Interview
Du 03 nov 2020
au 03 nov 2020

Ma sœur et moi

Une singulière histoire de sororité qui révèle un tempérament. Comment la défense des siens vous font déplacer des montagnes ? Et comment les actes en filant plus vite que les pensées, définissent mieux des relations, qu'une profonde conversation. Un joli texte de Lamish pour l'appel à l'écriture monBestSeller sur le thème :"Je ne me suis pas reconnue..."
On peut se demander qui est vraiment le chien ?On peut se demander qui est vraiment le chien ?

Ma sœur et moi avons dix-huit mois d’écart. Elle est mon aînée de peu. Nous avons reçu la même éducation, grandi dans le même milieu, reçu la même affection, tout comme nos deux frangins et notre autre frangine.

Enfant puis ado, elle était drôle, sociable, vivante ; j’étais timide, rêveuse, effacée. Du plus loin qu’il me souvienne, j’ai toujours entendu notre famille désigner notre binôme en ces termes parlants : « chien et chat ». Dans leur esprit, je suppose qu’elle était le chien, et moi le chat.

Du fait de notre faible différence d’âge, de l’exiguïté de notre appartement pour une famille nombreuse comme la nôtre, nous avons longtemps dû partager la même chambre.

Elle se couchait et se levait comme les poules. Je repoussais toujours le moment de m’endormir, écoutant la radio en sourdine sous mes couvertures, lisant à la lampe torche… Et mes réveils s’en trouvaient proportionnellement retardés, forcément...

Elle était bilieuse, malade à l’idée d’être en retard. J’avais toujours l’impression d’avoir le temps, « d’être large », comme dit Florence Foresti dans son sketch, alors qu’il ne me restait que trente minutes pour me préparer, et que j’étais encore au lit…

 

Nous devions composer avec cela, enfin, plus exactement, ELLE devait composer avec cela, car devoir m’accompagner à l’école, puis au lycée, au long des années scolaires qui se succédaient, fut pour elle un véritable calvaire. A force de répétition, l’anxiété lui maltraitait le foie, les intestins… A tel point qu’elle m’a avoué, des années plus tard, que j’avais été l’objet de ses premiers désirs d’effacement. Sans souhaiter une mort vers laquelle elle aurait bien été incapable de me précipiter, elle aurait vraiment apprécié que je disparaisse de sa vie, que j’arrête de la torturer, comme par enchantement.

 

En 1968, ma sœur était en troisième, année du BEPC, ce qui accentuait son stress ; moi, j’étais en cinquième. Encore bonne élève sans avoir à fournir le moindre effort.

Nous avions entendu parler des événements parisiens, mais chez nous, leur écho avait été minime… Jusqu’à ce jour où nous butâmes sur un piquet de grève qui barrait l’accès à notre lycée.

Cancre en puissance qui s’ignorait encore, je m’en réjouis aussitôt. Enfin un peu de mouvement dans notre morne vie de provinciales ! Mais je déchantai vite lorsque mon regard croisa celui de ma sœur, en larmes, au paroxysme de son désarroi. Je réalisai que cette sœur, je la portais dans mon cœur, en dépit de tout ce qui nous opposait. Que sa douleur ne me réjouissait pas, loin de là. Que c’était même l’inverse, puisque j’avais mal pour elle…

 

C’est alors que, malgré moi, cédant à une pulsion incontrôlable, je me retrouvai face au meneur des grévistes. Que toujours malgré moi, j’entendis des mots sortir d’une bouche qui était mienne mais me semblait étrangère. Cette bouche argumentait, le poussait dans ses retranchements. Elle alla jusqu’à le traiter de facho puisqu’il imposait son choix à des élèves studieux. Elle ricochait sur ses réponses, rebondissait… Simultanément, je sentais des ailes inconnues pousser, grandir… Cette sensation aussi inattendue que jubilatoire me grisait, me motivait pour ne pas lâcher prise, car je voyais que ses mots, mes mots, l’interpellaient. Je voyais dans son regard qu’ils faisaient mouche… et le miracle se produisit.

Le chef de file ordonna à ses suiveurs de laisser entrer les élèves qui voulaient se rendre en cours. Je vis ma sœur s’engouffrer par le portail entrouvert, suivie par quelques irréductibles, et je restai là, vidée, à nouveau muette, mais sereine.

 

Voyant dans ce piquet une opportunité de faire sauter les cours, certains repartirent. D’autres, préférant échanger avec les grévistes, restèrent. Nous étions d’autant plus curieux de connaître leur point de vue que nous n’avions qu’une version très succincte des événements de la part de parents qui, pour la plupart, orientaient notre jugement en procédant à une censure qu’ils voulaient protectrice et bienveillante.

 

Ce jour-là, la timide introvertie que j’étais ne s’est pas reconnue.  Mais c’est aussi ce même jour que, riche de cette drôle d’expérience, je me suis promis de toujours laisser s’exprimer cette autre bouche à l’efficacité surprenante, quels que soient les risques, et quoi qu’il m’en coûte.

 

Lamish

 

 

 

 

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@lamish Coucou Michèle, je me suis délectée dans ce joli souvenir de jeunesse. Cela nous rappelle combien il est important de rester solidaire, et aussi de braver les obstacles que nous nous infligeons par crainte du qu'en-dira-t-on ! On peut dire que tu as franchi les barrières de mai 68 en quelque sorte ;-) ! On peut dire aussi merci mai 68 de nous avoir révélé une personne loyale, optimiste et surtout sincère :-). Merci Michèle d'être toi. Je te souhaite une belle journée. Bises. Cristina

Publié le 13 Novembre 2020

@lamish
Peut être que les grands événements font les grandes personnes. C'est un peu sentencieux...Mais bon c'est dimanche. Cette autre bouche, qui a fait qu'une barrière s'ouvre, on n'a pas de mal à imaginer que ce qu'elle disait était clair, imagé, précis et fin, il suffit pour cela de te lire. La franchise et l'honnêteté, ça fait mouche. Et puis 68, c'était aussi pour libérer la parole...Toutes les paroles. Merci du partage.

Publié le 08 Novembre 2020

Bonjour @lamish,
C'est toujours émouvant de remonter le temps. Se souvenir de moments, plus ou moins... Et soudain, se rappeler ce qui a pu tout changer, et nous faire évoluer.
Chaque personnalité se forge sur des instants de vie, pas toujours glorieux, mais souvent salutaires pour l'avenir.
Chère lamish, étant enfant unique, je n'ai pas eu comme vous, la chance de grandir avec une belle fratrie. C'est avec d'autant plus d'intérêt, que j'ai lu votre témoignage.
L'amour inconditionnel que vous portez à votre sœur, vous a transcendée. En un instant, vous vous êtes révélée. C'est peut-être à partir de ce moment de votre jeune vie, que vous vous êtes façonnée un caractère bien trempé.
Bien amicalement, Annie.

Publié le 06 Novembre 2020

@lamish
J’ai relu, j’ai trouvé ça affreusement misogyne.. J’aime bien !
Cépourigoler…

Coucou Mimi ! C’est toujours un plaisir ; J’ai eus une sœur aussi je l’ai beaucoup aimé … Je n’en parlerai pas. Il me plait plutôt d’évoquer les conséquences inattendues que ton instant de bravoure eut sur ce pauvre Jean Luc Mechenlon ! Car le décoiffé au pantalon trop court avec les mains en porte-voix c’était lui ! Lui aussi étudiait au collège Marc Dorcel ! … eh oui !
Bien sûr que tu ne te souviens pas ! Toi et ta sœur vous n’aviez pas assez de vos quatre yeux pour Jean Pascal Boulin, qu’avait déjà une mobylette et qui parait-il savait déjà comment faire pour rouler des patins aux filles …
« Qu’est-ce qu’il est mignon, on dirait George Morrison ».
Étais ce toi ? Ou Marie-Claude ?
Oui, j’ai fouiné sur le web : le temps m’avait chipé le prénom de ta sœur. Avouons que je suis bien équipé : j’ai le même ordinateur que les experts à Miami, tu lui fais renifler un poil de c.. , il pond une carte Vitale !
Alors ? Était-ce toi ? Celle qui s’était pris les pieds dans l’annuaire des Rock stars ?
Ce jour-là, dans les couloirs, Jean- Luc osa.
Était-ce le rouge de ses joues ? Comme certains bovidés belliqueux, il y était sensible, ou bien les rondeurs de son chemisier ? Mais la chose était : le bougre en pinçait pour Marie Claude. Ne posant jamais les yeux sur lui, la belle était bien incapable de deviner son tourment, aussi lorsqu’elle se retourna pour voir d’où venait ce « Jim Morrison !» qui insolemment la corrigeait, elle eut le regard de celle qui découvre.
Elle s’arrêta, les livres contre sa poitrine, elle toisa.
Elle fit « Ppfffftttt … » au nez de l’amoureux, y ajoutant même quelques postillons, avouons-le, bien involontaires. Elle haussa les épaules, tourna le dos, passa son bras sous le tien, et vos deux rires moqueurs s’éloignant ; pour jean Luc furent autant de coups de rasoir.
Il y puisa une raison d’être : en faire baver à la Marie Claude !
Aussi lorsque mai arriva, chantant qu’il était interdit d’interdire, mais pas interdit de faire chier le monde, Jean Luc crut l’heure de sa vengeance arrivée.
« Debout les damnés de la terre ! No pasdaran ! On ne passe pas ! Surtout la Marie-Claude et la Mimische ! » Au bas de l’escalier, un index menaçait, celui du jeune Mechenlon. Si ce doigt accusateur effrayait tant, c’était surtout à cause de la présence de son frère, qui à force de redoublement, avait achevé sa croissance avant son second cycle. Le frérot, bras croisé sur un torse de docker cégétiste, opposait ses 90
kilos à toutes tentatives de négociation ; l’escalier qui menait aux salles de cours prenait toutes les allures d’un38eme parallèle…
Tu te souviens ? T’as soufflé sur ta frange avant de tenter l’humour :
« Prenez-moi en otages, mais laissez ma sœur passer ! … Vous avez des clopes ? »
Gros succès ! Marie-Claude a même fait : « Bravo, la frangine !», un pouce dans ta direction, et un index tendu vers les bloqueurs.

« Viens, on va fumer une clope Nadine ! » Cette cigarette t’as privé d’un instant crucial, ma mi-gnonne ! Et j’espère que tu me seras reconnaissante, de donner lumières à ces zones d’ombres que tu n’as pas crues utile de dévoiler. Sache que pendant tes volutes, Sylvie Turpin qui écoutait la radio, plus que les profs, fit irruption en larmes au milieu des belligérants.
« Mike Brandt est mort ! »
Aurait-on annoncé en chine que Mao Tsé Toung l’était aussi, que les pleurs eussent été les mêmes.
Tu sais bien à quel point Marie-Claude aimait Mike : les poils sortant de la chemise, Popaul moulé dans un pantalon de coton blanc à patte d’eph’ … Tout ce à quoi rêvent les jeunes filles !

Revenue de ta clope et choquée des larmes de ta sœur, tu les interprétas comme l’œuvre des tru-blions. La petite foule fit « ho » en te voyant avancer, « Ho » encore lorsque tu posas les mains sur les frêles épaules du jeune Mechenlon .
« Ne me touche pas, ma personne est sacrée ! » te lança-t-il inquiet.
Sacrée ? Sacré con, oui !
On ria, d’un coté comme de l’autre, profitant du cessez-le-feu, ceux qui aspiraient à l’enseignement coururent vers les salles , les autres filèrent au troquet jouer au baby-foot, j’ai souvenir de t’avoir vu parmi ceux-là.
Depuis Jean-Luc est fâché avec tout le monde !

Loic Lanzenac

PS - Votez pour moi ou j’en appelle à la cour suprême…

Bizz à tous

Publié le 06 Novembre 2020

Un peu de douceur dans un monde de brutes ?
merci pour l'humour, @monbestseller.
"On ne peut rien penser de plus beau, de plus doux que les hommes. Leurs guerres, leurs camps de concentration, leurs œuvres de justice, moi, je les vois comme des espiègleries, des turbulences… Est-ce qu’ils n’ont pas des chansons pour leurs douleurs, leur égoïsme, leur hypocrisie ? L’égoïsme d’un homme est tout aussi adorable que celui d’un papillon ou d’un écureuil. Rien n’est mauvais dans l’homme." Uranus -Marcel Aymé-
et merci pour le texte, @lamish.

Publié le 05 Novembre 2020

@lamish, en fait une pulsion qui a été l’acte fondateur de ton tempérament. Tu peux dire merci à Mai 68. Pour ceux qui te connaissent bien, on retrouve ton sens des valeurs, ton désir de justice et d’équité.
Je ne suis pas d’accord avec ton ressentiment pour la photo d’illustration. Elle correspond bien à ce qu’était votre binôme tel que défini au paragraphe deux. Et puis, à bien regarder, ce magnifique jeune chien semble protéger le chat apeuré en le recouvrant.
Ne regrette pas, même si tu aurais préféré tes photos. Sois certaine que l’illustration attirera le lecteur plutôt qu’elle pourrait le dissuader.
Amitiés. MC

Publié le 04 Novembre 2020

@Lamish
Je suis l'homme qui tombe à pic.... ;-)....
Sestralité, pas trop fan... en plus les racines ethimologique anglo-saxones du mot enlève un peu de son charme. Par contre, soralité est tout à fait à mon goût. Vous êtes l'inventeure (inclusivité oblige....ou pas remarquez) d'un jolie terme. Gare à ceux ou celles qui voudraient l'utiliser sans votre autorisation... j'en suis témoin...

Publié le 04 Novembre 2020

Où sont ces satanées étoiles.... merci pour ce partage sur l'intime de votre vie. Il y a quelque chose de beau dans ce qui vous opposait.... en vérité, vous étiez simplement complémentaires. Une belle preuve de sororité... D'ailleurs à ce sujet, je suis encore étonné de la si jeune utilisation de ce terme qui sonne si bien.... j'ai l'impression qu'il a toujours existé, bien caché derrière des montagnes de fraternité. Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup aimé cette sincérité qui glisse entre vos mots. Merci beaucoup @Lamish.

Publié le 04 Novembre 2020

J'ai bien kiffé...Merci :)

Publié le 03 Novembre 2020