Bonjour Christopher,
Vous êtes né au Cameroun, pays offrant une extraordinaire diversité. Aussi, avant d’aller plus loin, je pense qu’il serait bon pour nos lecteurs de vous situer parmi les 280 ethnies qui composent votre pays.
En effet, je suis né dans le département du Nyong et Mfoumou, précisément à Akonolinga, dans la région du Centre. Mes parents, tous deux d’Akonolinga, et mon père, à moitié Bafia, j’ai bercé dans cette culture et grandi dans les villages Zalom et Endom, de petites localités environnantes d’Akonolinga. Les Akonolinga sont principalement associés aux Ewondo au Cameroun qui sont une ethnie. L’Ewondo fait partie du groupe ethnique Beti-Fang, qui est l’un des groupes ethniques les plus importants et les plus répandus du pays. Les Ewondo sont principalement présents dans la région du Centre, où se trouve la ville d’Akonolinga. Il convient de noter aussi que les identités ethniques peuvent être complexes et que certaines personnes peuvent également avoir des affinités avec d’autres groupes ethniques en plus de leur appartenance principale.
Les Bafia, eux, sont une ethnie du Cameroun qui fait également partie du groupe ethnique Beti-Fang, tout comme les Ewondo dont nous avons parlé précédemment. Leur région d’origine est également le Centre du pays, notamment dans les environs de la ville. Les Bafia ont une culture riche et diversifiée, avec des coutumes, des traditions et des pratiques uniques. Comme d’autres groupes Beti-Fang, les Bafia ont traditionnellement vécu de l’agriculture, avec une importance particulière accordée à la culture du manioc, du maïs, des bananes et d'autres cultures vivrières. Ils ont également développé des activités artisanales, telles que la poterie et la vannerie, qui sont appréciées pour leur esthétique et leur fonctionnalité.
Vos peuples et l’Europe ont une longue histoire qui aboutit à la construction artificielle de territoires comme le Cameroun. L’Allemagne, l’Angleterre et la France se sont succédé, et leurs traces et présences demeurent. Le français et l’anglais (selon les régions) sont les langues dites officielles. Pouvez-vous nous parler de ce rapport à la langue.
Les influences des puissances européennes ont façonné l’histoire et la culture du Cameroun. La présence allemande a laissé des marques sur l’architecture, l’économie et certaines coutumes locales. La domination française et britannique a également eu un impact significatif sur l’administration, l’éducation, les langues officielles (français et anglais) et le système juridique.
Ceci dit, il est important de noter que le Cameroun a également une identité et une histoire propres, en dehors de ces influences coloniales. Le pays a une riche diversité culturelle et une histoire précoloniale qui ont contribué à son développement et à son identité actuelle.
Le Cameroun est un pays multilingue avec 280 groupes ethniques différents, chacun ayant ses propres langues et dialectes. En raison de cette diversité linguistique, le pays a adopté le français et l’anglais en tant que langues officielles.
Le français est la langue officielle dans les régions qui étaient auparavant sous administration française, tandis que l’anglais est la langue officielle dans les régions qui étaient auparavant sous administration britannique.
Le français est utilisé par la plupart des institutions gouvernementales, les médias nationaux, l’éducation formelle, ainsi que dans le commerce et les affaires. L’anglais, quant à lui, est principalement utilisé dans les régions anglophones, dans les institutions gouvernementales locales, les médias locaux, ainsi que dans certaines écoles et universités.
Je tiens quand-même à préciser que la situation linguistique au Cameroun a été source de tensions ces dernières années. Les régions anglophones ont exprimé des préoccupations quant à la marginalisation de leur langue et culture, ce qui a entraîné des revendications pour une plus grande reconnaissance et protection de leurs droits linguistiques et culturels. Si je dois résumer, je dirais simplement que le rapport à la langue au Cameroun témoigne de la complexité de la diversité linguistique et culturelle du pays, ainsi que des défis auxquels il est confronté pour maintenir un équilibre entre les différentes langues et cultures du pays.
Mais je suis d’avis qu’il est très important de rester connecté à ses origines et à sa langue maternelle, car elles sont essentielles pour notre identité et notre appartenance à un groupe ethnique. La langue maternelle nous relie à notre héritage culturel, à nos traditions et à notre histoire. Elle est le lien entre les générations passées et futures, permettant la transmission du savoir, des valeurs et des coutumes.
En maintenant notre langue maternelle, nous préservons notre patrimoine linguistique et contribuons à la diversité culturelle, en lui donnant la reconnaissance et le respect qu’elle mérite. La langue maternelle façonne notre manière de penser, de communiquer et d’interagir avec le monde qui nous entoure. Elle est un outil puissant pour exprimer notre identité et nos émotions.
D’ailleurs, ma grand-mère me disait souvent que notre langue maternelle est le socle solide de notre identité.
Merci, Christopher. Nous comprenons un peu mieux à présent la complexité de votre culture. Nous allons maintenant revenir à vous, à votre parcours d’auteur.
Tout en restant l’homme de votre culture, vous avez embrassé la culture occidentale en général et française en particulier. Comment vivez-vous ce double regard ?
J’ai toujours été convaincu que s’immerger dans d’autres cultures est l’ultime moyen de s’épanouir en tant qu’être humain et, par-dessus tout, d’enrichir notre perception du monde qui nous entoure. Que l’on demeure fidèle à sa propre culture et à ses traditions, tout en s’ouvrant aux influences des autres cultures, est une source inestimable d’enrichissement. En tant qu’artiste plein de curiosité, je suis profondément fasciné par les multiples cultures qui cohabitent sur notre planète. Apprendre des autres est une expérience des plus gratifiantes. Dans une mosaïque aussi vaste et riche que notre monde, pourquoi se restreindre à sa propre culture lorsqu’il est possible de porter un regard plus ample et d’enrichir notre propre héritage culturel ? Cette fascination pour les multiples perspectives m’a toujours été bénéfique dans mes créations littéraires, puisque j’emprunte à chaque pays, chaque culture et chaque tradition un puissant alliage représentatif de son essence profonde, afin de nourrir ma plume.
Nous croyons savoir que la littérature n’a pas été votre porte d’entrée dans culture occidentale.
Effectivement, la peinture a été la véritable porte d’entrée dans la culture occidentale pour moi. Depuis mon enfance, le dessin m’a captivé. J’étais émerveillé par les couleurs, les formes, les expressions et les messages qu’il véhiculait. En grandissant, lorsque j’ai eu accès à l’Institut français, j’ai découvert l’art de la peinture, et la véritable beauté des couleurs ainsi que la puissance visuelle qu’elle pouvait dégager. Cela était source d’émerveillement constant pour moi. Ce fut alors que je me suis moi-même adonné à la peinture, mais celle-ci est restée une passion intime et personnelle, car je n’ai pas ressenti le besoin de dévoiler mes dessins au monde. Elle est pour moi comme un sanctuaire qui me permet de m’épanouir pleinement lorsque mes yeux ne sont pas rivés sur un écran. Ainsi, la peinture a été la passerelle qui m’a connecté à la culture occidentale.
Bien sûr, en Afrique et même au Cameroun, nous avons des peintres extrêmement talentueux, qui ont également marqué mon parcours en tant qu’artiste et qui continuent d’influencer mon regard par le biais de leurs pinceaux. Je peux notamment citer El Anatsui, Chéri Samba, Ben Enwonwu, parmi ces artistes africains qui m’ont profondément inspiré.
Mais mon amour pour l’art m’a poussé à m’intéresser davantage à la culture occidentale. Des talents tels que Leonardo da Vinci, Pablo Picasso, Vincent van Gogh, Rembrandt, Claude Monet et Frida Kahlo, ont suscité mon admiration à travers leurs toiles emblématiques. Cette fascination pour la peinture a également laissé une empreinte significative sur ma façon d’écrire, car j’aime explorer les moindres détails, en utilisant mes mots pour créer des images vives. Je m’attache aux descriptions, aux couleurs, aux formes, aux détails qui permettent aux lecteurs de se projeter et de visualiser les scènes et les décors. Mon objectif est de transporter visuellement les lecteurs dans un monde imaginaire que je peins à travers mes mots. C’est ce partage qui me comble de bonheur lorsque j’écris.
Puis est venue votre rencontre avec la littérature. Pouvez-vous nous brosser cette expérience ?
Je le dis chaque fois, ma rencontre avec l’écriture n’était pas prévue. Je devais simplement suivre des cours à l’université de droit, finir avocat ou virer en journalisme pour devenir rédacteur. Au lycée, j’aimais beaucoup lire, mais je m’identifiais en tant que lecteur et non écrivain. C’est un métier que j’ai toujours divinisé et glorifié, alors je ne me suis jamais senti légitime d’écrire. D’ailleurs, aujourd’hui encore, je me sens illégitime de prétendre être auteur de romans ou écrivain.
Je croise la route de l’écriture en pleine période de profonde dépression, due à certains aspects que j’ai préféré toujours évoquer dans mes livres. J’ai trouvé dans l’écriture un moyen inestimable de m’exprimer, de souffler, de lâcher prise, de m’exorciser de toutes mes hantises, de voyager et de m’évader. Lorsque j’écrivais, le temps de quelques lignes ou quelques pages, la triste réalité dans laquelle je baignais se dissolvait et enfin, je me sentais libre.
J’étais libre de façonner mon monde à moi, selon mes envies, mes besoins. Libre de dire ce que j’avais sur le cœur sans craindre d’être interrompu. J’étais libre d’être réellement moi, de troquer mes meurtrissures contre une histoire sortie tout droit de mon imagination. Écrire a toujours été et sera certainement toujours une belle expérience, un voyage pour moi, et j’aime ce sentiment.
Quels sont les auteurs qui ont impacté votre imaginaire, ceux qui vous ont motivé à choisir à votre tour l’écriture comme moyen d’expression ?
J’ai été influencé par des auteurs de toutes ethnies, pays et cultures diverses. Parmi ceux-ci, citons l’auteure camerounaise Léonora Miano, dont la puissance littéraire et l’exploration des identités m’ont profondément touché. J’ai également été marqué par l’auteur marocain Tahar Ben Jelloun, dont les récits poignants et engagés ont élargi mes horizons. Parmi les auteurs français qui ont influencé mon écriture, il y a tout d’abord Marcel Proust, dont la sensibilité et la profondeur m’ont inspiré. J’ai également été marqué par la beauté des mots de Victor Hugo, qui a su capturer l’âme de la société française à travers ses romans. Ensuite, il y a Marguerite Duras, dont la réflexion sur les relations humaines m’a profondément marqué. Je peux également citer Marc Levy et Virginie Grimaldi dont la sensibilité ne m’a jamais laissé indifférent. Du côté des auteurs américains, je citerais sans aucun doute Toni Morrison, dont les histoires intenses et la manière de traiter des questions sociales m’ont inspiré à repousser les limites de ma propre écriture. J’ai également puisé des leçons précieuses dans les ouvrages de Ernest Hemingway, dont la simplicité et l'efficacité m'ont appris à transmettre des émotions de manière percutante.
Ces auteurs, issus de différentes traditions littéraires, m’ont apporté une richesse d’influences et ont contribué à ma vision de l’écriture. Chacun d’entre eux a façonné ma voix littéraire de manière unique et m’a encouragé à explorer et à célébrer la diversité à travers mes propres écrits.
Qu’est-ce que ces auteurs vous ont apporté ?
Comme je l’ai mentionné précédemment, chacun de ces auteurs que j’ai cités a eu un impact unique sur ma voix littéraire et m’a encouragé à explorer et à célébrer la diversité à travers mes propres écrits. La diversité revêt une importance capitale pour moi, non seulement en tant qu’écrivain, mais également en tant qu’être humain. Je crois fermement que nous devons être ouverts aux autres et embrasser différentes cultures afin d’enrichir notre expérience de vie. La diversité est une source inépuisable d’apprentissage et de compréhension mutuelle. En nous ouvrant aux autres, en embrassant les différences culturelles, nous nous donnons la possibilité d’élargir notre vision du monde et de nous enrichir sur le plan personnel. C’est une démarche qui demande de l’écoute, du respect et de la curiosité, afin de créer des ponts entre les cultures et de favoriser la coopération et la paix. En tant qu’écrivain, je suis convaincu que la diversité est essentielle pour créer des œuvres authentiques et représentatives de la société dans laquelle nous vivons. En embrassant les différentes perspectives et en explorant des sujets liés à la diversité, nous donnons une voix aux expériences et aux réalités souvent marginalisées.
Quelle est la place de la littérature africaine dans votre parcours de lecteur et d’auteur ?
La littérature africaine occupe une place primordiale dans ma vie, en tant qu’Africain, car elle me permet de mieux appréhender mes réalités et les cultures africaines. Personne ne raconte ces réalités mieux que les auteurs africains. Il est important de rester fidèle à soi-même et à ses origines, et la littérature africaine incarne parfaitement ce principe. C’est un rappel essentiel, selon moi. Par ailleurs, associer mon attachement pour la littérature africaine à mon affection pour la littérature française est une source d’enrichissement. La littérature française me pousse à explorer, à découvrir et à m’immerger dans ses réalités et ses mentalités. Comme l’a si bien dit Haruki Murakami, ‘’La lecture de livres étrangers est une invitation à traverser les frontières de l’esprit, à explorer des horizons inconnus et à découvrir la richesse des différentes cultures qui peuplent notre monde. C’est un moyen inestimable de nourrir notre curiosité, d’élargir notre compréhension et d’établir des liens entre les peuples’’.
Nous lisons d'autres auteurs pour expérimenter différentes réalités, d’autres cultures, pour voyager et explorer. Les livres transcendent les limites du monde et dissolvent les différences qui existent sur notre planète. En tant qu’êtres humains, il est crucial de nous ouvrir aux mondes littéraires étrangers. En explorant les œuvres d’auteurs d’horizons différents, nous nous enrichissons et élargissons notre compréhension du monde. C’est là que réside la beauté de la littérature : elle nous permet de briser les barrières et de créer des liens en nous immergeant dans des réalités et des cultures différentes. Lire des livres étrangers, qu’ils soient africains, français ou d’autres origines, est un moyen de s’évader, de grandir et d’élargir notre vision du monde. C’est une invitation à l’ouverture d’esprit, à la tolérance et à l’empathie.
Vous avez fêté vos 27 ans il y a quelques jours de cela, et votre 16e roman, « Léo Viente », est paru en juin dernier. Qu’est-ce qui peut pousser un jeune Camerounais à tant écrire ?
Il y a en moi cet amour indéfectible pour l’écriture, une passion brûlante qui m’anime et me pousse à m’exprimer avec conviction, à aborder des thématiques qui nourrissent mon âme. Qu’il s’agisse de sujets sensibles comme les troubles mentaux, les violences, la dépression, le suicide, ou de sujets plus lumineux tels que l’espoir, l’amour, ou la quête du bonheur, j’ai cette volonté inébranlable de défendre ces sujets qui me touchent profondément. Ils sont encore souvent tabous en Afrique, mais je rêve que mes paroles résonnent chez chacun et créent ainsi un précieux moment de partage et de confidences avec le lecteur. Au fil de ma plume, j’ai réalisé que mon style d’écriture suscite une sensibilité particulière auprès du public français, probablement grâce à mes influences littéraires ou à ma façon d’écrire. En tant qu’auteur baignant dans une double culture et en quête d’ouverture à d’autres horizons, je refuse d’être cantonné à mon Afrique bien-aimée ou à des thématiques exclusivement africaines. Je m’ouvre au monde et explore d'autres perspectives, tout en célébrant mes origines. Mon désir n’est pas seulement de dialoguer avec les Africains, mais de m’exprimer en tant qu’être humain sur des sujets qui touchent chaque individu, indépendamment de son origine, de sa race ou de sa culture. C’est ainsi que je sais que j’aurai toujours quelque chose à dire. Les humains, dans leur globalité, sont une source d’inspiration incommensurable pour moi, des êtres fourmillants d’histoires à explorer, quels que soient leur culture et leur héritage.
Comment vivez-vous cette double culture qui, en partie, vous a été imposée par l’Histoire ? Pensez-vous avoir trouvé un point d’harmonie entre la culture de « vos ancêtres » et les cultures qui sont venues s’y superposer ?
Je me heurte encore à une certaine étiquette en tant qu’auteur africain, qui limite mes possibilités. Écrire sur des personnages occidentaux peut parfois être mal perçu par mes compatriotes africains, pouvant être interprété comme un reniement de mes origines, de ma culture et de mon identité. Cependant, je suis le seul à véritablement connaître et comprendre les motivations profondes qui m’animent en tant qu’artiste. Trouver cet équilibre délicat entre deux cultures que j’affectionne profondément n’est pas toujours facile, mais j’espère qu’avec le temps, je serai en mesure de transcender ces complexes persistants.
Peut-être que cet équilibre parfait m’échappe encore, mais cela ne m’empêchera jamais de poursuivre ce que j’aime le plus, et d’essayer d’être le lien entre deux cultures qui me sont si chères. Car chacune d’entre elles a nourri mes écrits, mon amour pour l’art et la littérature d’une manière inestimable.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci pour cette interview approfondie qui apporte un éclairage passionnant sur la Francophonie, l'amour de notre langue commune et le rayonnement du français dans le monde. Bravo à Christopher Mfoula : quel parcours, quelle ténacité et quel courage ! J'aimerais être capable d'explorer d'autres univers langagiers avec autant de talent.
Cela fait plaisir : enfin des mots forts en faveur de la culture et du respect de la diversité! Une interview passionnante et inspirée : merci.