n’est pas faiblesse. Fragilité rime avec virilité et muliérilité. La fragilité attire. La faiblesse répugne. La fragilité appelle le courage. La faiblesse, le châtiment. En niant leur fragilité, les personnages en deviennent faibles.
Faibles car sans fond, la forme l’ayant terrassé.
Faibles car privés de réel, perdu dans le virtuel.
Faibles car sans racines, sans liens à l’autre, au lecteur.
Faibles car coupables d’invulnérabilité…
Mais oublions ceux-là ! Et ruons-nous vers notre fragilité intime, cette contrée accessible où naissent les personnages qui refusent de devenir des héros mais peuplent les grands romans.
Et concluons par les mots de Jean-Claude Carrière dont l’ouvrage « Fragilité » a inspiré ce billet. « Si l’héroïsme triomphant nous éloigne les uns des autres, car il n’y a pas de place pour deux sur un pavois, la fragilité que nous partageons nous rapproche. »
Cet article a été écrit par un auteur monBestSeller.
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Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@ Phillechat 2... il est exact que la fragilité est bien plus riche que les certitudes...
La fragilité est la clé de ce projet !
@Marie Berchoud ... Ben, le sujet est sur l'antihéros, c'est plutôt moi qui suis demeuré, si je n'ai pas compris... Cette histoire d'antihéros m'intéresse particulièrement parce que mm s'il est malséant de parler de soi, la plupart de mes héros masculins sont des antihéros... délicieusement soumis aux caprices des dames... the life, quoi.
@denis bichet : j'en déduis que je suis "demeurée" ; bah si c'est dans des lieux qui me vont, j'y reste; sinon je veux bien entendre davantage d'explications de votre part
@Marie Berchoud Comme je ne comprenais pas bien, j'ai passé votre txt à l'IA :
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Analyse : L’auteur rappelle l’importance de la création en opposition aux distractions extérieures. Il insiste sur le rôle fondamental de l’inconscient et de l’héritage dans le processus créatif, véritable cœur de l’écriture.
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C'est évidemment vrai, intéressant, mais je ne sais pas si le lien avec le sujet est évident.
Bonne journée.
@à toutes et tous. Je rêve ou on s'égare sur des chemins qui n'ont rien à voir avec la création ? En effet, il y a la vie sociale d'1 quidam ou quidamesse qui écrit ET il y a sa "camera oscura", sa chambre obscure, autrement dit ce grand chaudon vital et transgénérationnel où se mitonne à l'insu de notre plein gré un galimatias désirant le jour enfin, et le partage. Et ça c'est l'essentiel.
Tout l'art du héros — celui que je pratique dans la plupart de mes polars – consiste à passer pour un être inoffensif, un naïf, à côté de la plaque... ou plus exactement, faussement naïf... laisser aller et laisser faire, parce qu'il est vain de vouloir changer le monde, les gens et les choses... Ceux qui s'agitent comme des puces finissent par provoquer des catastrophes qui leur retombent sur le nez… Il ne faut alors pas grand-chose au héros, comme un battement d'aile de papillon pour rétablir un équilibre précaire...
@Catarina Viti
Merci pour cette référence, très intéressante après quelques premières recherches.
Cela pourrait peut-être même m'inspirer une tribune pour mbs. Affaire à suivre...
Si vous ne connaissez pas, je vous invite à découvrir l'ouvrage de Marco Mancassola : "La vie sexuelle des super-héros" (petite précision : Gallimard a traduit "erotica" par "sexuelle". Je suppose pour vendre davantage). En tout cas, une oeuvre qui mérite qu'on s'y arrête. Et dans le thème de la tribune, oeuf corse !
Est-ce qu'on n'assiste pas à une disparition progressive du héros au sens premier, non pas invulnérable mais doté de qualités qui lui permettent de faire avec cette vulnérabilité ? En particulier à partir de la seconde partie du XIX ° ? Héros de la médiocrité chez Flaubert, types sociaux pour le naturalisme, jusqu'à disparition du héros, voire du personnage ?
C'est ça, cher ami. Je crois que vous êtes passé de l'autre côté du miroir.
Oui, c'est vrai, ça : quand ?
@Michel CANAL
Je serais curieuse de savoir en quoi votre commentaire est lié avec le sujet de cette tribune.
@monBestSeller, que vous faut-il comme autre preuve que le troll, actuellement Célimène partout, hier Célimène nulle part (pseudos bien trouvés), avant-hier TomoéGozen10, etc. bordélise pages d'auteurs et tribunes ?
9 commentaires en 24 heures, juste pour provoquer et créer le buzz !
De nombreux signalements de ses agissements, maintes fois viré par la porte et revenu par la fenêtre... Quand allez-vous le bannir de la plateforme une fois pour toutes ?
C'est cela, oui.
Audiard disait : Le problème avec les demeurés*, c'est qu'on ne peut pas leur expliquer... (*substitutif).
@bichetdenis
Ce serait sympa de fournir avec vos messages une explication de texte. Non, je plaisante, rien de ce que vous dégoisez ne risque de m'intéresser.
1) Oh ! Le vilain copieur...
2) Soyez réaliste, à côté de vous, l'almanach Vermot, c'est du Shakespeare...
3) L'abus du vermouth ne bonifie que le talent. N'est pas Verlaine qui veut...
@BichetDenis001
Je vois : un écrivailleur tendance almanach Vermot.
Cher ami vous l'êtes. À une nuance près, en deux mots celui qui "écrit vain"
@bichetdenis001
Les moisissures, je ne sais pas. J'imagine que chacun voit midi à sa porte et qu'on repère plus aisément les moisissures de l'âme quand la sienne est croupie. De toute façon, vous n'êtes pas écrivain. Ce qui règle la question, non ?
@Célimène nulle part... Ne me remerciez pas, l'écrivain a pour vocation de gratter les moisissures de l'âme humaine...
La fragilité, sous toutes ses formes, apporte l'âme et le caractère... C'est grâce à elle finalement qu'on perçoit toute la force (parfois invisible) de l'anti-héros ! Merci pour cet article.
@Denis Bichet
Décidément, quel talent !
@Célimène nulle part ... J'entends bien que les dames pipi (elles n'existent plus-on n'insulte personne) étaient plus utiles que vous... La phrase exacte serait donc : "il y plus de grâce chez une dame pipi qui lit dans son lit, les mémoires de Grace Kelly, que chez un graphomane infatué et flatulant qui confond orthographe et talent...
Ps : Votre soudaine tendresse pour ces braves dames viendrait-elle d'un passé nostalgique et narcotique de mouilleur, de sniffeur de nurine ou de fart-smeller ?
@Denis Bichet
Qu'avez-vous contre les dames pipi ? C'est quoi, ce mépris de classe ? Allez, je vous abandonne sur votre pied d'estal...
@Célimène nulle part ... Il y a la même différence entre vous et la littérature, qu'entre un dictionnaire de rimes et Rimbaud... un peintre en bâtiment et Van Gogh... une dame pipi et Grace Kelly... voius aviez le choix entre le talent et l'orthographe, vous avez choisi l'orthographe...
@bichetdenis
J'aime beaucoup votre "pied d'estal" ; il est assurément d'un poète qui s'ignore. Bref, ce qui est bien avec vous, c'est qu'on est jamais déçu.
Quand on écrit un roman avec un anti-héros comme personnage principal, il devient le héros du livre. Pour cela, il convient de définir ce qu'est un héros. Dans la mythologie, un héros (héraut) est un demi-dieu, comme Achille par exemple. Le Larousse nous donne d'autres définitions: en Grèce et à Rome, messager chargé de porter les ordres du prince, de faire les annonces dans les assemblées et de déclarer la guerre; au Moyen Âge, officier d'une cour souveraine chargé de porter les déclarations de guerre, de donner le signal des combats, de publier la paix et de vérifier les titres nobiliaires. Le français moderne nous a donné le "héros" alors qu'en russe c'est le même mot. Mais revenons-en à nos héros. Ils ont tous une fragilité. Achille, le talon, Superman, la kryptonite. Mais c'est ce que l'on aime dans nos héros, leur faiblesse. Sinon, ce n'est plus un héros, mais un méchant. Donc le héros est tout simplement humain (même si c'est un elfe ou un hobbit). Et puis, entre nous, le héros (ou anti-héros) de nos livres est bien souvent celui auquel on voudrait ressembler.
La fragilité, dans la vie, comme en littérature, c'est souvent une façon de rassurer les autres, de leur dire : "Tu es plus fort que moi". Car nous sommes tous l'aune de l'autre.
Mais la fragilté c'est aussi une ruse, une manipulation : attendrir l'autre pour qu'il s'appitoie sur nous. Une forme d'égocentrisme, d'égoisme...
Quant à la force, c'est du flan. Tous les héros chutent de leur piédestal, tôt ou tard... Quoi de plus drôle qu'un cycliste portant beau ou fanfaronnant, qui se ratatine dans un virage... Cf Pagnol dans le Parc Borelly, "La gloire de mon père".
Pour ma part, je m'en tiendrai à Rudyard Kipling : " Que l'on te tresse des lauriers, ou qu'on te traîne dans la boue, garde toujours le même sourire d'indifférence polie"...