Demain, nous irons gratter des tickets de loterie ensemble. Nous cuisinerons, nous rirons, nous chanterons, nous nagerons. Plus besoin de partir en vacances, nous sommes heureuses ici.>> Avec mes trois meilleures amies, nous nous étions échappées de Paris pour passer les premières vacances de nos vies professionnelles.
Sur la route, nous avons fait une pause déjeuner improvisée chez la grand-mère de l’une d’elles.
Alors que la voiture s’avançait sur le chemin caillouteux, j’apercevais une vieille dame véloce trottiner vers nous. D’abord petite tâche couleur lavande, elle devint en quelques secondes une bonne femme souriante et dynamique dans un tablier chasuble et des sabots perforés en plastique mauve, déplaçant avec elle un léger nuage d’eau de Cologne. Aussitôt elle nous adoptât comme si nous étions toutes les quatre ses petites-filles. Mémé trépignait d’impatience et de joie de pouvoir embrasser à pleine bouche cette brochette de jeunes filles qui venaient rompre la monotonie de ses journées.
Mémé a gardé des années 80 les bouclettes permanentées sur des cheveux devenus clairs, la maison aux murs en papier carton et quelques photos de son mari décédé trop jeune. La force du soleil et la rudesse de sa vie lui ont façonné les rides du visage et des cornes sur les paumes de mains. Malgré son histoire qu’on imagine ardue, Mémé n’en est pas moins une femme qui sait provoquer les moments joyeux et profiter de l’instant présent.
Elle a ses petites marottes, Mémé. Tous les matins, elle se lève à l’aube comme s’il y avait encore des champs à cultiver. Elle rejoint le village en bicyclette, prend son café au PMU en prenant des nouvelles des quelques connaissances qu’elle y croise, puis achète un ticket de loterie qu’elle grattera en rentrant chez elle. C’est ainsi qu’elle a pu s’offrir une piscine il y a deux ans. Le rêve de toute une vie. Pas besoin de partir en vacances, elle est heureuse ainsi.
Prévenue peu avant notre arrivée, elle avait pris le temps de dresser une jolie et généreuse table pour nous accueillir. Elle ne pose pas de question, elle préfère la légèreté des blagues qu’elle place avec son accent chantant et campagnard dès qu’un bon mot peu faire mouche. Après le déjeuner, nous allons nous baigner. Mémé s’impose à la jeunesse de passage dans un saut audacieux dont les remous font déborder le bain. Mémé rit aux éclats en nous voyant stupéfaites et prêtes à répliquer. Elle s’accroche à l’échelle de ses bras maigres et flétris, hisse son corps sans formes hors de l’eau. Son maillot une pièce bariolé de couleurs vives dissimule ses seins plats et ne couvre pas le bas de ses fesses tombantes. Ses frisettes d’argent sont devenues lisses et grises et son regard espiègle se confond au bleu de la piscine. S’ensuit une succession de bombes aquatiques où toutes les cinq sommes retournées en enfance, taquines et insouciantes.
L’après-midi s’est écoulée sans qu’on y pense. Mémé nous propose de rester pour la soirée. Elle prépare des chambres. Demain, nous irons gratter des tickets de loterie ensemble. Nous cuisinerons, nous rirons, nous chanterons, nous nagerons. Plus besoin de partir en vacances, nous sommes heureuses ici.
Caroline Lemaire

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Caroline Lemaire Beaucoup de fraîcheur dans cette nouvelle. Quelques coquilles résiduelles aussi... sales petits parasites ;-) !
La vitalité et la bienveillance de nos "anciens" sont très stimulantes, tels de bons augures pour nos propres vieux jours, tandis que leur tristesse, leur défaitisme et leur cynisme font l'effet inverse.
Merci pour ce partage. Amicalement,
Michèle
Cette histoire prouve que la jeunesse est un état d'esprit. @Sylvie de Tauriac
Une mémé sympathique qu’on aurait bien envie de connaître. L’écriture est simple et amusante.