
Cette année-là, la magie de Noël s’était fait la malle...
Certes, l’assassinat du président Kennedy en novembre les avait attristés, mais autre chose faisait obstacle à l’ambiance festive ; Lise le pressentait. Elle avait remarqué que leur mère pleurait en cachette et, tandis qu’elle essayait d'entretenir un semblant de gaieté, leur père, habituellement si joyeux et si présent, se montrait distant et indifférent aux préparatifs.
Pas de calendrier de l’Avent, aucune question sur ce qui leur ferait plaisir, aucune flânerie dans les magasins, juste des poupées pour les filles, des garages pour les garçons, réduits à des marques dans un catalogue de jouets... Ces indices indiquaient à Lise qu’un événement contrariait le bon déroulement de ce Noël. Elle commençait même à douter que des cadeaux aient été prévus.
Le soir du réveillon, le dîner fut plus chiche que de coutume. Les aspics en entrée donnèrent le ton – Lise les avait en horreur – et la suite fut à l’avenant : dinde muée en poulet, bûche décevante... Pour couronner le tout, ce fut dans du mauvais mousseux au lieu de champagne qu’elle et ses sœurs eurent le droit de tremper leurs lèvres.
Ensuite, comme de coutume, la famille se rendit à la messe de minuit, à part leur père qui préféra rester à la maison. Lise sentait bien qu’entre eux, il y avait de l’eau dans le gaz. Si, depuis quelque temps, ils se parlaient peu, ce soir, ils n’avaient pas échangé un seul mot durant le repas.
Mais plus tard, leurs allées et venues, leurs chuchotements dans le couloir lui redonnèrent de l’espoir. Elle attendit qu’ils se soient recouchés avant de se rendre à pas de loup dans le salon et de revenir aussi discrètement, rassurée : des cadeaux avaient bien été déposés au pied du sapin.
Le lendemain matin, tous accoururent, impatients. L’énormité comme la légèreté des paquets surprirent Lise, mais bien vite, elle imita sa fratrie, ouvrant avec soin le sien pour ne pas abîmer le joli papier d’emballage. Avec ses sœurs, elles découvrirent chacune une immense poupée, de ces poupées de stand de tir, froufroutantes et rigides. Quant à Joris et Lucas, ils eurent des garages à voitures, comme ils le souhaitaient, mais s’ils étaient imposants et comportaient plusieurs étages, leur qualité rivalisait de médiocrité avec celle de leurs poupées. Pour autant, tous ravalèrent leur déception, firent bonne figure et remercièrent leurs parents.
Puis les Noëls se succédèrent dans un brouillard de souvenirs jusqu'à ce que Lise découvre, des années plus tard, quel était ce petit quelque chose qui clochait : en 1963, leur père avait contracté une énorme dette pour avoir trop fait confiance à un client malhonnête. Étranglés par les finances, leurs parents avaient dû restreindre les dépenses. Pour pallier le manque de moyens, ils avaient pensé que la taille des cadeaux compenserait le reste.
Cette leçon de vie, Lise ne l’a jamais oubliée. Quant à son père, elle le sait, plus jamais il n’a fait confiance à quiconque à l’aveuglette.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Annie Pic Eh oui, le seul Noël dont je me souvienne était plutôt tristounet... Il faut croire que les autres ont été plus gais ;-).
Merci pour ton adorable commentaire, chère Annie.
Je te souhaite de très agréables, de très joyeuses fêtes de fin d'année, et t'embrasse fort,
Michèle
@Zoé Florent
Qui n'a pas connu, au moins une fois, un noël de tristesse ?
Tellement d'aléas se présentent au cours d'une vie. À tout âge, l'inattendu peut devenir le reflet d'espoirs brisés.
L'enfant garde en mémoire les évènements marquants, et plus particulièrement, si à un noël, la joie n'était pas au rendez-vous.
Merci chère Michèle pour ce témoignage émouvant.
Je te souhaite le meilleur pour ce noël 2024.
Je t'embrasse, Annie
Quelle heureuse surprise de vous lire ici, @Papou Bezard !
Merci pour votre gentil commentaire qui me touche.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année et vous embrasse (je me permets d'embrasser tout le monde cette année ;-)),
Michèle
@Michel CANAL Merci infiniment pour ton commentaire sensible et bienveillant, cher ami.
De nos jours, les enfants sont tellement gâtés à longueur d'année qu'il est bien difficile de recréer cette ambiance qui catactérisait les Noëls de notre enfance et nous rendait impatients... Mais positivons : au moins échappent-ils au chantage à la gentillesse qui se pratiquait parfois ;-).
Je vous embrasse fort tous deux et vous souhaite également des fêtes de fin d'année douces et festives,
Michèle
Très émouvante histoire de Noel qui remet certaines choses essentielles à leur place. Merci Zoe.
@Zoé Florent, heureux de te retrouver pour cette histoire touchante en ligne dans le calendrier de l'Avent. Histoire hélas banale que tu as su exprimer en y insufflant l'esprit de Noël si important pour les enfants, sans oublier la messe de minuit qu'un instituteur a gravée à jamais dans mon esprit à travers sa lecture des « trois messes basses » la dernière après-midi précédant les vacances de Noël. La nostalgie de Noël ne m'a jamais quitté. J'ai fait en sorte à mon tour de la faire vivre à mes enfants.
Tu l'as évoquée avec la sensibilité que l'on retrouve dans tous tes écrits. 1963 était une autre époque que les moins de vingt ans ne peuvent imaginer. On a un peu (ou prou) l'impression qu'aujourd'hui toutes les valeurs attachées à notre culture et à nos traditions se délitent, que tout fout le camp. Face à cela, ta nouvelle revêt une importance particulière, nous ramenant à l'époque heureuse de notre enfance que même la pénurie financière a pu honorer.
Merci pour ce partage. On ne trouvera rien de moi, j'étais trop occupé pour répondre à cet appel. Dommage, car comme toi j'aurais eu des souvenirs de Noël à évoquer.
Passe un bon Noël en famille. Je ne doute pas qu'il sera festif et heureux. Gros bisous. MC
@Caroline Devivie Merci infiniment pour votre commentaire sensible, chère Caroline. J'espère avoir l'heureuse surprise de découvrir votre contribution à mon tour, dans les prochains jours.
Je vous souhaite de très joyeuses fêtes de fin d'année et vous embrasse,
Michèle
@Zoé Florent
Chère Zoé - Michèle, j'espérais que vous seriez dans ce calendrier et je ne suis pas déçue ! Cette histoire est touchante et on partage l'angoisse de Lise jusqu'à la fin. Il est vrai que ces fêtes sont souvent convenues et mettent en exergue nos problèmes, mais également en valeur les ressources que nous sommes capables de déployer pour faire comme si.
En tous les cas je vous souhaite un très beau Noël.
Bien à vous,
Caroline
@Marie Berchoud Oui, je n'échappe pas à cette règle qui veut que les souvenirs d'enfance reviennent, plus riches en détails et en émotions, en prenant de l'âge. Et comment ne pas vouer une reconnaissance éternelle à ses parents, lorsqu'ils ont assumé leur rôle sans jamais faillir ?
Mille mercis pour votre commentaire sensible, chère Marie. Il me ravit.
Je vous souhaite de belles fêtes de fin d'année et vous embrasse,
Michèle
Si juste et si touchante, cette nouvelle ! Enfance à fleur de peau et de mémoire... Des années plus tard, on se rend compte qu'il est parfois bien difficile d'être parent.
@Parthemise33 Le pire est d'autant moins certain qu'il réserve parfois le meilleur, car cette année-là, un ami de mon père n'a pas hésité une seconde pour voler au secours de mes parents, financièrement. Je n'ai jamais oublié cet homme, son sourire, sa gentillesse... ni sa DS break avec strapontins à l'arrière ;-)... Ce que je n'ai pas pu raconter non plus.
C'est vrai que ce format est un peu short...
Je te souhaite de merveilleuses fêtes de fin d'année et t'embrasse, chère Annie,
Michèle
@A.P. Gounon Enfant, j’étais sensible et trop attentive aux autres pour vivre l’insouciance des jours de fête. Maman était déjà comme ça : dans la réflexion trop jeune. C’est beaucoup plus tard que j’ai pu accéder à cet état, raison pour laquelle je ne me prive pas depuis et me rattrape dès que l’occasion se présente ;-).
Je t’embrasse et te souhaite également de merveilleuses fêtes de fin d’année, chère Anne,
Michèle
@Zoé Florent Chère Michèle, le problème avec les contraintes, c'est qu'elles limitent la créativité. Encore que j'en ai lu au moins deux qui s'en sont exonéré ;-) Je comprends mieux pourquoi poulet et bûche avaient un goût de cendre. La morale de cette histoire est que le pire n'est pas forcément certain. Merci Bisous Merci et très Bon Noël à toi
Zoe Florent.
Certes, chère Michèle, la petite fille que tu étais a vécu là un Noël d'angoisse et de tristesse. Pourtant, la tendresse de tes parents avait tenté de préserver l'esprit de Noël... et je suis sûre que d'autres Noël plus heureux ont suivi. Merci pour ce joli texte. C'est vrai, Noël n'est pas toujours magique !
Je te le souhaite merveilleux cette année et je t'embrasse. Anne
@Valérie-Pison @Parthemise33 Merci pour vos sympathiques commentaires !
Petite, ma grande angoisse était que mes parents divorcent. Vu la limitation du nombre de caractères de cet appel à texte, je n'ai pas développé ce point, mais plus que les restrictions matérielles opérées, c'était l'état de leur relation qui m'avait le plus affectée... Souci inutile, soit dit en passant, mais je ne pouvais présumer d'un avenir qui a voulu qu'ils nous quittent, une fois leurs noces de diamant fêtées ;-).
Très joyeuses fêtes de fin d'année à vous deux !
Je vous embrasse,
Michèle
@Zoé Florent Heureuse de lire ta participation. Il y a des années comme ça, totalement pourries. La magie de Noël déversée à longueur de pellicule est réservée aux films principalement américains. Se défaire des stéréotypes de surconsommation véhiculés par les média demande une force d'âme peu commune. Ce qui rend l'échec dans la "vraie vie" encore plus frustrant. Il semblerait que 30% des gens interrogés soient déçus par les fêtes, les repas et les cadeaux. En même temps un Noël "raté" est une notion tout à fait subjective. Celui de Lise aurait pu peut-être réjouir le cœur d'une autre personne. La loi de relativité chère à Einstein trouverait-elle à s'appliquer ici aussi ? En plus, pourquoi sacrifier des bestioles qui ont été sages toute l'année, pour célébrer la naissance d'un mouflet (même fils de Dieu) dans une étable ? Un porridge agrémenté de myrtilles, de noix et de noisettes serait plus approprié. Je dis ça, mais je fais comme une bonne partie de la planète ;-) Merci Bisous Merci et Joyeux Noël à Lise
Merci @zoe Florent pour ce conte de Noël. Où l’on comprend que bien trop souvent , la valeur d’un cadeau se confond avec la taille de son emballage ! Les minuscules attentions sont pourtant aussi importantes !
@Delpopolo Antonia @ALICE HOUAN @Christophe M @Fernand Fallou Marquée très tôt par le conte d'Andersen, "La Petite Fille aux allumettes", j'ai toujours vu les fêtes de fin d'année comme un révélateur des inégalités humaines.
Ce Noël est le seul dont je me souvienne avec précision, et mon imagination me faisant mystérieusement défaut sur ce thème dans sa forme traditionnelle (contrairement à toi, cher Fernand ;-)), je n’ai rien trouvé d’autre à vous raconter. Une histoire comme il en arrive tant, tel que l’écrivez très justement, cher Christophe. Un Noël plus triste que joyeux comme cela se produit si souvent, vous avez mille fois raison, chère Antonia…
Merci à vous quatre pour vos commentaires bienveillants et joyeuses fêtes de fin d’année ! Pour la circonstance, je me permets de vous embrasser chaleureusement,
Michèle
PS : et merci pour la touche d'humour, chère Alice ;-).
Ah, @Zoé Florent, 1963, une année d’aspics et de drames ! Entre JFK, les garages à voitures de troisième zone, les poupées de stand de tir, et l’amour sous mousseux, vous nous offrez un Noël digne d’un film néo-réaliste. On en redemande (mais sans aspics, merci). @Fernand Fallou Avec une orange (tout s'arrange), dites-vous ? Oui, mais encore faut-il pouvoir se la payer… Chapeau, en tout cas, pour cet aspic littéraire bien vinaigré qui, lui, ne manque pas de saveur.
@Zoe Florent
Un triste Noel est peut-être plus courant qu'un joyeux. On l'oublie parfois, un peu anesthésié par cette fameuse féerie de Noel qui illumine plus souvent les vitrines de nos villes que nos cœurs.
Une histoire de vie comme il y en a tant. Mais à Noël, effectivement, les questions d'argent deviennent plus que des questions d'argent : elles soulignent l'écart entre les moyens matériels et le désir de faire plaisir à ceux qu'on aime.
Souvent, avec le temps, on réalise que du point de vue des personnes que l'on voulait "gâter", ces moments n'ont pas été aussi décevants qu'on aurait pu le penser.
1963 :
2 novembre : assassinat de Ngô Đình Diệm, Président du Sud Viêt Nam,
22 novembre : assassinat de John F. Kennedy. Président des Etats Unis
Evidement, un mois avant Noël, ça met une mauvaise ambiance.
Si en plus, on se fait arnaquer et que les aspics ne sont pas aussi bons le soir de Noël, l’ambiance se fige comme les aspics.
L’argent ne fait pas le bonheur, mais qu’est-ce que c’est pratique pour faire les courses.
Mais avec un peu d’amour « et une orange, tout s’arrange » enfin, c’est ce que disait la pub à la télé en France à cette époque.
Bravo pour ce triste Noël.
il ne faut pas perdre de vue que ça existe
Bravo !
FF