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Du 22 nov 2021
au 22 nov 2021

Courte lettre pour un simple au revoir

Le dictionnaire de la langue française associe rencontre et hasard. Action de rencontrer quelqu’un par hasard, qu’il dit. Donc, mon ami, nous dirons que c’est le hasard (en langage soutenu : coïncidence) qui a fait nos chemins se croiser.
La réponse de Catarina Viti à l'appel à l'écriture monBestSeller : Rencontre(s)La réponse de Catarina Viti à l'appel à l'écriture monBestSeller : Rencontre(s)

Si j’écris cette courte lettre aujourd’hui, ce n’est pas pour rappeler notre rencontre ici même, par le biais de commentaires, et dans la foulée... au bistrot le Saint-Jean, parce que le hasard avait si bien fait les choses que, par le passé, tu avais vécu là où j’habite à présent, et que tu y revenais souvent. Par hasard aussi, je n’avais pas de frère et tu n’avais pas de sœur. Et puis, coïncidence, on peignait le monde avec presque les mêmes couleurs.

*
L’essentiel n’est pas là.
*
Rencontre... lettre A de l’alphabet des relations humaines.
Parfois, il tourne court, l’alphabet, avant le E, ou gambade un peu plus loin, disons vers la lettre M, en haute mer, là où tout retour en arrière est exclu. Les êtres humains n’ont plus alors d’autres recours que se claquer la porte au nez, ou se dénigrer, se déchirer. Ou s’effilocher, se désagréger, se calciner à petit feu.
De nous deux, ce que je peux dire, c’est que nous sommes allés jusqu’au bout de cet alphabet, et c’est cet outre Z, justement, que j’aimerais évoquer ici. Mais justement, cet outre Z, je ne trouve pas de mot pour le dire en français... et je crois même qu’il n’en existe pas.
*
Après l’amour, on peut parler de désamour. (Cessation de l’amour, de l’intérêt manifesté pour quelqu’un ou quelque chose.) Mais quand une rencontre ne finit jamais, et qu’elle cesse pourtant ? Bien entendu, on pourrait plier l’affaire en moins de deux, se contenter du raisonnement paresseux et faux qui limite « rencontre » à une pincée de secondes, quelques heures que le hasard avait à perdre et aurait utilisé à faire se rencontrer deux pignoufs... et tant qu’on y est, conclure, je ne sais pas, moi, sur « démarcation », mettons. Mais à propos d’un scénario aussi trivial serait-il besoin de parler, d’écrire seulement une ligne ?
*
Le mot pour signifier le moment où une rencontre arrive à échéance, le mot pour signifier la chose qui a été et qui ne demanderait qu’à être encore mais ne peut plus, semble à inventer. Tout ce qu’on nous propose dans le registre de l’antonymie se situe bien avant la lettre Z de l’alphabet des relations humaines et découle de la séparation voulue ou involontaire. Désengagement, rupture, ennui, désintérêt, divorce, désunion, désillusion... elle est longue la liste des motifs qui mettent un point final à une rencontre, mais aucun qui nous convienne à toi et moi, à nous qui n’avons que des points de suspension.
Chiennerie de monde qui ne sait plus faire place au sacré et jacte un idiome de comptable.
*
Peut-être dans une autre langue, vieille et sage, sait-on dire des choses belles et vraies, exactes ; peut-être y trouve-t-on des mots précis pour dire que rien n’est fini jamais, et surtout pas la rencontre qui renaît d’elle-même à chaque instant.
Les Inuits ont une cinquantaine de mots pour désigner la neige. Peut-être que chez eux, ils savent ; eux chez qui les défunts ne font qu’un tour sur eux-mêmes pour revenir à la vie, comme si aussi près du Pôle la mort se mordait la queue...
C’est cela, nous allons...
enfin...
je vais demander aux Inuits comment dire « nous nous rencontrons hier, aujourd’hui et demain »
*
Ils disent naapippoq
et aussi
Taannagamani timi toqungavoq

Catarina Viti

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@Catarina Viti
Un mot qui me vient à l'esprit pour décrire l'émotion qui m'habite en lisant votre lettre: fascinant!
J'ai bien aimé.

Publié le 07 Janvier 2022

« Et puis, coïncidence, on peignait le monde avec presque les mêmes couleurs. »
C’est beau, c’est très bien dit.
Y a de l’amour dans ces quelques mots et peut-être même de la poésie, voire l’amour de la poésie.
Y aura une échéance, c’est vrai…
On s’en fout ! Je m’émerveille maintenant de de ce que je mange, ce que je bois, ce que vois, et de ce que je lis.
Merci @Catarina Viti
FF

Publié le 07 Décembre 2021

Hi, Guy ! ( @Stog-2 )
Entre les lignes... tu parles d'or, mon chum. Et des fois, entre les lignes, la vie nous lamébienprofon.

Publié le 29 Novembre 2021

@Catarina Viti, ce texte est magnifique sur les lignes et émouvant entre les lignes. À la vie qui se mord la queue!

Publié le 29 Novembre 2021

Merci à vous, @Christiane PABLO MORA. Finalement, ce sont ces moments-là qui font de nous ce que nous sommes. Toutes ces fois où nous devons bon gré mal gré passer à travers (au travers, en travers).

Publié le 26 Novembre 2021

@Catarina Viti
"Catarina, J’ai relu plusieurs fois votre lettre pour renouveler en moi cet écho où se joignent nos émotions. Lettre d’amour pour l’autre qui n’est plus. Je vous en remercie infiniment

« … mais aucun qui nous convienne à toi et moi, à nous qui n’avons que des points de suspension. »

Publié le 24 Novembre 2021

Bonjour @Boris Phillips,
Les langues inuits sont très belles et nous livrent une autre vision du monde. Si vous êtes curieux, je vous suggère de visionner le film de Zacharias Kunuk "Atanarjuat" (la légende de l'homme rapide). Le DVD est accompagné d'un bonus : entretien avec l'anthropologue Bernard Saladin qui met en lumière d'autres étonnantes réalités représentées dans le film , lequel est une pure réalisation autochtone.
Voili, voilou, et merci pour ce petit mot de vous sans tambour ni trompette.

Publié le 24 Novembre 2021

Figurez-vous, @Catarina Viti, que n'ayant aucune connaissance en matière de langues eskimo-aléoutes, je vais bien me garder de porter le moindre jugement quant à votre proposition linguistique finale.
Votre texte m'a simplement plu par sa poésie. Par la "carte du tendre jusqu'à son échéance" alphabétique qu'il induit de "a" à "z" ; en passant principalement par "d", "e", "r"...
Merci de ce partage.
Cordialement et avec humour.
Philippe.

Publié le 23 Novembre 2021

Salut, Michèle (@lamish), puisque tu la nommes et qu'elle est le sujet de ce texte, je précise que je n'y crois pas un instant. Il s'agit d'un mythe. Tout simplement parce qu'elle n'existe pas dans la création. Seule existe la vie. Ce que nous sommes, ce que nous faisons relève du vivant. Il n'y a ni avant ni après. Seulement quelques étincelles parfois, hors du temps.
Les tombereaux de bises ne sont pas ma came... si tu l'dis... mais de temps en temps, ça fait plaisir. Alors, j'en prends juste une, volontiers.

Publié le 23 Novembre 2021