Classiques et Moi
Le 31 Jan 2017

Les Classiques : Dante e noi (Dante et nous)

Comment introduire l’amour, la passion, la distance, l’incompréhension de Catarina Viti pour son héros Dante ? C’est simple : lui donner la parole. Si Dante incarne l’essence de l’italianisme, c’est une italienne qui se doit de nous en rendre compte, d’en éclairer les facettes, de nous en faire deviner les ombres, comme une orfèvre de la lumière...
Victor Hugo, adepte de la théorie de l’évolution, a imaginé Dante comme l’exemplaire humain qui conclut le parcours de l’évolution…Victor Hugo, adepte de la théorie de l’évolution, a imaginé Dante comme l’exemplaire humain qui conclut le parcours de l’évolution…

Dante e noi (Dante et nous)

Je n’ai pas réussi à intituler cet article « Dante et moi ». J’ai pensé que s’ils m’entendaient, ceux du village, ils agiteraient leurs mains droites sous mon nez, les cinq doigts réunis, et me lanceraient « Ma chi ti conosce tù ? » (Mais pour qui tu te prends, toi ?) « Dante è nostro. » Il est à nous.

Bien que mort en 1321, à l’âge de 56 ans, le Titan des poètes est toujours là, et partout en Italie. Dans les médiathèques, les musées, dans les rues, sur les places sous forme de statues, jusque dans la publicité pour le papier toilette, mais surtout, dans nos cœurs et nos têtes. Dante nous a envahi pour les siècles et les siècles.

La découverte de Dante par une gosse de Rital

Et comment croyez-vous que se soit passée cette rencontre ? En furetant dans la bibliothèque de Papa ? Eh bien non, de livres nous n’en avions pas. Mes parents ne lisaient pas, ou à peine. Du journal, mon père ne parcourait que les pages sportives et celles des faits divers. La lecture ne durait pas longtemps. Travailler sur les chantiers, ça use. On préfère se coucher tôt.
Non, non, pas de furetage sur les rayonnages d’une bibliothèque familiale. J’ai connu l’existence de Dante un soir, où goguenard, mon père me regardait m’escrimer avec un bouquin scolaire : « Qu’est-ce que tu cherches à apprendre là-dedans, bourrique ?» m’a-t-il demandé. « Tu ne sais même pas ce qu’est un livre. » Bien entendu j’ai protesté, mais le dernier mot a été pour lui : « Tant que tu n’auras pas lu Dante Alighieri, tu n’auras rien lu. » (Evidemment, mon père ne s’exprimait pas dans ce style de français... J’adapte).

Voilà, c’était jeté, et ça avait tout du double défi : devenir une personne instruite et une véritable italienne en sol français. Je dirais donc que Dante s’est présenté comme une affaire de famille.
Le destin n’avait pas permis à mon père de s’instruire. Mais, en Italie, encore plus à cette époque, il y avait toujours quelqu’un pour vous inoculer le virus de la culture. Le chant et la poésie sont à Naples des Arts Majeurs. Mon père avait entendu déclamer les vers de la Divine Comédie. Quand il dut quitter son pays en vitesse, il emporta quelques bribes de gloire dans son fragile bagage de migrant. Le spectre du Titan l’a empêché de s’effacer tout à fait. Ces bribes de gloire : Michelangelo, Leonardo, Giotto, Verdi… il me les a transmises, et elles sont devenues l’héritage qui m’a permis de ne pas m’effacer à mon tour, quand j’étais méprisée à cause de mes origines.

Ma chi è quel Dante ? (C’est qui Dante ?)

Voilà une heure que je vous parle de Dante, mais le connaissez-vous seulement ?  Oui ? Ah oui, vous le connaissez ?
Comme c’est étrange… Eh bien moi, non.
Dante danse dans ma vie depuis des décennies et pourtant il m’échappe sans cesse. Il se donne à moi, parfois, entièrement et de manière inattendue, -c’est alors une sorte d’orgasme. Mais, la plupart du temps, il demeure lointain, mystérieux et inaccessible. Sept siècles nous séparent, mais je ne pense pas que là soit la raison de son évanescence. Je crois que cela tient à la substance même de Dante, comparée à l’indigence d’un esprit comme le mien. Il est un Titan, je ne peux que frôler ses chevilles célestes. Mais, mamma mia, je ne cèderais ma place pour rien.

Dante et sa Divine Comédie : dans le « Guiness des Records »

L’œuvre de Dante a été immédiatement reconnue, et c’est sans doute le grand Boccaccio (auteur du Decameron) qui, 50 ans après sa mort l’a hissé au rang de la légende, lui inventant une vie merveilleuse, et transformant le titre initial de Comédie en Divine Comédie. Dès lors, l’œuvre de Dante n’a plus cessé de hanter l’esprit humain.
La Divine Comédie a été écrite en langue vernaculaire et non en latin, comme l’étaient les textes de l’époque. Dante voulait faire de Florence le fleuron de l’Italie du XIVe siècle. On peut estimer qu’il a atteint son but : la langue de la Comédie est devenue la langue officielle de l’Italie.
Je suis incapable de dénombrer les études en Dantologie existant à ce jour. Des centaines de pages apparaissent dès qu’on interroge un moteur de recherche.
Dante est partout dans la société italienne. Son image fait vendre les produits les plus divers : le papier toilette Foxy ou Rotolini Regina, les IPad, l’huile qui porte son nom, les machines à écrire Olivetti dans les années 60, les plats surgelés. Dante (en compagnie de Lucifer) regarde le foot à la télé, et vend des tablettes Samsung,  ou encore, conseille le citoyen italien sur la gestion de l’eau du robinet.
Des acteurs populaires donnent des lectures intégrales de la Comédie. L’Enfer a été lu cet été, en Avignon. Des Sociétés Dantesques fonctionnent aux quatre coins du globe.
Dante est devenu le héros de Jeux Vidéo, de BD, de mangas japonais. Et que dire de « La Comédie Humaine » d’un certain Honoré de Balzac ? De nombreuses adaptations cinématographiques ont été faites de son œuvre.
Je ne vais pas tout citer, au risque de dévier du but de cet article.
Je voulais seulement te donner quelques indices pour que tu comprennes une chose, lecteur,  c’est que le jour où tu lis ce que Dante déchiffra sur la porte de l’Enfer, tu restes prisonnier de la « Comédie » pour le reste de ton existence.

“per me si va ne la città dolente,                               "Par moi, vous pénétrez dans la cité des peines ;
per me si va ne l’etterno dolore,                                Par moi, vous pénétrez dans l’éternelle douleur ;
per me si va tra la perduta gente.                             Par moi, vous pénétrez parmi les êtres perdus.
…                                                                              ...
lasciate ogne speranza, voi ch’intrate”.                    Abandonnez tout espoir, vous qui entrez."

(Tout le suc se perd à la traduction. C’est la raison pour laquelle je te mets les textes en VO.)
On ne ressort jamais de la Comédie. On ne revient jamais dans le monde ordinaire, en tout cas, jamais identique à celui qu’on était avant de franchir la porte de l’Enfer.

Sept-cents ans n’ont pas affaibli la force du poète

À dire vrai, on possède peu d’informations fiables sur la vie de Dante le Florentin. Son premier biographe, Boccaccio, ne s’est d’ailleurs pas gêné pour créer un homme à la mesure du Titan. Au fil du temps, Dante est devenu un héros.
Je crois, au contraire, qu’il fut un homme assez quelconque. Alors que pour certains de ses contemporains, les hauts faits sont rapportés en nombre, il n’en est rien pour lui. On sait qu’il occupa une seule charge honorifique : prieur de la ville, et seulement durant quelques mois. Le seul fait de guerre où il se soit illustré est la bataille de Campaldino (11 juin 1289), une victoire des Guelfes qui anéantirent les Gibelins. On sait que ce jour-là, en compagnie de son ami Guido Cavalcanti (autre poète de renom), Dante a passé nombre de Gibelins au fil de son épée.
Mais voilà que j’utilise des termes que tu n’as peut-être jamais entendus : Guelfes et Gibelins.

Florence à feu à et sang durant deux siècles

Pour te faire une idée de ce que fut la société de Dante, essaies d’imaginer une guerre civile qui s’étalerait sur deux siècles. Florence n’est pas une ville, mais une république. (L’Italie est une mosaïque de républiques.) Deux clans s’y déchirent : les Guelfes et les Gibelins.
Les Guelfes sont divisés en deux factions : les Blancs (à laquelle appartient la famille Alighieri) et les Noirs (extrémistes). Les Guelfes Blancs et Noirs sont papistes, et luttent contre les Gibelins qui soutiennent l’Empereur d’Allemagne. Florence, régulièrement mise à sac par le déchaînement des factions adverses, vit dans la terreur constante. Les batailles sont sanglantes, les quartiers dévastés par les incendies. Dans la rue, il suffit qu’une voix te dénonce pour que tu sois saigné sur place, illico. Tout citoyen influent vit sous la menace du bannissement ou du bucher. Dante a dû bien souvent sortir sa rapière pour attaquer, se défendre.

Si l’on ne connaît pas cela, je crois qu’on ne peut pas comprendre la violence de la Comédie. Son auteur a cherché la porte céleste, seule solution à même de le délivrer d’un monde de sang et de fureur.

Cher lecteur, bien que tout cela soit passionnant, je ne vais pas entrer dans les détails, je dois m’efforcer de garder la mesure de cet article. Je te laisse imaginer la vie brutale qui fut celle de notre poète.
L’ultime violence dont il fut victime, (certainement la pire de toute pour cet homme), fut le bannissement de Florence.
En 1302, la guerre civile ne connaît plus de limites. Les rivalités internes et la scission du parti Guelfe créent les conditions pour accuser Dante de complot et de malversations. La peine requise est la confiscation totale de ses biens et l’exil. On lui propose, cependant, de commuer cette peine en s’acquittant d’une amende de 5.000 florins. Dante refusera pour ne pas « plaider coupable.»
Désormais, le voilà ruiné, banni et même condamné au bûcher.
L’errance et l’indigence règnent sur les vingt dernières années de sa vie. On le voit aller « de maisons en maisons », vivre aux crochets de bienfaiteurs. Durant les premières années de l’exil, il tentera de retrouver sa légitimité, intentant de multiples procédures pour finalement abandonner tout espoir, et vivre les dernières années de sa vie, banni et miséreux.
C’est dans ce contexte qu’il compose sa Comédie durant une quinzaine d’années.

Les larmes de l’exil

Il y a, dans la Comédie, une petite musique que les exilés connaissent bien (Voir Céline au Danemark). Quant à moi, je l’ai vécue par procuration grâce à mon père. Chez Dante, elle se retrouve notamment dans la manière de citer les noms de ses compatriotes, dans l’élan de son cœur quand  s’élève une voix florentine depuis les bourbiers du Purgatoire.

Mon père était exilé. Il avait à son passif une tentative de meurtre que la justice italienne ne lui pardonnait pas. Une sale histoire. Il a pris la route de France,  passant les Alpes avec un groupe de contrebandiers de tabac ; a d’abord vécu à Briançon, avant de s’installer sur la côte. Il est resté vingt ans sans mettre les pieds là-bas. Si notre première incursion en terre interdite s’est déroulée sans problème, la seconde fut fatale.  Nous avions passé la journée à découvrir Florence, et nous dormions dans un grand hôtel, le Dante, bien entendu. Les carabiniers sont arrivés dans la nuit, et mon père a dû les suivre. Vingt-deux ans après les faits, ils l’avaient retrouvé. Heureusement, nous avions de la famille dans les affaires et au Vatican. Un ministre des Finances qui te crache dans les bronches à une heure du matin, ça a de quoi ratatiner ta conscience professionnelle. Je ne sais même pas s’il avait fallu réveiller le théologien du Pape.
Cette nuit-là, l’Italie moderne a consenti à effacer le crime de mon père, mais la Florence médiévale, elle, n’a jamais voulu réintégrer Dante en son sein.
Bien que rentré en grâce, mon père a toujours vécu comme un exilé, c’est-à-dire un gars pas sûr de ce qui l’attend. Un gars aux appétits et aux illusions exacerbées. Un cœur condamné à glorifier un morceau de terre inaccessible, qui se refuse, qui s’efface à peine elle s’ébauche et ce faisant n’en finit pas de devenir merveilleuse.
Il y a de cela en filigrane dans la Divine Comédie. Je suis sûre de le sentir et que ce manque, cette béance, a été le nerf nécessaire pour écrire ce poème dément et halluciné.

« Mon innocence est ma forteresse » devise des Montcalm

Il y a une autre motivation dans la création de la Comédie, celle de désigner soi-même son Juge.
Dante, innocent, fut l’objet d’une écœurante machination. Voilà encore un point où nos histoires se rejoignent.
Si de mon côté italien on affirme être sûr de sa filiation, mon côté français se glorifie de bâtardise héréditaire. Il se trouve, donc, que je partage un recoin de l’histoire des Montcalm. À l’époque de Louis XI, Montcalm fut accusé de complot. Heureusement pour lui, les véritables coupables furent démasqués, jugés, roués et écartelés selon les us. Louis réintégra mon « morceau d’ancêtre » dans ses droits, lui attribua les biens des comploteurs, ajouta une tour à son blason et signa lui même sa devise « Mon innocence est ma forteresse ».
Va savoir pourquoi, (les psycho généalogistes nomment cela scenarios), j’ai souvent été accusée de « crimes » auxquels j’étais  étrangère.
Ce désespoir qui t’assaille, quand de toute évidence les dés sont pipés, je le connais très bien.  C’est un mélange démentiel d’anéantissement et de colère. Tu voudrais démonter l’univers, mais quoi que tu fasses, tu restes comme un couillon. Il n’y a rien. Il n’y a plus rien à quoi tu puisses te rattraper. Tu tombes. On te broie. Ton existence est niée, violée, piétinée. Il n’y a plus rien. Et là, tu réalises que jamais justice ne sera faite en ce monde. Il ne reste plus qu’à te jeter dans le vide en espérant que Dieu sera ton Juge.
« Celui qui a tout perdu conserve comme dernier recours l’espoir de la gloire ou du scandale littéraire » (Cioran). 

Et Béatrice dans tout ça

On ne sait pas qui elle est, vraiment, et même si elle a jamais existé. Ce qui compte, c’est qu’elle fut pour Dante une sorte d’Infusion Divine. Elle incarne l’Espérance qu’il dut abandonner devant la porte de l’Enfer. Béatrice fut la recherche d’absolu qui lui permit de ne pas sombrer dans la folie.
Selon les commentateurs, Béatrice serait « la dame » de Dante, influencé par les Troubadours Provençaux durant la première partie de sa carrière de poète. Selon d’autres études, elle représenterait la Théologie.
Mon hypothèse, si tu veux la connaître, est la suivante. Dante, c’est un fait, a été un joli noceur et des filles de bordel il en a usé et abusé. Béatrice fait partie de son processus de résurrection, elle est le sauf conduit qui l’autorise à passer dans l’autre monde, dans la Vita Nova, seule alternative à la société corrompue qui l’a laminé. Dante se sauve in extremis grâce à Béatrice et, grâce à elle, s’établit dans l’Invisible.

Si tu n’as pas le courage de lire la Divine Comédie

Cher lecteur, j’abrège, j’abrège.
Imaginons que tu ne l’aies pas encore lue, et que tu trouves trop risqué d’aller chasser le tigre en espadrille (comme dit une amie à moi).
Vas donc au cinéma ou achète les DVD.
Tu veux connaître l’Enfer ? Je te conseille de visionner le film de Pasolini : Salò. Les 120 jours de Sodome. Je te préviens que tu devras avoir le cœur bien accroché, mais le petit génie a su transposer les éléments de l’Enfer aux délires fascistes ainsi qu’à leur inique république. Frisson et haut-le-cœur garantis.
Autrement, précipite-toi sur une copie de 8 ½ De Fellini. Tout y est. Virgile la raison, l’intellect, c’est Anouck Aimé (Gemma Donati, épouse de Dante). Béatrice, c’est Claudia Cardinale, belle comme jamais dans d’inoubliables gros plans, où elle dit de sa voix rauque comme la mer quand elle reflue emportant les galets de la plage « Je suis là pour mettre de l’ordre, pour faire le nettoyage » ou « Parce qu’il ne sait pas aimer. Parce qu’il ne sait pas aimer ». Fellini avait demandé à son chef opérateur de réaliser un miracle technique afin que Béatrice puisse descendre de son Paradis, et s’incarner en Claudia.

Si tu as le courage de lire la Divine Comédie

Je te donne mon « truc » :
Pour lire la Comédie, je me retire au calme. Je m’installe dans ma petite pièce mal éclairée, haute de plafond, avec une fenêtre aux verres dépolis, je m’assoie devant mon pupitre, saisis ma plume d’oie, et je fais comme si j’écrivais les vers au fur et à mesure que je les lis.
Alors, quelque chose d’assez étonnant se produit : le texte implose, le moindre élément s’anime, la lumière, le vent, les voix, tout se met à bruisser d’une vie plus intense que la vie « normale ».
Oui lecteur, je te le dis, te l’affirme, ma-main-à-couper-ma-parole-la-vérité-si-je-mens, le texte de Dante est toujours vivant !
Essayes, et tu me diras ! 

Au fait… Dante n’a pas écrit que la Divine Comédie

Tu trouveras aisément sa biographie, mais à part la La Vita Nova et quelques poèmes lyriques, Dante a surtout écrit des essais politiques, religieux, philologiques, etc. qui n’intéressent plus grand monde de nos jours.
Si tu veux mieux le connaître, je te conseille ce site : cosmovisions.com/Dante.htm
Tu peux télécharger des PDF de la Comédie en français et en italien. paralleles-editions.com/lorraine/livres/divine-1.pdf
Essaie de lire en italien, ou télécharge un acteur en train de lire : youtube.com/watch?v=FlJattiR29I

Dante, notre père qui êtes aux Cieux

Comme je l’évoquais en début d’article, Dante fait partie de l’héritage légué par mon père. Quelles que soient les offenses subies, mon cœur n’a jamais faibli, et je n’ai jamais abjuré mon appartenance culturelle. Je te prie de croire que le chemin n’a pas toujours été facile. Mais lorsque je me faisais traiter de « Sale gosse de napolitain », de « bouffeuse de macaroni » et le reste, je savais une chose : Pour que ces injures m’atteignent, il aurait d’abord fallu qu’elles frappent la tempe du Titan, et je voyais bien alors, que leurs petits bras et leurs petits cailloux n’atteindraient jamais les sommets de l’Annapurna. Dans l’ombre de mon poète, je ne risquais rien. Il a été mon rempart, et avec le temps, il est devenu mon échelle vers les étoiles.

Mon père est mort le 15 janvier 2001. La colère avait creusé entre nous d’infranchissables gouffres, et nous étions devenus des étrangers. Or, au moment de mourir, sa pensée est venue jusqu’à la mienne et, dans le cadre d’un événement mystique et inexplicable, mon père est venu me proposer le Pardon qui m’était indispensable pour poursuivre mon chemin solitaire.
J’ai agrippé ce Pardon dantesque.
D’après ce que je connais de son existence terrestre, je pense que mon père a été conduit dans le premier giron du 7ème cercle des enfers. Une rivière de sang bouillonnant y dévore ceux qui ont nui aux autres par violence.
Mais j’ai lu, au chant 23 du Purgatoire, qu’il suffit d’une prière sincère pour que l’âme des damnés puisse échapper aux tourments de l’Enfer.

"Con suoi prieghi devoti e con sospiri                                "Ses larmes, ses soupirs, ses dévotes prières
Tratto m’ha de la costa ove s’aspetta                                 M’ont tiré de la côte où les âmes attendent,                      
E liberato m’ha de li altri giri"                                              M’évitant le séjour dans les cercles suivants."  

C’est donc ce que j’ai fait : J’ai prié, dans l’espoir de commuer sa peine. Ma foi étant bien infime pour lui permettre d’atteindre le Paradis, j’espère lui avoir, au moins, ouvert un chemin vers le Purgatoire.
Dans ce cas, son esprit arpente, en ce moment même, les ruelles de Naples où des mains dévotes allument des cierges aux âmes du Purgatoire, les honorent et les consolent par des offrandes.

Puisqu’il en est ainsi, cher lecteur, je vais me permettre de lire pour toi, et pour lui. Je vais te quitter, espérant que tu viendras, là où Virgile t’attend, et que tu entreprendras, à ton tour, ce fabuleux voyage à travers les limbes.

"Nel mezzo del cammin di nostra vita                                "Quand j'étais au milieu du cours de notre vie                        
Mi ritrovai per una selva oscura                                         Je me vis entouré d'une sombre forêt
Che la diritta via era smarrita                                             Après avoir perdu le chemin le plus droit.
Ahi quanto a dir qual era è cosa dura                                Ah ! qu'elle est difficile à peindre avec des mots,             
esta selva selvaggia e aspra e forte                                  Cette forêt sauvage, impénétrable et drue                       
che nel pensier rinova la paura !"                                      Dont le seul souvenir renouvelle ma peur !"                    

Catarina Viti

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Incroyable !!! Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle et pourtant Dante fait aussi partie de ma culture et de mon enfance.
Ma mère, sans l'avoir lu intégralement, est encore capable de citer certains vers et possède une édition ancienne illustrée "sauvée du fleuve" que j'ai souvent feuilletée sans jamais réussir à la lire tellement le texte me semblait ardu.
Pauvre Dante... partout autour de moi et jamais parmi les références littéraires qui trônent dans ma bibliothèque... Merci Catarina, je vais vite réparer cet oubli...

Publié le 23 Juin 2021

Chère @Catarina Viti (que j'ai repérée depuis longtemps grâce à vos commentaires et à vos échanges mesurés), pardonnez-moi d'avoir été absent au moment de la publication de votre article et de ne l'avoir lu que ce jour. Je range donc la honte de ce commentaire si tardif car je ne veux pas laisser passer l'occasion de vous dire combien j'ai apprécié votre "Dante e noi".
J'avoue modestement que je ne suis pas un grand connaisseur de Dante. Juste quelques notions comme probablement beaucoup d'autres. C'est pourquoi grand est votre mérite de nous l'avoir présenté sous le meilleur angle, avec en prime une similitude de faits ayant atteint votre père à plusieurs siècles de distance.
Votre article, fruit d'une longue gestation pour laisser s'épanouir la qualité et la structure de votre exposé (ceci explique cela) est tellement remarquable qu'on ne peut le passer sans réagir. Seule une Italienne pouvait en parler avec la passion et la profondeur dont vous avez fait preuve. Très sincèrement, je vous dis : bravo ! Car je sais reconnaître un travail de qualité.
Je profite de cette première fois où j'ai l'occasion de m'adresser directement à vous pour dire que j'attends le moment opportun pour vous lire, commençant probablement par " Quelqu'un de son sang " afin de rester dans la continuité de cet article. Avec toute mon admiration pour votre talent, vos commentaires et vos échanges pertinents. MC

Publié le 16 Février 2017

Catarina est déjà dans ma bibliothèque (tout comme vous Michèle !) et cela s'annonce déjà comme un coup de cœur ! Mais en plus de lire plusieurs textes en même temps (enfin pas l'un à côté de l'autre, mais en parallèle bien sûr) je suis un lecteur lent, très lent... Alors Dante passera après, juste après !
Bien à vous,
Bri

Publié le 01 Février 2017

Une tribune intéressante et instructive sur la vie de Dante et, de fait, la genèse de la Divine Comédie (sans mauvais jeu de mots biblique) ! Le parallèle fait avec le vécu de votre papa apporte, avec émotion, une mise en lumière de la condition d'exilé. De là, on peut bien sûr émettre des hypothèses et des pistes à propos de "l'exil" en enfer...
Merci pour les liens qui permettent d'en apprendre davantage sur l'auteur, et un merci plus gros encore pour les pdf disponibles ! Ne parlant hélas pas un mot d'italien (et n'en comprenant encore moins un demi-mot) je me contenterai de lire la Divine Comédie en français. Probablement dans une petite pièce peu éclairée avec, qui sait, une plume pour accompagnatrice...
Merci encore, vous avez trouvé les mots pour donner envie de se plonger dans cette œuvre... dantesque !

Publié le 01 Février 2017

@Catarina Viti. Ah ces italiens de la violence et du crime ! Que n'ont-ils mérité tous les enfers ! Un siècle avant les Guelfes et les Gibelins de Florence, I Capuleti e i Montecchi avaient sévi à Vérone, que Vincenzo Bellini fit chanter pour la première fois à La Fenice de Venise. Shakespeare s'en était déjà souvenu. J'ai visité Florence, c'est le nom que porte ma fille, en voyage de Noces. J'ai écouté Verdi dans les arènes de Vérone, cette ville où le serveur dépose ta tasse de café en chantant l'air d'Alfredo qui déclare sa flamme à la Traviata. J'ai remonté le Grand Canal avec un gondolier qui hurlait Othello à gorge déployée. J'ai sillonné la Toscane, cette terre en aquarelle sereine aux couleurs pastel. J'ai même trempé mes pieds, à Cervia, dans l'Adriatique avant de revenir par la Riviera des glycines croulantes et des mimosas en boutons de fleurs. Mais je n'ai pas lu Dante Alighieri. Il aura fallu que tu m'y invites. Merci

Publié le 31 Janvier 2017

@Catarina Viti

Honte à moi de n'avoir jamais lu la Divine Comédie ! Mais à vous lire, le mal va être réparé ! Votre article ? On touche au sublime. Bien à vous.

Publié le 31 Janvier 2017

Et bien me voilà, chère Catarina, en quatrième position (et j'en rougis), pour vous féliciter une fois encore pour ce texte absolument magnifique, si intime, si vibrant, que vous partagez avec tant de cœur et dont vous savez bien ce que je pense.
Je suis très heureuse de vous voir enfin publiée, et vous assure que je n'ai qu'une hâte : vous retrouver encore, dans d'autres textes, dans d'autres œuvres !
Je vous dis à bientôt, et souhaite bon vent à ce merveilleux article autant qu'à votre inspiration.
Bien à vous,
Élizabeth.

Publié le 31 Janvier 2017

C'est magnifique !
Je suis impressionné et ému par la façon que tu as d'entremêler ton histoire, celle de Dante et celle de son oeuvre. Je suis parmi ceux qui n'ont pas lu et maintenant très impatient de faire l'expérience bruissante que tu décris. Je n'ai ni pupitre ni plume d'oie, mais beaucoup d'imagination.
Merci.

Publié le 31 Janvier 2017

@Catarina Viti. Bienvenue chez nous, l'italienne ! On t'aime. Mais jétais tellement pressé de mettre le premier commentaire que j'ai à peine lu ce long et superbe texte. Je vais déguster tranquillement, j'ai tout mon temps. De toute façon, merci !

Publié le 31 Janvier 2017